Dans le car navette de sept heures trente les amenant au lycée, Valentin se contenta de répondre par un bref acquiescement de la tête au regard interrogatif de Bouboule. « Rejoins-moi à la récréation de dix heures » lui dit-il au moment de la bousculade de la descente du véhicule, « là, il faut que je voie Camille. »
Dès qu’il fut dans la cour, il repéra la sœur d’Amandine et s’empressa de la rejoindre.
— Camille, j’ai encore un service à te demander.
Il lui présenta son smartphone avec à l’écran la photo prise auparavant par Pascal.
— Le troisième mec sur la photo, celui dont tu ne savais pas le nom se prénomme Nathan. Il faut absolument que je sache son nom de famille, sa classe et son emploi du temps. Est-ce que tu peux obtenir ces renseignements pour moi ?
— Je n’ai rien à refuser à celui qui a fortement contribué à sauver ma sœur1. Je pense pouvoir te dire tout ça à la récré, ça marche ?
— Tu es adorable Camille.
Pendant les deux heures de cours le séparant de la récréation, Valentin imagina plusieurs scenarios pour piéger le Nathan si toutefois c’était lui et pensa aussi à la manière de rasséréner Eva en lui faisant comprendre que son tourmenteur avait été repéré et neutralisé.
Il n’eut pas à chercher en pénétrant dans la cour du lycée, Bouboule le guettait et vint immédiatement se placer à côté de lui.
— Alors, tu as trouvé une solution ?
— Peut-être, mais avant, dis-moi quand tu as observé le changement d’attitude passif d’Eva.
— Je dirais… vers le milieu du mois.
— A-t-elle eu des comportements actifs inhabituels ?
— Je ne vois pas… Attends, heu… la semaine dernière, lundi je crois, elle m’a demandé de lui prêter vingt euros pour faire un cadeau d’anniversaire à sa mère, qu’elle me les rendrait petit à petit. Alors ton idée ?
— Écoute Bouboule, si tout se passe comme je le prévois, tout sera fini mardi à dix-sept heures, mais il y a encore une part d’incertitude, c’est pour ça que je ne te dis pas tout pour l’instant, mais tu seras associé à la fin du processus de normalisation.
— Ça m’ennuie d’attendre mais comme tu ne m’as jamais déçu alors j’attendrai.
— Je te laisse, Camille m’appelle.
— Tiens, Val, voici tout ce que tu m’as demandé, dit-elle en lui tendant une feuille de copie double. Détruit tout quand tu n’en as plus besoin.
— OK ma belle. Si toi ou ta sœur avez un problème un jour, tu peux m’en parler.
— C’est entendu comme ça, salut Val.
Camille éloignée, au grand étonnement de Valentin, Eva vint à sa rencontre et, après quelques politesses et banalités, lui dit :
— Je peux te demander un service ?
— Mais oui Eva.
— C’est un peu gênant pour moi…
— Nous sommes amis, n’ai aucune hésitation.
— Voilà, je veux faire une surprise à ma mère pour son anniversaire mais je n’ai pas assez d’argent. Il me manque trente euros, pourrais-tu me les prêter ?
— Oui, bien sûr. Mais je n’ai qu’un billet de cinquante.
— Je te donne deux billets de dix. Je te rembourserai petit à petit.
— Ne te soucie pas pour ça.
Revenu en classe, Valentin glissa la copie double de Camille dans son classeur de français et pendant le cours se mit à l’étudier. « Nathan Girard, 1ère C, habite à Ville-Semnoz, décrit comme hypocrite voire sournois par un mec de sa classe auquel j’ai demandé les renseignements. »
Sur la troisième page de la copie était dessiné malhabilement une grille d’emploi du temps. Valentin s’intéressa immédiatement aux matières du mardi. Ce qu’il comprit lui amena un sourire intérieur de satisfaction : sur la case 15-16 heures était marqué « permanence. »
« Maintenant je peux agir mais peut-être pas personnellement car il me connait et il a sûrement déjà observé ceux de mon équipe. Alors à qui puis-je demander ce service ? Et si je demandais à Pierre-André…
Mais avant ça il faut que je sois sûr qu’Eva mette bien le billet à l’endroit précisé. Elle est en seconde 9… Je vais demander à Mathilde qui est en salle d’étude à cette heure-là de la suivre discrètement.
Il était quinze heures dix ce mardi-là, Pierre-André Vallières attendait dans la grande salle documentation-bibliothèque. Il avait, cinq minutes auparavant, vu arriver la timide Eva et se diriger vers le rayonnage de la bibliothèque marqué des lettre J et K. Après un regard circulaire, elle avait sorti un livre, l’avait un peu feuilleté, remis à sa place dans le rayon puis était partie.
À quinze heures trente, Pierre-André vit entrer dans la vaste salle l’individu dont Valentin lui avait envoyé la photo. Il se leva alors, se plaça devant le même rayonnage qu’Eva et, au moment où l’autre arrivait à son niveau, il sortit le livre de Joseph Kessel intitulé Mermoz.
L’autre, surpris par la coïncidence, attendit non loin de lui.
Pierre-André alla se rasseoir et sembla s’intéresser au contenu du milieu de l’ouvrage puis après quelques minutes, il alla remettre le livre à sa place. L’autre s’avança mais Pierre-André le reprit aussitôt, l’ouvrit à la page 44, récupéra le billet de cinquante euros et disant : « Je suis complètement barjo, j'allais oublier mon marque-page ! »
Nathan décontenancé bredouilla ;
— Ce… cet argent… Heu ce billet est à moi, c’est un pote qui me le devait, il m’a dit qu’il l’avait placé dans ce bouquin page 44 pour que je le récupère.
— Tu te fous de moi ! C’est tordu ton truc ! Qui c’est ce pote dont tu parles ? Je vais lui demander.
— Heu, il n’est plus au lycée.
— Il n’est plus là mais il vient quand même planquer des sous dans un bouquin à la bibliothèque ! J’ai l’impression que tu n’es pas clair comme mec. Tu ne serais pas en train de récupérer le fruit d’une arnaque ?
— Silence là-bas ! intima la documentaliste, il y a des gens qui travaillent ici !
— Sortons, nous finirons cette explication dehors, fit Pierre-André en saisissant le bras de Nathan. Celui-ci fit un geste pour se dégager mais Pierre-André maintint la pression et entraina l’autre dehors en faisant un sourire au passage à la documentaliste.
À leur sortie dans la cour, ils furent immédiatement entourés par Florian, Olivier, Quentin, Gilles et Valentin.
— Pierre-André, dit Florian, emprunte-lui son portable. Pas d’inquiétude, nous te le rendrons, nous ne sommes pas des voleurs, nous ! Peux-tu ouvrir son compte Instagram ? Regarde si tu vois le profil qu’on cherche.
— Je crois que c’est celui-là, fit Pierre-André en montrant l’écran à ses acolytes.
— Absolument, certifia Valentin. Toi, continua-t-il en pointant un index vers la poitrine de Nathan, nous savons que tu fais chanter une de nos amies, que tu l’arnaques toutes les semaines en la menaçant de façon ignoble. Alors tu as deux solutions :
Un : tu reconnais tout, tu rembourses intégralement les sommes volées, tu nettoies ton compte Instagram tout de suite devant nous et tu disparais de notre périmètre ou…
Deux : tu refuses et tu reçois la raclée de ta vie à la sortie, ce qui ne nous empêchera pas de nettoyer ton portable et ton portefeuille. Tu as une demi-seconde pour choisir !
1. Dans le livre Valentin détective.