Mercredi 16 mai
Toi,
Tous les mots que je souhaite te dire sont dans ce pronom, toi.
Car sous ces trois lettres se cachent un sourire éblouissant, des dents de nacre, le nez de Cléopâtre, la silhouette de la cousine de Brigitte Bardot. C’est le plus beau pronom du monde.
Je t’avais promis d’essayer de remporter quelque chose aux championnats de l’Aisne d’athlétisme, et bien voici :
— vingt-neuf secondes et sept dixièmes,
— onze mètres soixante-deux,
— trente-huit secondes et deux dixièmes.
Cela ne te dit peut-être rien, alors je te traduis : premier, premier et... premiers.
Je suis super content et je souhaiterais te faire partager ma joie en plus de mon bonheur. Malheureusement, il faut que je te laisse, déjà et à regret. Je dois me mettre au travail car, comme disent les profs, le sport n’est pas une excuse et je suis trop fatigué pour piler ce soir.
À toi complètement,
Dominique
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Jeudi 17 mai
Dominique,
Chacune de tes lettres est un nouveau plaisir.
J’ai parfois envie de remercier Michèle - qui ne me parle définitivement plus - de m’avoir permis, à son corps défendant (si j’ose dire), de te connaître et en même temps, je suis jalouse du temps que tu lui as donné.
Je suis très heureuse de tes exploits, surtout si le mérite m’en revient pour une petite part. Moi aussi j’aimerais être une bonne sportive, je rêve parfois que je suis capable de déplacer les montagnes, mais en réalité je ne suis que moyenne, moyenne en tout sauf dans l’amour que j’ai de toi.
Ce dont je suis la plus fière, c’est d’avoir été capable de te plaire. J’ai envie de crier mon bonheur, mais je ne le fais pas, j’ai trop peur que cela se sache et que d’autres filles veuillent te séduire.
Y arriveraient-elles ?
Je pars à Soissons samedi pour les congés de Pentecôte, tu vas aussi rentrer chez toi, nous ne nous verrons pas ce Dimanche. Quand me donneras-tu la réponse que j’espère.
Je suis tout à toi, je suis toute à toi.
Monique
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Lundi 21 mai, 21 heures.
Bonjour Dominique,
Qu’il était triste ce dimanche sans toi, dans une ville que je vais quitter et où je n’ai plus d’amie. (Mais cela, je ne le regrette pas.)
Je m’y suis promenée, seule. Tu ne me croiras peut-être pas mais en pensant à notre premier rendez-vous, je suis allée vers la cathédrale. Je suis entrée et, en souvenir de nous, j’ai allumé deux bougies. Tu vas te moquer de moi, j’ai fait un vœu.
Se réalisera-t-il ?
Je n’ai pu m’empêcher de compter les semaines qui nous séparent des grandes vacances : cinq. Nous n’aurons donc eu que six dimanches pour nous aimer, vingt-quatre heures de notre vie seulement. Mais de ceci, je ne veux plus qu’on parle. Je ne veux qu’une chose, profiter de chaque seconde passée avec toi et ressentir à nouveau les vibrations qui me saisissent quand tu me prends dans tes bras.
Monique.
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Mardi 22 mai.
Ma petite,
Pourquoi est-ce que certains êtres nous sont immédiatement sympathiques et d’autres non ? Comment choisit-on ses amis, son amie ?
Il y a quarante-cinq millions de personnes en France, parmi elles un million ont notre âge. Sur cinq cent mille filles, c’est toi qui as été l’élue. Quelle puissance supérieure a donc décidé pour moi ? À moins que ce soit moi qui ai été délibérément choisi par une fille plus futée qu’elle veut bien le dire.
Je ne sais pas si je suis croyant, mais j’aime bien le recueillement des églises et des cathédrales et j’approuve ton idée de bougie, de souvenir.
Je pense qu’une chose qui a eu lieu à un moment donné ne peut plus s’effacer, elle est inscrite dans la mémoire du temps et si un jour le temps revient sur lui-même, elle aura lieu de nouveau.
Je désire que tu lises, si tu le trouves dans votre bibliothèque, le très beau livre de Jack London intitulé « Le vagabond des étoiles », tu comprendras que la volonté de l’esprit permet aux gens qui le veulent vraiment de se retrouver en dépit des distances et des obstacles qui les séparent.
À bientôt toi et moi.
Dominique
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Jeudi 24 mai.
Toi,
Hier mercredi, j’ai pu retirer de la bibliothèque le livre que tu m’as conseillé. J’ai passé l’après-midi à le lire. Je l’ai trouvé formidable. Sans croire véritablement à ce vagabondage de l’esprit sous la forme décrite, je pense moi aussi qu’on peut se retrouver en pensée si on le veut vraiment.
Mais auparavant, je te propose que nous nous retrouvions Dimanche à quatorze heures à l’angle de la rue Thibesard et de la rue de la République, c’est moins loin que la place du Parvis, ainsi je serai plus vite dans tes bras.
Moi.