Gilles, installé à son petit bureau chez lui dans sa chambre, la tête dans les mains, réfléchissait à la meilleure façon de contacter celui qui avait sollicité leur assistance.
« Voyons, ce gars veut qu’on l’aide mais veut rester anonyme. Il semble cependant proposer un moyen de correspondre car ce qu’il cite : Une lettre de vous par Jessica Brockmole existe bien dans le rayonnage concernant les écrivains dont le nom commence par B. Donc il attend une initiative du CLASH. Je présume qu’il ne veut pas une lettre en clair, mais pourquoi ?
Mais oui ! Il est probablement surveillé dans le lycée même. Si celui qui l’espionne ouvre ce livre et trouve un mot compromettant, mon correspondant risque de graves ennuis, des représailles, donc il faut que je trouve un moyen de coder ma réponse. D’abord lui montrer que nous nous occupons de son cas. »
Gilles prit un quart de feuille de copie et, en adepte de l’écriture abrégée, écrivit :
1-1-10-p.-T-D ?
Qui/Toi ?
.10L ?
Bon, pas mal. Maintenant la boite aux lettres…
G Aymé le chat.
« Voilà, j’espère qu’il va comprendre qu’il nous faut un indice, un nom pour pouvoir l’aider et l’endroit où mettre sa réponse. »
Le lendemain dès huit heures, Gilles sortit le livre de Jessica Brockmole, introduisit son papier au milieu des pages et le replaça comme s’il n’était pas intéressé.
Au même moment, chez elle également, Mathilde rédigeait une lettre suite à la demande de Marina D. « Je voudrais faire comme vous, comment débuter ? »
« Bonjour Marina,
D’abord, nous pensons que ceux qui veulent aider les autres sont de belles personnes et nous te remercions de vouloir t’engager dans cette démarche.
Quelqu’un qui a besoin d’aide est toujours une personne vulnérable.
Pour l’épauler, il vaut mieux ne pas être seul(e) : trois est un minimum car aider demande de l’intelligence, de la réflexion, de la sensibilité et… de la force parfois !
Quand on perçoit un appel au secours, qu’il soit formulé ou pas, il ne faut pas le prendre à la légère car il s’agit toujours d’un vrai besoin, souvent difficile à formuler par le demandeur.
Il faut toujours commencer par créer un climat de confiance et ensuite ne pas décevoir, donc s’adapter et agir.
Voilà, Marina, ce que nous pouvons te conseiller pour le moment.
Au nom du CLASH,
Mathilde M.
Gilles dut attendre le lendemain midi pour trouver, dans les contes du chat perché de Marcel Aymé, une réponse à son message.
Il s’attendait à un énoncé clair du problème, il ne trouva dans cet excellent livre qu’un papier dont la teneur lui sembla sans queue ni tête.
ACN-NI-T5
-O↓U
¼-⅓-10L-+
« C’est mission impossible de décoder tout ça… » songea-t-il avec découragement. Je vais quand même soumettre cela aux amis, je verrai bien ce qui va en sortir. Il recopia soigneusement les questions codées qu’il avait transmises et les réponses obtenues puis les expédia par texto aux membres du CLASH.
Lors de la réunion qui suivit, tous se grattèrent longuement la tête sans qu’une solution n’apparaisse.
— Voyons, finit par dire Valentin, tu as écrit en codé-abrégé, il semble que ce gars a pigé quelque chose puisqu’il te répond en abrégé également. Répète-nous ta première question.
— Je lui demande « 1-1-10-p.-T-D ? » soit « un indice pour t’aider ? »
— Bon, il indique quelque chose dans ses réponses, donc il semble avoir compris. Ta seconde question était ?
— Je suppose que ce lamentable commerce est hiérarchisé. Je lui ai donc demandé « Qui/Toi ? » donc : « Qui au-dessus de toi ? »
— Je suppose que sa première ligne répond à ta question. Que veut-il dire par « ACN » ?
— Tu peux répéter, Valentin ? interrompit Pierre-André.
— Oui, bien sûr. ACN ça t’évoque quelque chose ?
— Peut-être. Quand j’étais au collège en cinquième, il y avait un mec de troisième qui se nommait « Hacen. »
— Hacen comment ? sursauta Gilles.
— Hacen Henni…
— Bingo ! NI égale Henni, s’écria Gilles, donc T5 c’est « terminale cinq. »
— C’est possible mais ensuite O, flèche vers le bas et U ? demanda Quentin.
— Au-bas-hu. Au bahut, tout simplement traduisit Bouboule dont les facultés auditives demeuraient exceptionnelles.
— Hacen Henni terminale 5 au bahut. Nous avançons, se réjouit Gilles. Passons à la ligne suivante. Je lui demandais « .10L ? » pour Point de Deal. Il répond « ¼-⅓-+ »
— Prononce distinctement tout haut, demanda Bouboule.
— Si tu veux : un quart, un tiers et une croix. Tiens voici l’original de son papier.
— Tu lui demandes un point de deal, il répond quart et tiers, ça veut dire quartier.
— Mais la croix, objecta Gilles.
— La croix est rouge, donc il s’agit du quartier de la croix rouge, fit Bouboule avec un sourire jusqu’à ses oreilles.
— Ah oui, bravo Pascal, félicita Eva. Qui sait situer ce quartier ?
