Frédéric est maintenant remis de ses blessures. Il attend les résultats du concours d'entrée dans un CREPS avec une impatience grandissante. Il trompe le temps comme il peut, tente de garder la forme par de longues randonnées en vélo, en nageant dans le canal. Il opère des ravages dans les rangs des brochets de l’Oise. Son amie lui manque plus qu’il ne veut se l’avouer.
Au retour de Marie-Michèle, une semaine avant la fin du mois d’août, il sent son cœur se dilater en une immense joie intérieure. Elle est revenue toujours aussi mignonne, fraîche, spontanée, toujours aussi amoureuse. Elle aussi est impatiente.
— Tu l’auras quand, ton résultat ?
— Ça ne devrait plus tarder maintenant, on est le vingt-trois. En attendant, j’ai reçu mon affectation d’instituteur, je suis nommé à Saint-Gobain.
— Donc si tu n’es pas admis au CREPS, dans trois semaines tu seras instituteur.
— Oui, et dans trois mois je serai soldat. Tu reprends quand à Laon ?
— Je ne retournerai pas à Laon cette année. Il paraît que je suis assez « grande » pour cohabiter avec mon beau-père maintenant. Je suis inscrite au Lycée de Chauny en section philo.
— Ah...
— Ça ne te plaît pas ?
— Oh... si... Il n’y a pas de raison… Mais tu vois, Laon pour moi, c’est la source de notre merveilleuse histoire, alors j’aurai sûrement une petite nostalgie.
Pour la première fois Frédéric ne dit pas toute la vérité à son amie. Il sait bien qu’au contraire du lycée de jeunes filles de Laon, celui de Chauny est mixte et Marie-Michèle est si mignonne que tous les garçons vont être fous d’elle alors que lui sera loin...
— A-t-il repris conscience ?
— Non docteur. Mais c’est étrange, il n’est plus simplement dans un coma réactif puisqu’il bouge de temps en temps mais il n’ouvre pas les yeux, il ne parle pas et n’a pas l’air d’entendre, pourtant j’ai l’impression d’un léger mieux dans son état. Il ne tousse plus du tout et sa température baisse un peu.
— Objective ! Soyez uniquement objective mademoiselle, oubliez les impressions. Sa jambe ?
— On vient de refaire le bandage compressif. L’œdème s’est un peu résorbé.
— Réagit-il à la douleur ?
— Il semble bien que oui. En dépit du fortal, il a légèrement tressailli lorsque j’ai installé la perfusion d’héparine. À l’observer, on dirait même qu’il exprime des émotions, mais c’est si fugace que c’est peut-être mon imagination.
— Encore une fois, contentez-vous d’énoncer des faits ! Les mouvements que vous avez observés constituent cependant un élément positif et encourageant. On diminue la codéïne, on arrête l'oxygène mais on continue héparine et fortal : avec des dosages identiques. Ah, je veux de nouveaux résultats d’analyse sanguine dès que possible.
— Bien docteur.
La lettre tant attendue, arrive le 28 Août.
— Il y a du courrier Frédéric ?
— Oui maman, une lettre pour moi !
Sur l’enveloppe de mauvais papier marron il peut lire « République Française, Académie de Lille, Jeunesse et sport ». Son cœur accélère mais il se contrôle, s’efforce au calme. Il prend le temps de sortir un couteau pointu du tiroir du buffet, découpe l’enveloppe sans laisser deviner sa fébrilité. Il se prépare mentalement au pire. Respiration bloquée, il sort lentement les feuillets de papier. Ses yeux accrochent immédiatement une ligne soulignée de rouge : « ...vous êtes admis dans un CREPS... » Il ferme les yeux, expire lentement l’air de ses poumons, pense intensément à son amie. Comme elle va être contente, fière de lui ! Il a toujours eu besoin qu’on soit fier de lui.
— Tu as reçu de bonnes nouvelles ? s’enquiert sa mère qui s’active au fourneau.
— Oui, excellentes, je suis admis dans un CREPS !
— Ah...
— Attends, je relis. Oh la la, deux cent dix-neuvième sur deux cent soixante-deux admis, c’était tangent !
— Vous étiez tant que ça ?
— À Reims non, mais là tu vois c’est le résultat au niveau national. En réalité, on était plus de six cents à se présenter dans toute la France.
— Donc tu vas aller dans un CREPS !
— Oui, ils veulent que je fasse mes vœux immédiatement, ils demandent une réponse par retour du courrier.
— Tu demandes le plus près d’ici, bien sûr ?
— Évidemment, je demande Reims en priorité. Il faut aussi que je prévienne l’École Normale à cause du poste de Saint-Gobain que je ne prendrai pas à la rentrée.
— Enfin, si tu penses vraiment que tout ça c’est meilleur pour toi...
Frédéric a annoncé la bonne nouvelle à Marie-Michèle. Elle s’est jetée contre lui avec passion, comme pour le remercier. Il oublie ses petites inquiétudes au sujet de leur avenir proche, décide une promenade à bicyclette. Il l’emmène vers l’endroit qu’il affectionne, au bord de la rivièrette, ce bras de l’Oise né de l’assèchement d’anciens marécages transformés en prairies.
Ils se sont allongés sur la berge herbeuse. L’eau d’émeraude sombre caresse les feuilles de nénuphars et de sagittaires qui bordent la rive. Les hirondelles chasseresses rasent la surface de la rivière trempant parfois le bout de leurs ailes. La brise favorable a chassé les relents de chimie des usines proches et l’air est chargé des senteurs aphrodisiaques de l’armoise et de l’herbe froissée.
Ils sont loin de tout, seuls au monde, un buisson les masque, personne ne peut les voir. Frédéric caresse longuement son amie qui vibre sous la pression de ses doigts. Il relève la jupe légère, effleure les cuisses dorées, plaque ses lèvres avides sur le ventre de la fille à travers le fin vêtement résiduel, recherche un coin de peau au-dessus de l’élastique. Marie-Michèle, la respiration forte et les yeux fermés, mains sur le dos de son ami accepte l’amour du garçon. Quand il tente de baisser le léger vêtement, elle l’aide de son mieux en soulevant son bassin juvénile. Frédéric, le sang battant fortement à ses tempes, niche sa tête dans la douceur veloutée de Marie-Michèle. Il a du mal à se dévêtir tant est forte l’envie qui le tenaille. Au moment de la communion finale, alors qu’il sent l’intimité de son amie contre lui, il hésite, s’arrête, recule.
Il s’assied près de la jeune fille, pose à nouveau ses lèvres sur le ventre offert, se rajuste aussi prestement que lui permettent les circonstances. Il remonte délicatement le sous-vêtement de la jeune fille, avec des gestes tendres ponctués de caresses. Pendant un long moment ils se regardent sans rien dire. Il sait qu’elle a compris, sait qu’elle n’est pas déçue, n’éprouve pas le besoin de parler, d’expliquer. Après un long silence, c'est elle qui murmure :
— Frédéric, je pense qu’un jour, entre nous deux, fatalement ça arrivera. C’est pour cela que j’ai accepté maintenant, mais je suis heureuse que ça n’ait pas encore eu lieu. Je crois que je t’aime encore plus pour ce que tu n’as pas fait aujourd’hui, Frédéric.