VALENTIN AU LYCÉE

21. Sollicitations

Quand, début décembre, Mathilde et Quentin relevèrent le contenu de l’urne du CLASH, ils en sortirent quatre messages.
Le premier, lapidaire, disait : « Je voudrais faire comme vous, comment débuter ? Marina D. »
Le deuxième était une petite supplique : « Il y a un terminale qui pique mon dessert à la cantine. Il est grand et costaud mais pas moi. Julien F, table au milieu. »
Le troisième, très altruiste, indiquait : « Je trouve qu’une fille de ma classe ne va pas bien. Elle se cache pour pleurer. Je crois qu’on la harcèle. Que peut-on faire ? Elle s’appelle Margaux. »
Le dernier, beaucoup plus long, était aussi beaucoup plus inquiétant : « Je ne peux indiquer ni mon nom ni ma classe. L’an dernier au collège, j’avais besoin de thune et j’ai fait la bêtise d’accepter de faire le chouf. Maintenant on veut m’obliger à continuer le business. Comme j’habite avec ma mère handicapée dans un petit F2 bien situé, on veut qu’elle serve de nourrice. Je ne veux pas qu’elle trempe dans ce trafic dégueulasse. J’ai bien aimé Jessica B. »
Mis au courant à la récréation de dix heures, le groupe commença par constater la forte augmentation du nombre des messages et donc des appels au secours. Devant l’impossibilité de tout examiner en profondeur le midi même, Charly prit la parole :
— Il me semble que nous pouvons nous répartir les trois premiers papiers mais le quatrième suppose que nous réfléchissions très profondément au problème. Je propose que nous nous réunissions chez moi ce soir pour en discuter à tête reposée.
— C’est une bonne idée Charly, approuva Amandine mais il y a des parents qui vont poser des questions.
— Il n’y a qu’à dire que nous préparons des exposés, suggéra Bouboule.
— S’il y en a qui ne peuvent pas venir car à cinq heures et demie, il fait déjà nuit, et là je pense surtout aux filles, il faut les maintenir au jus par leur portable.
— Tu as raison Olivier, Lucie comme moi n’avons pas l’autorisation de sortir seule le soir, conforta Eva.
— Pareil pour moi, dit Margot. Je pourrais probablement sortir mais il faudrait que deux garçons passent me chercher.
— Je veux bien me dévouer, se moqua Olivier.
— Je veux bien vous chaperonner, s’amusa Valentin en écho.
— Je passe te prendre en vélo, proposa Pauline à Amandine.
— Je n’y serai pas ce soir mais je vais réfléchir au problème de mon côté, dit Mathilde.
— En attendant, répartissons-nous le travail, suggéra Quentin. Pour le mec à la cantine, qui veut s’en occuper ?
— Je prends, dit Bouboule, j’ai des solutions, ça va être réglé en deux-deux mais j’ai besoin d’un peu d’aide, tu veux Eva ?
— Heu non, je préfère m’occuper de la fille qui pleure.
— Je suis avec toi Pascal, dit Pierre-André qui n’avait pas encore la familiarité des autres envers Bouboule.
— Bien, enchaina Mathilde, donc Eva prend le problème de la fille possiblement harcelée.
— Oui, car je sais ce que c’est, avec la Morgane qui m’embêtait quand nous étions en cinquième. Je veux aider cette fille.
— Je veux aussi aider Margaux, déclara Margot. Par solidarité de nom. D’accord Eva ?
— Bien sûr. Il faut aussi un garçon costaud avec nous au cas où la force s’imposerait parce que nous ne faisons pas le poids.
— J’en suis, dès que vous me faites signe, proposa Olivier.
— Moi aussi, ajouta Florian, si personne d’autre n’a besoin de mon physique.
— Merci. Tout d’abord, il nous faut savoir qui est exactement cette Margaux, dans quelle classe elle est, à quoi elle ressemble et ensuite l’observer si nous le pouvons ou alors confier cette tache à quelqu’un de confiance. Procédons par ordre, y a-t-il une Margaux dans votre classe ?
— Il y a moi en seconde deux, mais je suis la seule, s’amusa Margot.
Personne d’autre ne prenant la parole, Eva continua son raisonnement :
— J’élimine les classes dans lesquelles il y a quelqu’un de notre groupe : les secondes1,2,4,5,6,9,10,12,14 et 18. Il faut enquêter dans les secondes 3,7,8,11,13,15,16 et 17.
— Les jumelles sont en seconde 3, je vais demander à Océane, proposa Florian, amenant un sourire sur les lèvres de Valentin.
— J’ai des amis du foot, Paul Jodier en seconde 8 et Abdon Théophile en 16, je leur poserai la question, aida Pierre-André. Ah, j’ai aussi Julien un autre pote, Julien Gauthier en seconde 7.
— Donc nous n’avons personne pour les secondes 11,13,15 et17, se désola Margot.
— Mais si ! Enfin indirectement, par les regroupements en gym. La 11 a sport avec la 12, la 13 avec la 14, les 15 et 17 en même temps que la 18 sauf erreur de ma part.
— Bouboule, tu es génial, comme d’habitude, félicita Gilles. Donc dans deux jours nous saurons dans quelle classe elle est.
— Si elle est en seconde ! tempéra Mathilde.
— Ce ne serait pas plus simple de demander à la doc ? fit Quentin.
— Non, s’opposa Valentin. Imaginons que nous ayons besoin de recourir à la force pour calmer les harceleurs, elle serait obligée de s’opposer. Je préfère qu’elle ne soit pas au courant et ne se sente pas obligée de poser des questions ni de faire des déductions.

