VALENTIN AU LYCÉE

25. David et Goliath

Les jours étaient à leur plus court.
S’il ne faisait pas encore nuit, le ciel couvert ajoutait encore à la pénombre ambiante. Valentin, en compagnie de ses amis rentrant à Saint Thomas du lac en bus scolaire, attendait l’ouverture des portes pour monter. Une violente charge dans le dos le projeta contre la paroi du véhicule. Avant de cogner, il eut le réflexe de se retourner à moitié, ce qui lui permit non seulement d’éviter de s’écraser le nez contre la tôle mais aussi d’apercevoir la silhouette de son agresseur. Trop de monde stationnait à cet arrêt, impossible à lui de répliquer physiquement. Comme l’autre s’éloignait, riant avec ses copains de ce qu’il pensait être une blague très amusante, Valentin lui cria : « À demain Loïs Dumarest ! »
Dans le car de retour, il songea : « Je crois malheureusement qu’il va falloir à nouveau me faire une place au soleil ! Cette fois, il s’agit d’un mec de terminale : dix centimètres, quinze kilos et deux ans de plus que moi. Il faut que je réfléchisse à l’organisation de notre entrevue qui va s’avérer musclée. Il doit se croire beaucoup plus fort que moi donc si au départ je prends un air craintif, effrayé, il ne se méfiera pas. Ensuite, voyons…
C’est un droitier, donc en garde normale il aura le poing gauche en avant et naturellement voudra taper du droit, son bras le plus fort. Il a plus d’allonge que moi, il faut donc que je me place en fausse garde. Dès qu’il cogne, je bloque son poing de ma main droite avant son allonge complète. Aussitôt je pousse violemment son coude vers le haut avec ma main gauche. Pour éviter d’avoir mal, il va se lever sur les pointes des pieds. À ce moment, un bon balayage de son pied avant devrait le projeter au sol. Il va tenter d’amortir sa chute avec ses mains donc offrir son visage à mon poing droit. Si après ça il n’en a pas assez, j’enchaine en boxe française avec un coup de pied de pointe au bas-ventre qui devrait le sécher pour le compte.
Maintenant, il va peut-être organiser ses copains en groupe de renfort… Ceux-ci n’interviendront pas au départ, persuadés qu’ils seront de la victoire de leur champion. Mais ensuite, il faut que mes amis soient placés en opposition et en surnombre. Florian ? Incontestable, Olivier et Quentin ? Bien sûr ! Charly voudra en être, peut-être aussi Pierre-André et Gilles qui maintenant sait se battre. Bon, je briefe Flo et Gilles à la descente du car et texto pour les autres.

Le lendemain à dix heures, Valentin alla se placer non loin de Loïs Dumarest lequel discutait avec ses trois copains de la veille. Il prit un air indécis, regardant son futur adversaire en biais, sans rien dire ni faire, attendant que l’autre prenne l’initiative.
— Qu’est-ce que tu veux, toi ?
— Nous avons commencé une discussion hier soir, tu te rappelles bourricot ? J’attends la suite.
— Tu veux ta branlée, minus ?
— Plus facile à dire qu’à faire, répliqua Valentin en se mettant en position de garde de boxeur droitier.
— Puisque tu y tiens, morveux, fit Loïs en se mettant lui aussi en garde sous les regards amusés de ses copains.
Comme l’autre s’avançait, Valentin se mit à reculer jusqu’à ce qu’il arrive vers le groupe de ses amis. C’est le moment que choisit son adversaire pour cogner. Dès qu’il vit partir le coup, Valentin d’un preste sursaut changea sa position de garde, bloqua le poing frappeur tout comme il l’avait imaginé, le leva violemment et fit un puissant balayage du pied contre la cheville de son adversaire qui expédia Loïs au sol. Un peu sonné par sa chute, l’autre tenta de se relever en prenant appui à terre de ses deux mains et fut alors cueilli par un gauche-droit au visage. Hassen s’avança alors mais son passage fut aussitôt bloqué par le rideau des amis de Valentin.
— Chacun son tour, Hassen de mes amours, ironisa Florian. Voyons, tu préfères te battre contre le petit teigneux qui vient de mettre ton pote KO ou contre un grand costaud comme moi par exemple ? Dépêche-toi, il ne reste que trois minutes avant la reprise des cours, juste le temps d’un round, le temps de t’Hassen-ner quelques crochets des deux poings.
— Comment tu m’connais, toi le malin ?
— Pour mon nom, tu y es presque. Pour le tien, c’est que tu es bien connu dans ton quartier, dans le lycée et bientôt tu le seras dans toute la ville. Tu sais qu’on t’appelle aussi bullshit1 ? Mais peut-être préfères-tu qu’on te nomme bullbeuh, c’est joli comme nom de commercial, non ? Ou alors HassenYokes, HassenBlind, HasssenTabs.
— On se retrouvera bientôt tête de nœud, tu vas regretter tes paroles !
— Quand tu voudras, face de cul !

— Et bien dis-donc ! Tu en connais un rayon sur les dealers et leur langage ! s’étonna Valentin.
— Ben quand j’ai su que le CLASH allait traiter une histoire de drogue, je me suis renseigné sur ces poisons et les résultats de leur consommation ne sont pas beaux à voir.


1 Bullshit : juron américain signifiant merde de bison (bull=bison.)
La résine de cannabis est appelée shit (traduisez vous-même.)
On appelle beuh les feuilles de cannabis séchées.
Les Yokes désignent des comprimés d’extasy. (toxique du système nerveux.)
Le Blind désigne la kétamine (poudre hallucinigène anesthésique pouvant causer divers accidents.)
Les tabs désignent les cachets de LSD (puissant hallucinogène.)
Toutes ces drogues, très addictives, détruisent le cerveau à plus ou moins long terme.