11. Trop loin des yeux.
      Faute d’installations vraiment adaptées, faute aussi d’enseignants spécialisés, la classe préparatoire de Marie-Michèle a déménagé, transférée au CREPS d’Aix en Provence. Frédéric, satisfait pour son amie qui pourra travailler dans de meilleures conditions est catastrophé pour lui-même. L’avenir à court terme lui semble bien sombre. Dans chacune de ses lettres, il exhorte Marie-Michèle à travailler car il sait bien que la réussite et leur bonheur à tous deux est à ce prix. Si elle échouait au concours d’entrée dans la même grande école d’éducation physique que lui et qu’elle soit obligée de continuer ses études à Aix, cela signifierait pour eux trois années supplémentaires d’éloignement.
L’éternité.
Lorsque, dans une lettre joyeuse, elle lui annonce qu’elle va participer au bal des étudiants d’Aix en Provence, il se prend à imaginer celle qu’il aime plus que tout au monde, toute fraiche avec sa jupe rouge et son chemisier blanc, dansant toute la nuit avec un garçon plus beau que lui, meilleur danseur, elle qui aime tant cela, quelqu’un qui sait faire les compliments qu’aiment les filles, quelqu’un qui va essayer de l’embrasser, de la caresser ou plus peut-être.
C’est la pire des tortures que d’imaginer la fille qu’on aime dans les bras d’un autre.
Il entame alors le processus de sa seconde erreur. Il oublie la fatigue physique et la terrible pression qui pèsent quotidiennement sur les étudiants préparant ce concours, il ne pense pas que, comme lui l’an dernier, elle a besoin d’évacuer, de couper, de trouver absolument des dérivatifs. Il oublie que danser est une de ses passions, il oublie qu’elle n’a que dix-sept ans et qu’elle a besoin d’élargir son cercle vital. Dans la réponse pressante qu’il lui envoie immédiatement, il lui demande de ne pas aller à ce bal, trouve des arguments de sérieux, de travail, de concours à réussir absolument, de nécessité d’impasse zéro, de volonté et de force de caractère.
Lorsqu’enfin ils se retrouvent aux vacances de Pâques, il s’enfonce dans son erreur. Par ses questions pressantes et malgré la réticence qu’elle met à répondre, bribe à bribe, il lui arrache la vérité, une vérité qui lui fait mal.
Oui, elle est quand même allée à ce bal. Oui, elle a beaucoup dansé. Oui, toute la nuit. Oui, souvent avec le même garçon Oui, il dansait bien mais elle le considère simplement comme un copain.
Frédéric est malheureux, il sait qu’il doit arrêter immédiatement son inquisition ridicule, dompter sa jalousie maladive, la prendre dans ses bras, la faire rire, la reconquérir. Ne lui a-t-elle pas donné la plus merveilleuse preuve d’amour ?
Mais il s’enferre et continue son enquête imbécile qui lui distille de l’acide dans le cœur.
« Oui, il était beau. Oui il a cherché à l’embrasser mais cette jalousie est ridicule et elle estime mériter un minimum de confiance de sa part. »
Ulcérée, Marie-Michèle l’a planté là. Frédéric ne posera pas les deux ultimes questions qui le rongent : a-t-il réussi à l’embrasser, a-t-il tenté de la caresser ou plus encore ?
Entre eux, la brouille durera plusieurs jours.
Il a en lui une envie de meurtre. Il sait trop bien quelle est la raison qui pousse un garçon de vingt ans à rechercher la compagnie d’une fille ; il a trop en mémoire les discussions adolescentes de ses copains d’école normale se vantant de leurs rapides bonnes fortunes. Il est depuis longtemps persuadé que l’amitié simple et sans arrière-pensée ne peut pas exister entre deux jeunes de leur âge et de sexes différents.

– Docteur, le malade de la chambre six cent treize m’inquiète. Il présente en plus de nombreuses séquences d’arythmie cardiaque. Que faut-il faire ?
– Nous arrivons à un stade où la médecine ne peut plus grand-chose mademoiselle, sinon peut-être l’accompagner.
– Pourtant, il y a une heure, Marie, mon aide-soignante, m'a fait remarquer qu'il band… enfin qu'il avait une érection. C'est plutôt bon signe, non ?
– Phénomène purement réflexe, mademoiselle, ou dû peut-être à une compression du canal rachidien cervical… et dans ce cas…