Le visage de Julie Labrune irradiait le bonheur de récupérer son smartphone en bon état, au grand plaisir de Mathilde et Quentin.
— Vous êtes formidables tous les deux. Comme puis-je vous remercier ?
— Tu viens de nous remercier deux fois : d’abord par ton bonheur et aussi par le plaisir d’avoir mis en échec tes voleurs. Et le CLASH n’est pas composé que de nous deux, nous sommes quinze. Notre force c’est le nombre, l’union et l’intelligence collective, répondit Mathilde.
— C’est possible d’adhérer à votre groupe ? Comment faut-il faire ?
— Nous poserons la question aux autres car toutes les décisions se prennent à l’unanimité. Ne cherche pas à nous contacter, nous tenons à rester discrets et anonymes. Nous savons comment te trouver. Ne dis à personne qu’elle et moi faisons partie du CLASH, ajouta Quentin. À plus tard Julie.
Pendant que Quentin et Mathilde se rendaient en documentation, Julie se fit aborder par Rose Lavigne.
— Ah, tu as récupéré ton téléphone, je suis vraiment contente pour toi. Comment as-tu fait ? Il était simplement égaré ?
— Quelqu’un qui était dans le même vestiaire à la même heure que nous avait réussi à me le voler, répondit-elle avec froideur.
— Mais alors, comment as-tu fait pour le récupérer ?
— C’est un mec que je ne connais pas, très grand, très baraqué qui m’a abordée ce matin en disant ; « c’est à toi ce vieux truc ? » Vieux truc ! Un Samsung s20+ avec 128 go !
— Il est vachement bien ce mec, tu peux me le désigner ? J’aimerais lui demander quelque chose.
— Désolée, je lui ai dit merci mais je n’ai aucune mémoire des visages.
À leur entrée en salle de documentation-bibliothèque, Mathilde et Quentin firent un même sourire de connivence à la documentaliste et se dirigèrent vers les rayonnages de livres. Mathilde se mit à consulter les titres et les auteurs sur le dos des ouvrages, masquant Quentin aux regards d’éventuels entrants. Celui-ci ouvrit prestement l’urne fabriquée par lui, y plongea la main, trouva deux feuilles de papier qu’il dissimula dans un livre sorti au hasard en même temps, puis les deux s’assirent à une table de travail.
À la question muette de la jeune fille, il répondit discrètement en montrant pouce et index tendus. Mathilde poussa son livre vers lui et il y glissa une des deux feuilles récupérées. Il ouvrit ensuite son ouvrage qui se trouva être « Malevil » de Robert Merle et entreprit la lecture du papier.
Celui-ci succinctement rédigé indiquait :
« Parce que mon prénom c’est Curt et mon nom Tronchais, certains de ma classe m’appellent Tronche de cul. Je ne leur ai rien fait pourtant. Je ne sais pas quoi faire pour les faire arrêter et ça me démolit. Je suis en seconde 16. »
Lecture faite, il demanda à sa voisine :
— Qu’est-ce que tu as pris comme bouquin ?
— « Ma part d’ombre » de James Ellroy.
— C’est bien ? Montre. Tiens j’ai pris celui-là, regarde. Il n’a pas l’air mal, il parle de guerre atomique.
La teneur du second billet était déroutante :
« Mon copain sent le shit, il embrasse comme un cendrier plein de mégots, ça me dégoûte, mais pour autant je ne veux pas le perdre. Que puis-je faire pour le dissuader ? Je préfère rester anonyme et recevoir une réponse sur un papier par exemple placé sous cette boite. Merci. »
Après un regard de connivence, les deux amis se levèrent, firent enregistrer leurs emprunts et quittèrent la grande pièce silencieuse.
— Nous avons de quoi discuter demain midi, émit Mathilde.
— Ça oui ! Envoyons chacun une photo de notre message aux copains par WhatsApp.
Lors de la réunion du midi qui suivit, Olivier le premier demanda :
— On en prend un ou les deux ou rien ?
— Quand quelqu’un se donne la peine de se confier à ce point, c’est qu’il est en souffrance, jugea Lucie.
— Et quelqu’un qui souffre doit être aidé, appuya Gilles premier supporter de son amie de cœur.
— Je suis plutôt d’accord, même si les demandes paraissent farfelues, dit Valentin. Examinons ces papiers l’un après l’autre, avec méthode. Mettons-nous d’abord à la place de Curt Tronchais. Des avis ?
— Le nom de famille est assez banal, le prénom l’est moins. Imaginons qu’il se prénomme Florian, ou Olivier ou comme n’importe lequel d’entre nous, il n’aurait pas ce problème, analysa Charly. S’il possède un deuxième voire un troisième prénom plus banal, il peut demander à ses profs ou ses copains de l’utiliser.
— Pas mal vu, approuva Valentin.
— Oui, mais ça, c’est seulement une arme défensive voire passive. Cela n’empêchera pas ses harceleurs de continuer à le rabaisser, fit Florian.
