À dix-sept heures et deux minutes, Pauline avec Emily à son côté, smartphone en main affichant à l’écran la photo de Mohamed Thala, détaillait les sortants à la porte du lycée. Emily toucha le bras de Pauline : au milieu de la cohue de la sortie, sac à dos simplement tenu par une bretelle, jean bleu délavé troué aux genoux, sweat à capuche délavé, démarche chaloupée, avançait Mohamed Thala.
— Salut Mohamed, lança Pauline.
— T’es qui toi ?
— Tu ne me connais pas mais nous, nous te connaissons, répliqua-t-elle alors qu’Emily regardait l’adolescent avec son sourire envoûtant. Tu es Mohamed Thala.
— Oui, et ?
— Thala-morve-au-nez.
Le visage du garçon prit un aspect terrible. Il s’avança vers les filles, tête en avant jusqu’à presque toucher celle de Pauline.
— Tu retires ça tout de suite, la meuf sinon…
— Je retire, je retire Thala-verge-molle !
Emily éclata de rire, exaspérant la colère de l’autre.
— Pourquoi tu m’appelles comme ça, qu’est-ce que je t’ai fait ?
— Ah, je n’ai pas le droit ?
— Ce n’est pas une question de droit mais de respect.
— Là, je suis d’accord avec toi. J’arrête si toi tu arrêtes aussi.
— Qu’est-ce que tu racontes, je ne t’ai pas insultée !
— Pas moi mais… si tu vois qui je veux dire !
— Qu’est-ce que ça peut te foutre les autres ?
— Les autres, tu vois avec eux, mais avec mon copain Curt, tu arrêtes, sinon tout le lycée connaitra tes surnoms, hein ? Thala-merde-au-cul ! Allez, Wada’an Mohamed !
Les filles s’éloignèrent sur un dernier rire ironique d’Emily vers le garçon exaspéré. Elles furent rapidement rattrapées par Valentin.
— Bien joué les amies ! Voilà qui s’appelle recevoir la monnaie de sa pièce !
— Valentin, tu étais là ?
— Oui mes jolies, j’ai appliqué la technique du double rideau défensif. Je ne voulais pas qu’il vous arrive quelque chose.
— Il n’aurait pas oser taper sur des filles quand même !
— Allez savoir !
— Merci Valentin d’avoir pensé à nous défendre, répondit Emily en faisant une bise rapide sur la joue du garçon.
Les filles s’éloignaient en direction de l’arrêt du car de ramassage quand elles furent dépassées en trombe par Florian suivi à dix mètres par Quentin. Élégamment vêtu d’un sweat moulant bleu ciel, d’un pantalon étroit bleu foncé, coiffé d’une casquette américaine bleue également, image parfaite du beau gosse sûr de lui, Florian arriva au niveau d’une lycéenne brune, cheveux mi-longs, plutôt jolie qui se déplaçait avec un léger et agréable déhanchement. Il lui toucha légèrement le bras.
— Bonjour. Tu t’appelles bien Amélie ?
La fille tourna la tête puis s’arrêta. Elle eut un sourire interrogateur mêlé d’une pointe de séduction.
— Oui, je peux faire quelque chose pour toi ?
— Beaucoup de choses, Amélie. C’est joli Amélie. Amélie Thirault, c’est ça, hein ?
— Oui, c’est mon nom.
— Amélie, que penses-tu de ceux qui déforment un nom ou un prénom ou les deux pour rabaisser, dévaloriser, humilier celui -ou celle- qui le porte ?
— Qu’est-ce que tu veux dire exactement ?
— Certains m’ont suggéré de t’appeler Amélie Tyrolienne, d’autres Amélie Tire-au-flanc ou pire Amélie Tire-au-cul. Moi, je ne suis pas pour, mais toi, qu’est-ce que tu en dis ?
— C’est débile et dégueulasse !
— Tu es d’accord pour que ça ne t’arrive pas, n’est-ce-pas ?
— Ben évidemment !
— Alors il faut que tu arrêtes d’appeler notre copain Tronche de cul. Tu vois de qui je veux parler ? Allez, salut Amélie Hon hon hon.
Et Florian tourna le dos à la fille. Il se dirigea vers l’arrêt du car scolaire de plus en plus emprunté par ceux de Saint Thomas. Quentin le rejoignit et fit un simulacre d’applaudissement.
— Je te savais costaud, fonceur et même rentre-dedans mais je ne te connaissais pas cette qualité de diplomate ! Chapeau Florian !
Eva et Lucie durent attendre la reprise du lendemain matin pour repérer leur cible : une grande et grosse fille, jeans boudiné et sweat trop grand, cheveux filasse et baskets surélevés. Un peu indécises, les deux amies marchaient derrière Manon Toussaint.
— C’est elle la Manon ? finit par dire Lucie pour lancer la séquence.
