10. Un moment d'éternité.
      Frédéric a maintenant intégré l’ENSEP. Il supporte avec patience et désintérêt un nouveau bizutage : rien ne peut l’atteindre. Il pense sans cesse à son amie qui vit maintenant ce qu’il a enduré l’année précédente. Ils échangent deux lettres par semaine. La dernière vient de lui apprendre le probable déménagement de la classe préparatoire de Tourcoing pour le CREPS d’Aix-en-Provence, à sept cents kilomètres de Paris ! Ils ne pourront plus se voir, Frédéric est catastrophé.
Sous prétexte de travail, ils avertissent leurs familles qu’ils ne rentreront pas aux vacances de Toussaint et conviennent de se retrouver à Lille. Mais Marie-Michèle n’a pas dix-sept ans et même si elle peut passer pour un peu plus âgée, jamais on ne voudra la croire majeure.
Frédéric se renseigne activement. Il finit par trouver un camarade de promotion lillois qui lui indique le bon système.
« Tu vas à l’hôtel de R... Sur la fiche de police, tu indiques que tu es un étudiant en stage et tu préviens le patron que, étant donné que tu as beaucoup de réunions le soir, tu rentreras très tard. Pour ne pas avoir à veiller, il te confiera un passe-partout pour la deuxième entrée. Comme ça, tu pourras amener ta copine sans qu’on la remarque. »
Frédéric adopte l’idée et écrit sur le champ à son amie, lui fixe rendez-vous à la gare de Lille. À son grand soulagement, tout se passe comme prévu.

      Ils ont tiré les rideaux, ils sont seuls dans la chambre anonyme, face à face, intimidés. Il prend la jeune fille dans ses bras, la soulève, la pose délicatement sur le lit, s’allonge près d’elle. Pour la première fois, ils sont ensemble sans témoin, sans l’inquiétude de voir arriver quelqu’un. Ils sont dans une bulle, le monde extérieur n’existe plus, ne les concerne plus. Ils sont ensemble pour trois jours. Ils ont tout le temps, ils prennent tout leur temps pour se déshabiller mutuellement.
Elle est nue sur la courtepointe à motifs fleuris. De l’appréhension se devine dans les yeux de Marie-Michèle et dans son sourire un peu crispé. Un reste de bronzage dessine encore la forme de son maillot de bain et sa toison brune incroyablement fournie contraste avec la pâleur de la peau de son ventre. Frédéric tente de calmer son volcan intérieur, il caresse longuement la belle adolescente. C’est elle qui se glisse sous lui, elle encore qui saisit délicatement sa virilité pour le mettre en place. Il n’ose pas forcer, ne veut pas lui faire du mal, arrête sa pesée dès qu’un début de souffrance se lit sur le visage de la jeune fille. À cet instant, Frédéric ne se soucie pas de son propre plaisir, il ne pense qu’à son amie et à la douleur qu’il va inéluctablement déclencher. Quand la mise en place s’achève, Marie-Michèle pousse un petit cri qu’elle réprime aussitôt en se mordant la lèvre. Frédéric doucement, lentement va au bout d’un intense plaisir qu’elle ne partage pas. Dans le plus profond du cœur du garçon se mêlent la divine joie de posséder enfin celle qu’il considère comme la femme de sa vie, la gratitude pour le don inestimable qu’elle vient de lui faire et la navrance de n’avoir pas pu déclencher en elle le même plaisir. Il s’inquiète :
– Tu n’as pas été heureuse n’est-ce pas ?
– Tu sais, je pense que la première fois c’est normal. C’était bien pour toi ?
– J’ai plus de vingt ans tu vois, mais c’est la première fois que je fais l’amour à une fille, je voulais que ce soit avec la fille que j’aime. Vingt ans, Il paraît que c’est tard pour un garçon. Tu as dû me trouver malhabile, mais tu vois, j’ai voulu t’attendre, découvrir la même chose que toi en même temps et j’ai bien fait. Tu vas me trouver rétro, pas à la page, mais je tiens beaucoup à ma propre estime. Oui, j’ai été heureux, profondément, absolument heureux, mais autant dans mon cœur que dans mon corps. Aujourd’hui, tu es devenue ma femme et je ne l’oublierai jamais.

      Marie, l’aide-soignante quitte rapidement la chambre six cent treize, court dans le couloir jusqu’à la salle de permanence des infirmières, saisit Michèle, la responsable par la main, l’entraîne à sa suite vers la chambre 613.
– Il est arrivé quelque chose ?
– Tu vas voir.
– Qu’est-ce qui se passe ? Tu me fais peur !
– Regarde !
– Qu’est-ce que tu veux me montrer, tout a l’air normal.
– Regarde mieux. Elle se penche à l’oreille de l’infirmière et lui dit à voix basse : « Regarde le drap : il est dans le cirage mais ... il bande ! »