— D’accord avec toi, Flo, émit Bouboule. Il faut qu’il soit capable de contre-attaquer en balançant à ceux qui l’embêtent des surnoms dévalorisants. Il faut l’aider à en trouver.
— Pour l’aider, dit Emily, il nous faut la liste des harceleurs de sa classe. Il ne doit pas y en avoir beaucoup, tout le monde n’est pas méchant.
— Bien raisonné Emily, mais il n’y a personne de Saint Thomas dans sa classe sauf le Thénardier et le connaissant, il sera le premier à en rajouter dans la méchanceté. Comment faire ? Personne ne le connait, déclara Olivier.
— J’ai un pote dans ville, un mec sympa qui est en seconde seize. Je vais lui demander de contacter Tronchais. Il pourra établir la liste des noms des mecs à contrer.
— Très bien, félicita Margot. Nous trouverons les antidotes ensuite.
— Deuxième affaire, enchaina Mathilde. Le sujet peut paraitre futile, anodin, être seulement une histoire entre le type et la fille, mais si vous vous étiez à sa place, comment réagiriez-vous ?
— À sa place ? Ben moi, je n’irai pas embrasser un garçon, même s’il a bonne haleine, fit Bouboule, faisant éclater de rire Eva puis tout le groupe.
— Moi, je quitterais le mec, déclara Amadine.
— Évite la fumette, Charly, continua Bouboule, relançant le rire de la petite communauté.
— Mais si tu tiens à ton mec, qu’est-ce que tu fais ? questionna Margot.
— Je lui demande d’arrêter et je trouve les arguments pour ça, déclara Pauline.
— D’accord avec toi Pauline, appuya Valentin. Trouvons toutes les idées pour aller dans son sens et communiquons-les-lui. Là nous n’avons plus le temps avant la reprise des cours mais réfléchissons-y. Rendez-vous demain à dix heures, d’ici là, communiquons par messages.
Le lendemain était un mardi matin de novembre, triste et froid. Abandonnant la table d’extérieur en bois massif qui était devenue leur quartier général, les quinze marchaient de long en large, qui à l’endroit, qui à reculons. Pierre-André fit la première remarque.
— J’ai pu contacter mon copain de seconde seize qui à son tour s’est branché avec Curt Tronchais. Mon pote s’est montré malin, d’une part en demandant la liste des emmerdeurs, - excusez-moi pour le mot mais il n’y en a pas d’autre – mais aussi en lui suggérant de prendre discrètement des photos de ces mecs. Nous en aurons besoin pour les suites à donner. Il n’a pas encore tout collecté, je pense avoir un MMS ce midi, au pire avant ce soir.
— Tu es un gars précieux Pierre-André, félicita Mathilde. Donc nous pouvons traiter d’abord le cas de la fille au copain fumeur de beuh.
— Celui qui pue de la gueu… heu de la bouche, déclara Bouboule, rappelé à l’ordre par un coup de coude d’Eva.
— À mon avis, le gars ne se rend même pas compte qu’il sent mauvais, supposa Emily. Sa copine a deux façons d’agir : soit lui dire directement, soit lui faire comprendre.
— Bien vu, mais comment lui faire comprendre ? On n’a pas conscience de sa propre odeur ! objecta Pauline.
— Tu veux dire de sa sale odeur, se moqua Olivier. Question : pourquoi les filles se parfument-elles ?
— Pour sentir bon, tiens ! répondit Margot.
— Ou pour masquer une autre odeur moins agréable, déclara Amandine la jolie rouquine.
— Imaginons que sa copine sente plus mauvais que lui, il finirait par s’en rendre compte, conclut Lucie.
— Ça ne sera pas très agréable pour elle, mais il faut qu’elle se laisse embrasser quand elle a fait le nécessaire pour refouler du goulot, proposa Olivier.
— Belle expression, très poétique, souligna Mathilde, mais c’est effectivement un truc à tenter. Qu’est-ce qui peut masquer et supplanter l’odeur de la beuh ?
— Ail, oignon cru, échalotte, munster, maroilles, énuméra Bouboule. Il y en a plein d’autres, ça dépend des dégoûts, elle peut même faire un mix.
— J’espère ne jamais en arriver là personnellement, rit Mathilde.
— Nous sommes tous d’accord ? demanda Valentin. Alors qui va lui communiquer notre proposition ? Toi Bouboule ? OK. Fais-lui la suggestion. Pense aussi à lui écrire qu’avant ça, le mieux serait qu’elle en discute calmement avec son ami et qu’elle aborde franchement, après s’être renseignée, le sujet des méfaits de la fumette. S’il est aussi amoureux qu’elle, il comprendra et sinon, c’est elle qui comprendra que ce n’est pas un type intéressant, ceci avec une conclusion logique qui ne peut appartenir qu’à elle.
Nous nous revoyons après la cantine ?