— Qu’est-ce que tu fais Bouboule au pied de cet arbre, à gratouiller la terre ?
— Je me procure des munitions, il me faut un joli petit caillou.
— Tu veux caillasser quelqu’un ? continua Pierre-André.
Bouboule eut un sourire jusqu’aux oreilles.
— Non, pour me défendre j’ai un certain Vallières Pierre-André, tu connais ? Ça sonne, on voit les autres après le repas, d’ac ? On aura sûrement des nouvelles à leur donner, conclut Bouboule.
Pierre-André, à midi, quand nous entrerons dans le grand réfectoire, avec ta grosse voix, appelle Julien pour que je le repère. Ensuite j’irai me mettre à sa table, à côté de lui et après, ce sera la grosse rigolade. Quel est le choix du dessert aujourd’hui ?
— Je crois que j’ai lu crème dessert au chocolat ou salade de fruit.
— Hum, je me régale d’avance et comme plat principal ?
— Filet de merlu et frites.
— Impeccable.

Bouboule attendait, plateau garni dans les mains, que Pierre-André s’avance et appelle.
— Julien, Julien, t’es où ? Julien !
— C’est bon, il a sursauté, je l’ai repéré, mets-toi à une table pas loin de nous.
Bouboule se faufila rapidement dans la cohue des demi-pensionnaires et s’installa à table à côté d’un garçon lui ressemblant un peu par ses lunettes rondes, sa petite taille et ses joues pleines.
Devant son voisin interloqué, il renversa ses frites sur son plateau et, mangeant une sur deux, il disposa chaque fois la seconde sur son assiette de façon à former le sigle CLASH. Son voisin ouvrit la bouche pour poser une question mais Bouboule prestement lui glissa une frite dans le bec, fit de même pour lui en laissant un instant son index verticalement devant ses lèvres.
— Ne sois pas étonné de ce que je fais… chantonna-t-il.
Il saisit la coupe de fruit du dessert de son voisin, sortit la trousse qu’il avait dissimulé sous son sweat-shirt, en sortit un caillou noir de la taille d’un grain de raisin qu’il laissa tomber dans la coupe. Il s’intéressa ensuite à son ramequin, il y versa le reste de sa trousse, touilla et attendit la suite du scénario prévu par lui. Un grand adolescent, moustache et barbe naissantes finit par se lever d’une table près des fenêtres et se diriger sans hésiter vers eux. Julien apeuré rentra sa tête dans les épaules. Le grand costaud lui prit sa coupe de fruit. Bouboule intervint alors :
— Hé qu’est-ce que tu fais machin ? Ce n’est pas à toi ce dessert !
L’autre toisa Bouboule avec un rictus méprisant.
— Tu la ramènes le bizut ? Et bien à partir de maintenant c’est la taxe pour toi aussi, mauviette ! fit-il en saisissant le ramequin plein de crème au chocolat avant de regagner sa place d’un pas chaloupé.
— Regarde le en douce, fit Bouboule à son voisin, tu vas te marrer.
Le grand ado posa la coupe de fruits devant son voisin et entama le ramequin de crème au chocolat. C’est en avalant une deuxième cuillerée qu’il se rendit compte que quelque chose n’allait pas. Il plongea pouce et index dans le dessert volé et en sortit comme une courte ficelle ondulante.
« Beurk ! » fit-il plié en deux en renvoyant tout son repas sur le carrelage de la grande salle.
« Aïe ! » fit son voisin en appuyant une main sur le côté droit de sa mâchoire. « Putain, je me suis cassé une dent ! Qu’est-ce que t’as mis dedans ? »
N’en finissant pas de vomir, le premier ne put répondre. Quand il finit par relever la tête, il fonça vers la table de Bouboule et Julien. À trois mètres de celle-ci, il freina brutalement. Pierre-André, Olivier, Quentin et Florian, Gilles et Valentin entouraient les deux garçons.
— Si tu t’en prends encore à nos copains, espèce de barbe dégoulinante, c’est à nous que tu auras à faire, comprendido ? articula Florian. Verstanden ? Inteso ? Understood ? Compris ? ajoutèrent les autres.
— Qu’est-ce que tu as mis dans ton dessert ? finit par demander Julien épanoui à son nouveau voisin de table.
— Dans la coupe de fruits, un petit caillou apéritif noir comme un grain de raisin, pas forcément très propre, et pour le barbu, quelques annélides de la famille des Lumbricidae, vulgairement appelés vers de terre !
— Bouboule, tu es impayable ! commenta Valentin en se tordant de rire, et toi Julien, si on t’embête encore, fais-nous-le savoir. Tu as le bonjour du CLASH.