VALENTIN AU LYCÉE

11. Clash

Valentin avait fait donner le mot à tous les membres de son groupe augmenté de Pierre-André Vallières : « Rendez-vous ce soir à dix-huit heures chez moi, c’est hyper important ! »
À dix-sept heures trente, il reçut un texto de Pascal : « Eva ne veut pas venir. » Il répondit aussitôt par le même moyen : « c’est elle qui est le sujet principal de cette réunion, il faut absolument qu’elle soit là. Débrouille-toi ! »
Ils arrivèrent les derniers, Pascal avait l’air préoccupé, Eva, mal à l’aise, visiblement anxieuse, se mordillait le coin d’un ongle.
Valentin avait sorti bancs, tréteaux et plateau sur la pelouse de la maison des grands-parents. Sur la table improvisée étaient placés verres et bouteilles de limonade, deux six-packs de coca apportés par Charly et un grand panier de pommes du jardin de Pauline.
Quand tout le monde fut installé, Valentin prit la parole.
— Écoutez-moi les amis, vous vous demandez avec juste raison pourquoi je vous ai pour ainsi dire convoqués ici maintenant. Je vais vous l’expliquer aussi clairement que possible et vous demande de ne pas formuler la question que vous allez inévitablement tous vous poser à la fin de mon exposé.
Alors, voilà : nous sommes au lycée depuis à peine un mois et certains d’entre nous ont été plusieurs fois agressés. Certes, nous savons nous défendre et la tactique que nous avons adoptée, ne jamais rester seul, semble efficace. Mais si je vous ai demandé de venir, c’est qu’il s’est produit quelque chose de beaucoup plus grave et qui concerne une fille que nous connaissons. Je ne dirai pas son nom et par égard pour elle, ne cherchez pas à le savoir.
Voici les faits : un mec de première cinq nommé Nathan Girard a réussi à se procurer le profil Instagram d’une jeune fille et il la submerge d’envois de photos et vidéos d’ordre sexuel dans lesquelles elle apparait en vedette. Il lui demande une rançon hebdomadaire de cinquante euros sous peine de divulgation à sa famille et ses connaissances.
J’ai pu me procurer, je ne dirai pas comment, une épreuve de chacun de ses envois. Je savais, dès le départ qu’il s’agissait de montages car la personne mise en scène ne se prêterait pour rien au monde à ces pratiques dégueulasses. Un examen attentif de la pixellisation de ces épreuves truquées qui sont plutôt bien réalisées, m’a permis d’en avoir la certitude.
Par ailleurs, vous vous demandez certainement ce que Pierre-André Vallières fait ici. Et bien, c’est grâce à lui que nous avons pu piéger l’abject individu. J’ajoute pour la personne concernée au premier chef que je suis le seul à avoir vu ces montages réalisés à partir de son visage placardé sur d’autres photos et vidéos probablement récupérées sur internet. J’ajoute que cette personne pourra récupérer intégralement son argent.
Maintenant, ce qui est arrivé à l’une peut arriver à d’autres. Mon conseil : en parler tout de suite à tout le monde, sans honte, sans fausse pudeur. Ceux qui font ce genre de chantage comptent sur le silence volontaire de leurs victimes. Il ne faut pas les laisser faire, jamais ! Nous sommes dans notre bon droit et nous nous défendrons collectivement. Le nombre et l’union ont toujours fait la force.
Ceci exposé, je propose que nous buvions et mangions, je vous reparlerai après d’une idée qui m’est venue.
Eva se leva de son siège d’extérieur et, sous les yeux étonnés mais ravis de Pascal, alla étreindre et faire la bise à Valentin qui lui murmura « Annule ton profil Instagram, tu en créeras un autre plus tard si tu le désires et avant que tu partes, je te donnerai une enveloppe avec les soixante-dix euros que tu as dépensés et que nous avons récupérés. Et surtout, ne pleure pas ! Tu préfères de la limonade ou un soda ?
Les amis de Valentin avaient tous compris en voyant Eva lui faire la bise, aucun ne lui posa de question.

