9. Premier accroc.
      Pendant l’année scolaire qui suit, dans l’ancienne usine désaffectée et réaménagée qui constitue l’infrastructure du CREPS de Reims, Frédéric travaille douze heures par jour. Les programmes d’anatomie, de physiologie et de psychologie sont énormes, les fatigantes activités sportives s’enchaînent sans temps mort tout au long de la journée et, après l’étude du soir, sous le drap de son lit d’internat, il domine son épuisement et révise cours et règlements sportifs à la lumière de sa lampe de poche.
Il rentre chez lui une fois par mois, retrouve ses parents avec plaisir et son amie avec passion. Marie-Michèle lui parle de ses nouveaux camarades de classe, presque tous des garçons, dont certains sont très drôles et super sympas. Ils ont des idées géniales, organisent des randonnées, des surprises-parties, des cercles de discussion.
Elle ne tarit pas d’éloges sur un gars de sa classe, intelligent, spirituel, pas fayot du tout, collectionneur de boîtes d’allumettes et toujours plein d’idées originales.
Du poison entre dans l’âme de Frédéric. Il connait l’individu qui fut dans la même classe que lui il y a six ans déjà. Il sait que ce garçon est tout à fait son contraire, désinvolte, chahuteur, insouciant comme beaucoup de jeunes qui, issus de familles aisées, peuvent se le permettre. Frédéric ne supporte pas l’admiration que semble lui porter Marie-Michèle. Il commet sa première erreur.
— Dis donc, ton ami le génial collectionneur, il n’est pas si fort que ça, on était dans la même troisième, il a donc redoublé deux fois ce petit prodige !
— Pourquoi tu dis ça Frédéric ? C’est méchant et ça n’a vraiment rien à voir ! On peut avoir redoublé et être intelligent, c’est toi qui es bête. Il a eu une idée épatante de collection et j’ai commencé la même. Parce que l’idée ne vient pas de toi, tu penses tout de suite qu’elle est mauvaise. Je trouve ta réaction vraiment décevante !

— Venez vite voir docteur, il bouge, il s’agite cette fois... Regardez son visage, il a l’air de souffrir.
— En effet. Vous allez augmenter la dose de sédatif dans la perfusion. Il ne faudrait pas qu’il se débranche accidentellement. Si néanmoins vous constatez une nouvelle crise, n’hésitez pas à pratiquer une intraveineuse, l’effet sera plus rapide.


L’année scolaire est finie. Marie-Michèle, un peu moins brillamment que l’année précédente, a décroché la deuxième partie de son bac. Content de ce résultat, Frédéric, admissible à la première partie du professorat d’éducation physique après les épreuves écrites d’anatomie et de physiologie, est allé à Paris pour l’oral et le physique avec une formidable envie de gagner. Les épreuves de cet examen-concours, ô combien important pour lui, dureront cinq jours.
Quand, compétitions terminées, épuisé, il descend du train du soir, elle est là qui l’attend, mordillant nerveusement le coin d’un ongle. Elle se précipite à sa rencontre :
— Alors ?
— Alors ? Viens, marchons…
— Vite, dis-moi !
— Et bien j’ai... réussi la première partie du professorat.
— Ah, c’est bien, je suis contente pour toi.
— Et je suis admis à l’ENSEP !
— Ouiiii, oui oui oui. Oh que je suis heureuse, c’est formidable !
— D’autant plus que dès la rentrée, je vais être payé comme élève-professeur !
— C’est vraiment super ! C’était dur ?
— Fatigant, je suis vanné ! Je pourrai dormir vingt-quatre heures d’affilée. On se voit demain après-midi ?
— Mais je n’attends que cela Frédéric. J’aurai quelque chose de bien à t’apprendre moi aussi !
— Dis-moi tout de suite !
— Non non !
— Je t’en prie...
— Bon, je ne vais pas te faire languir, moi ! Je me suis décidée ! Je vais faire comme toi, le professorat de sport. À partir de cette année, il n’y a plus de concours d’entrée, on peut être admis sur dossier directement dans une classe préparatoire. J’ai posé ma candidature et comme j’ai les meilleures notes de gym de la classe, je suis certaine que ça va marcher. Tu ne peux pas savoir comme je suis contente !
— Tu sais que c’est dur la première année, tu te sens assez forte ?
— Puisque tu l’as fait, je le ferai.
— Elle se situera où cette classe préparatoire ?
— Ce n’est pas encore officiel, mais pour l’académie, on parle du lycée de Tourcoing.
— Tourcoing, oui, ça peut aller, ce n’est pas encore trop loin. On en reparle demain après-midi ? Je t’emmène à la pêche au brochet dans la rivièrette !
— Je veux bien, à demain, repose-toi bien.