— Il n’est pas très loin d’ici. Ce n’est pas l’endroit le plus riche de la ville, répondit Pierre-André.
— Si je récapitule, reprit Valentin, l’an dernier, ce gars a fait le chouf dans ce quartier, donc il est de là-bas. Il y habite avec sa mère et quelqu’un veut qu’elle serve de nourrice donc que leur logement soit utilisé pour servir de réserve de beuh, de shit, voire de blanche ou de médocs. Qui est ce quelqu’un ? J’ai eu l’occasion de discuter de ce type de trafic avec l’adjudant-chef Lemoine, tu te rappelles Gilles ? C’était à propos de Quentin et Mehdi. D’après Lemoine, le personnel de ce lamentable commerce est fortement hiérarchisé, je pense que vers le bas, seul le Hacen Henni connait notre correspondant, sa mère, son lieu d’habitation et vers le haut, le Hacen a un demi-grossiste et il ne connait que lui.
— Et au même niveau que Hacen ? s’inquiéta Gilles.
— Ses alter ego si on peut dire, répliqua Olivier, seront trop contents de récupérer sa part donc ses bénéfices, non ?
— Conclusion ? voulut savoir Florian.
— Ne va pas trop vite Flo. Premier point : Pierre-André, tu saurais reconnaitre ce Hassen ? Le prendre en photo pour nous ? continua Valentin.
— Ça peut se faire.
— Deuxièmement, il faut essayer de persuader ce dealer d’arrêter son trafic, donc de ficher la paix à notre correspondant. Nous allons rédiger pour Hassen une lettre sensée être la même que celles que nous allons menacer d’envoyer à l’adjudant-chef de gendarmerie Lemoine à Saint Thomas, au lieutenant Marchais du commissariat local, au commissaire de police, au proviseur du lycée, au maire de la ville et au préfet si dans une semaine il n’a pas arrêté toute activité dans son coupable domaine. Nous nous arrangeons pour glisser la lettre dans ses affaires. Qu’en pensez-vous ?
— Ces personnalités peuvent très bien ne rien faire, observa Quentin.
— Nous écrirons dans l’en-tête de la lettre : « copie adressée à untel, untel, unetelle etc. » À passer cela sous silence, ces personnalités auraient trop peur d’être accusées d’inaction. C’est du moins ce que pensera ce type. Mais rappelez-vous qu’au départ, il s’agit uniquement d’une menace, d’un chantage disons… moral. S’il y a besoin d’aller plus loin, nous enverrons effectivement les lettres.
— Je crois que je vais bien aimer ce chantage-là, approuva Gilles. Dis Val, tu te charges de rédiger le mot d’amour pour Hacen ?
— OK, je prends le relai.
Le CLASH à
Hacen Henni
Terminale 5
Objet : mise en demeure.
Hacen,
Le CLASH a découvert que tu es un dealer.
Le CLASH te demande de stopper ce commerce malsain.
Le CLASH a des yeux partout.
Le CLASH te donne une semaine pour tout arrêter.
Sinon le CLASH expédiera au proviseur de ce lycée le message suivant :
Le CLASH a découvert la présence d’un dealer dans la classe de terminale 5 du lycée.
Celui-ci se nomme Henni Hacen et il opère en ville dans le quartier de la Croix Rouge.
Copie sera envoyée par courrier postal aux autorités ci-nommées :
- Le lieutenant de police Marchais.
- L’adjudant-chef de gendarmerie Lemoine.
- Le commissaire de police de la ville.
- Le préfet du département.
- Le recteur de l’académie de Grenoble.
Les enveloppes sont prêtes, le texte est imprimé.
Tout sera détruit dès que nous constaterons la fin de ton trafic dégueulasse.
Signé : Le CLASH.
La drogue est un poison, les drogues douces n’existent pas.
Les dealers empoisonnent leurs acheteurs.
Le narcotrafic est un cancer pour les sociétés.
Chaque « pétard » enlève un jour de vie.
Chaque « ligne de poudre » abrège la vie d’une semaine.
Les médocs que tu vends ne soignent pas mais tuent.
Le lendemain, Valentin présenta le texte qu’il avait imaginé à son équipe d’amis.
— Super ta lettre ! admira ironiquement Gilles. Je n’aurais pas fait beaucoup mieux. Comment va-t-on faire pour la lui faire parvenir ?
— Demandons à Camille la sœur d’Amandine de s’en charger. Elle est futée, elle trouvera bien le moyen de le faire sans se compromettre.
La photo de ce Hacen prise par Pierre-André et reçue sur son smartphone permit à Valentin de repérer l’individu parmi les mille cinq cents élèves du lycée. Désireux de connaitre ses fréquentations, il l’observa pendant plusieurs interclasses. Il stationnait souvent au milieu de la cour du lycée en compagnie de Loïs Dumarest, de Mathis Legrand et de Nathan Girard, ses premiers contacts dans cet établissement, contacts un peu rugueux pour trois d’entre eux.
À l’heure de la sortie, plusieurs fois il les repéra et constata qu’ils n’attendaient ni bus, ni car de ramassage. « Donc ils habitent non loin d’ici » déduisit-il. Il enregistra mentalement l’information et chassa l’affaire de ses préoccupations le jour ou Gilles trouva dans le livre lui servant de boite à lettre un message indiquant : « Top ! Merci le CLASH. »