Un quart d’heure plus tard, Valentin reprit la parole.
— Les amis, écoutez-moi encore. Nous savons que nous sommes tous différents…
— J’admire ton sens de l’observation, coupa Pierre-André en éclatant de rire.
— … dans chaque classe il y a des beaux et des moins beaux, des m’as-t-vu et des boloss…
— Des intelligents et des cons, coupa Gilles.
— Des riches et des pauvres, ajouta Lucie.
— Des en pleine forme et des moins bien portants, certifia Florian.
— Des blancs et des non-blancs, hasarda Pauline.
— Des bec-à-sucre et des anti-bonbons, rigola Bouboule.
— Des gentils et des salauds, émit Quentin.
— Tout ceci existe et c’est bien souvent la source de différents, de disputes, de bagarres, de rancœurs et de vexations, en un mot, de harcèlement. Personnellement, je trouve inadmissible d’être pris à partie parce qu’on est différent. Je vous propose donc de créer un club tout à fait informel qui aura pour unique mission de lutter contre le harcèlement. Comment procéder ? Et bien ce club doit avoir une antenne dans chaque classe ou presque, une ou plusieurs personnes observatrices à l’affut de tout ce qui semble anormal. Qu’en pensez-vous ?
— Je vote pour ! lança instantanément Pascal.
— Moi aussi ! continua Gilles.
— Je suis d’accord, approuva Mathilde.
— Super ! Pour gagner du temps, essayons la méthode à Gilles. Qui est contre ?... personne. Qui s’abstient ?... Personne. Accepté à l’unanimité. Maintenant, il faut trouver un nom à ce club. À vos méninges les amis.
— Je propose « les Robin du lac », fit Pascal.
— Les « Tapedurs », proposa Florian.
— Les « anges gardiens » dit à son tour Lucie.
— Les « sauveteurs » suggéra Margot.
— Le « Club Lycéen d’Aide et de Secours aux Harcelés » avança Mathilde.
— C’est bien la définition de ce que l’on veut faire mais comme nom, c’est trop long, critiqua Olivier.
— Oui in-extenso mais pas si tu prends la première lettre des noms pour faire un sigle. Cela donne le CLASH, expliqua Mathilde.
— Ah oui, très bien, s’exclama Amandine, résumant l’avis général.
— C’est effectivement très bien tout ça, mais il va falloir nous faire connaitre, sinon nous ne servirons à rien, réfléchit Quentin.
— Oui, ça c’est effectivement un problème. Quelqu’un a une idée ? fit Gilles.
— Pas facile d’avertir tout le monde en même temps en effet, concéda Valentin.
— Mais si ! intervint Pascal. Il suffirait d’écrire une phrase au tableau avant que les camarades entrent en classe.
— Bonne idée Bouboule, félicita Valentin. Ça pourrait être quelque chose comme « Brimés, harcelés, tabassés, diffamés, rackettés, moqués, volés, faites appel au CLASH. »
— D’accord, mais ensuite pour que celle ou celui qui a besoin d’aide puisse nous contacter, comment s’y prendre ? raisonna Charly.
— Nous allons avoir un ou plusieurs représentants dans chaque classe, il suffit de se faire connaitre, soit par un signe distinctif soit en se présentant, imagina Margot.
— Si on se présente nommément, les harceleurs potentiels vont s’en prendre directement à nous, fit remarquer Eva.
— Oui, effectivement, appuya Pierre-André qui n’avait encore rien dit. Je propose qu’on fasse une petite urne comme pour voter, une sorte de boite à idées dans laquelle ceux qui auraient besoin d’aide pourraient glisser un papier explicatif. Cette boite pourrait être déposée en salle de documentation-bibliothèque avec l’accord de la documentaliste.
— Excellent Pierre-André, félicita Valentin. Il suffirait alors d’ajouter à la phrase au tableau : « boite-contact en documentation. »
— Absolument d’accord, dit Quentin. J’ai de quoi bricoler chez moi, cette boite, je vais la fabriquer en contreplaqué épais et lui mettre une serrure à combinaison, j’en ai récupéré une d’une vieille valise.
— Merci Quentin. Eh bien, je crois que nous avons fait le tour du problème, conclut Valentin. Allez, finissez les bouteilles avant de partir.
— Et prenez les pommes qui restent, ajouta Pauline.