— Si tu parles de la Manon Tous-seins--tout-plats, non, ce n’est pas elle.
La fille se retourna, jeta un regard mauvais à ses deux suiveuses mais continua son chemin.
— Elle c’est la Manon Tous-seins… pendants, continua Lucie, c’est comme ça qu’on a tous, pas saints, décidé de l’appeler.
Leur cible fit un demi-tour brutal. Elle allait saisir Lucie par le devant de son petit gilet quand elle fut bousculée à l’épaule par Gilles.
— Oh, pardon Manon Toussaint-pendants, fit le garçon.
Manon d’un geste rapide pour sa corpulence saisit le bras de Gilles et l’apostropha :
— Toi le gringalet, si tu répètes ça, je t’en colle une !
C’est le moment que choisit Valentin pour la bousculer du côté de son bras libre.
— Oh, pardon Manon Toussaint-pendants, fit-il à son tour.
La grosse fille sans lâcher Gilles saisit Valentin par une bretelle de son sac à dos. Ce dernier fit mine d’avoir peur et leva un avant-bras comme pour protéger son visage. Bien synchronisé, Bouboule arriva en courant et percuta la Manon de face en pleine poitrine.
— S’cuse Manon Toussaint-pendants, j’t’avais pas vue, mais même pas mal, c’est vachement rembourré, fit-il hilare en s’éloignant de deux mètres.
— Qu’est-ce que vous avez tous à m’appeler comme ça, les débiles.
— Ben ça va être ton surnom dans tout le lycée, Manon Gros seins heu pardon, Manon Toussaint pendants, asséna Lucie en se tenant à bonne distance.
À cet instant, Gilles, d’un moulinet du bras se dégagea pendant que Valentin abattait son bras levé sur le poignet de son adversaire pour lui faire lâcher prise. Ils étaient maintenant cinq à l’entourer.
— Ce n’est pas agréable d’être surnommée comme ça, n’est-ce pas Manon ? Il ne tient qu’à toi que ça s’arrête tout de suite.
— Vous vous êtes donné le mot tous les cinq, hein ? Vous croyez que des gringalets comme vous vont faire la loi ici ?
— Allez, corrigea Valentin.
— Allez quoi ?
— On doit dire « allez faire la loi. » et si tu crois qu’on est cinq, tu ne sais pas compter, ajouta Valentin en faisant un geste de ralliement aux autres amis qui, à faible distance, observaient la scène.
Ceux-ci en ordre dispersé vinrent se positionner en un second cercle autour des cinq entourant Manon.
— Salut Manon Toussaint pendants, firent-ils l’un après l’autre.
— J’en appelle d’autres où cela te suffit ? bluffa Florian.
— Bon, qu’est-ce que vous voulez à la fin ?
— C’est simple, Manon Toussaint, que tu ne fasses pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse. Tu connais Curt Tronchais ? Oui, bien sûr, il est dans ta classe, et bien c’est notre pote ! affirma fermement Lucie. À bonne entendeuse, salut !
Au tour de Jules Thouvignon, maintenant arbitra Pierre-André. Comment vas-tu t’y prendre, Charly ?
— Je propose la même tactique que pour la Manon mais en faisant la chenille. Passons l’un après l’autre près de lui en lui balançant une variante de son surnom : Troufignon !
— OK, c’est ta cible, c’est toi qui décides, acquiesça Olivier. Tu l’as repéré ?
— Oui, il est là-bas avec une fille, près du dernier platane. J’attaque et je repasserai en dernier pour la morale de l’histoire.
— OK, nous suivons, approuva Valentin.
— Bonjour mademoiselle, salut Troufignon ! fit Charly en passant sans s’arrêter près des deux adolescents.
Le garçon sursauta puis secoua négativement la tête pour signifier « Quel imbécile ! » Cinq secondes après Valentin enchaina :
— Salut La Troufigne ! Mes hommages mademoiselle.
Mathilde, Olivier, Lucie, Gilles, Emily défilèrent ensuite puis tout le reste de l’équipe.
— Coucou Troumignon ! Hé, bonjour Trou qui pue ! Ça va monsieur Dutrou rond ! Bien le bonjour Rond du trou ! Hello asshole !
Quand Bouboule, dernier de la chenille eut lancé « Bonne journée Trou trou trou ! » Charly revint devant le couple. La fille n’était pas loin d’éclater de rire et le garçon ne savait quel comportement adopter. Charly prononça :
— Qu’est-ce que tu en penses, monsieur Troufignon ? Désagréable, hein ? Surtout devant une aussi jolie personne ! Alors Jules Thouvignon, maintenant tu as le choix : ou tu continues à surnommer notre copain Curt et pour tout le lycée tu garderas ton délicat pseudonyme, ou tu renonces définitivement et pour nous, ça s’arrête là. Salut !