23. Soubresauts.
       Les coups du surveillant sur l’arceau du lit résonnent douloureusement dans sa tête et tout son être. Son drap est mouillé de sueur et pourtant il frissonne. Il se recroqueville, ramène les genoux contre son menton.
— Tu ne te lèves pas Dominique ? Il va être sept heures.
Dominique regarde dans la direction de la voix, reconnaît son ami et voisin de dortoir Jean-Claude Dauchez à travers un brouillard. Il bredouille :
— ...on... trop ...alade. Préviens ... e gloup...

       « Voyez ce qu’il a, madame. Vous viendrez me dire si vous jugez utile d’appeler un médecin. »
La voix nasillarde de l’économe est comme désincarnée, elle passe au ralenti dans la conscience de Dominique qui, toujours recroquevillé dans la position du fœtus, continue de grelotter.
— Je vais te faire un bon badigeonnage mon petit, mais bois et avale d’abord ces deux cachets.
— ...ce que c’est...
- De la véganine mon petit. Tu verras, dans une heure tu iras mieux.
— ...rci...
— Assieds-toi, adosse-toi et ouvre bien la bouche. Ce n’est pas très agréable, mais il n’y en a pas pour longtemps.
Du coton hydrophile est ligaturé par un fil à coudre sur le bout d’une petite tige en bois. L’infirmière trempe l’extrémité encotonnée du bâton dans un flacon de bleu de méthylène et la frotte contre ses amygdales. Il manque de suffoquer, tousse violemment.
— Voilà, c’est tout mon petit, c’est fini. Mets cette couverture sur tes épaules et assieds-toi sur le lit de ton voisin, je vais changer les draps du tien, tu pourras ensuite te recoucher.

       À dix heures, à midi, à quatre heures, ses copains montent le voir. Dominique dort d’un sommeil agité. Il se tourne, se retourne dans son lit, prononce des mots sans suite : « ...pas lui, pas lui... ...non, veux pas... ...Michèle... ...pourquoi... »
Pendant deux jours il reste au lit, mais la science de l’infirmière porte ses fruits. Mercredi il peut s’asseoir sur sa couche, manger un peu, commencer à se lever. Le jeudi il s’habille, peut descendre jusqu’à la salle à manger. Le vendredi, encore un peu pâlichon, il est en classe et, sauf en éducation physique, il peut suivre les cours.
À la fin de l’heure de langue, Rossman vient vers lui.
— Tiens, tu as une lettre. Je ne sais pas si j’ai raison de te la donner.
Dominique hausse les épaules, prends sans hâte l’enveloppe de beau papier jaune pastel. Au dos de celle-ci, un petit dessin : une poutre brisée, humoristiquement raccommodée par une ganse de ruban, à la façon d’un œuf de Pâques. Sa bouche prend un pli amer, il extrait la lettre, sa main tremble un peu. Il n’a pas encore entièrement récupéré.

Cher Dominique,
Maintenant tu sais. J’aurais préféré te le dire moi-même.
J’ai d’ailleurs voulu le faire le soir de la chorale - où vous avez très bien chanté - mais n’en ai pas eu le courage.
J’ai appris que tu as été malade, mais que tu es rétabli maintenant, j’en suis contente.
Je souhaite de tout cœur que nous restions tous les deux de bons amis, et pourquoi pas un peu plus.
Au revoir Dominique.
Michèle.

       Jacques Rossman s’est éloigné par discrétion mais il scrute le visage de son ami. Quand celui-ci replie la lettre, il s’avance à nouveau vers lui.
— Ça va Dominique ?
Dominique lui adresse un pauvre sourire. La lettre lui a fait mal, il n’est pas complètement guéri, mais il ne l’avouera pas. Il essaie d’être fort.
— Ça va, ça va merci.
Les autres l’entourent de leur chaleur, de leur amitié, cherchent à le distraire.
— Tu viens assister à la répétition de l’orchestre tout à l’heure ?
— Vous vous entraînez encore ? Pour quoi faire ?
— Le bal des normaliennes, dans dix jours.
— Ah, elles en font un aussi...
— Ben oui, Les quatrième année filles font également un voyage de fin d’études. Il faut bien qu’elles le financent.
— Elles n’ont pas d’orchestre ?
— Eh non ! Alors elles font appel aux meilleurs ! Nous ! Tu viendras à leur bal ?
— Je ne crois pas tu sais...
— Là Dominique, tu as tort. Ne donne jamais à personne la satisfaction de t’avoir vaincu. Tu es un sportif, tu dois le savoir.
— Tu as peut-être raison. On verra. Et toi, ça marche bien avec ta Janine ?
— Janine ? Larguée pendant les vacances de Pâques.
— Plus personne alors !
— Ah, je ne dis pas cela. J’ai repéré quelqu’un, mais il n’y a encore rien de fait.
— Et toi Jacques, ta Jeanne ?
— Pour moi, c’est toujours pareil, comme toi avant. Je... Oh, pardon...
— Non, ça ne fait rien. Il faut bien que je m’y fasse. Tu disais ?
— J’attends le bal des normaliennes. Là, je vais mettre le paquet, fais-moi confiance.

       Pendant l’étude du soir Dominique relit, décortique la lettre de Michèle.
Pourquoi lui propose-t-elle son amitié ? Il n’a que faire de l’amitié d’une fille. L’amitié entre une fille et un garçon du même âge, c’est de l’utopie. Surtout entre eux deux. Et puis elle est contente... contente de quoi ? De sa maladie ou de sa guérison ! Et ce dessin ridicule au dos de l’enveloppe ! Elle se fout de lui encore une fois.
Pourtant, à y regarder de plus près, on dirait que ce n’est pas le même stylo qui a écrit la lettre et fait le dessin. L’encre du texte est bleu-marine tandis que le dessin est fait à l’encre noire. A-t-elle demandé à une copine de faire ce dessin ou bien celui-ci a-t-il été tracé à son insu par celle qui passe le courrier ?
De toute façon, la réponse est non, jamais il ne sera son ami. D’ailleurs il n’y aura pas de réponse. Il sort un livre de math et jette la lettre au fond de son casier.