VALENTIN AU LYCÉE

27. Emily

Janvier. L’hiver savoyard étendait sur la ville son lot de pluie, de brouillard et de froid mais aussi des journées radieuses sous un ciel immaculé.
C’est par une telle journée qu’Emily, anorak blanc, jupe rouge sur les leggings couleur chair, les joues avivées par l’air vif de la fin d’après-midi aborda Valentin, prit son bras et l’entraina à l’écart de Gilles, Lucie, Pascal et Eva avec qui il discutait.
— Je peux te parler Valentin ?
— Mais oui. De qui veux-tu me dire du mal ?
Elle regarda attentivement le garçon mais ne put discerner aucune agressivité dans son attitude, simplement de l’amusement.
— Je ne sais pas trop comment commencer, surtout après notre… histoire, quand j’habitais encore à Brighton.
— Je vais te dire un truc. Quand tu fais une recherche sur internet, tu utilises des mots-clés, n’est-ce pas ? Alors, balance-moi des mots-clés.
— Amour non partagé.
— Ah ! Sujet à la fois vaste et intime qui fait appel aux phantasmes et à la déraison. Je ne suis pas un spécialiste en ce domaine.
— Nous avons vécu l’un et l’autre quelque chose d’approchant, n’est-ce pas ? Mais ce n’est pas de nous deux dont il s’agit. Tu sais que je suis en seconde S6 ? Et bien dans cette seconde il y a un garçon qui me harcèle…
— Hein ? Le CLASH va vite mettre fin à son agressivité.
— Non Val, ce n’est pas ce que tu crois. Il me harcèle de petits papiers avec des mots gentils, trop gentils. Il m’offre des friandises, me sourit tout le temps. Il a changé de place en classe pour se mettre à côté de moi. Il fait des compliments sur mes vêtements, ma coiffure et… hier… il m’a dit…
— Oui ?
— Il a dit qu’il m’aimait, avoua la jeune fille en rougissant.
— Ah. Et toi, tu l’aimes ?
— Tu sais bien que non. Je veux qu’il cesse mais je ne sais pas comment faire.
— Pourtant tu as déjà réussi ce genre de chose si je me rappelle bien.
Des larmes perlèrent dans les yeux bleu myosotis de la jolie jeune fille.
— Je m’en veux encore ! Tu n’oublieras jamais, hein ? Tu ne peux pas savoir…
— Soyons précis, qu’est-ce que tu veux ? Est-ce que ce garçon te plait ? coupa Valentin.
— Il n’est pas laid, il est gentil, pas trop bête mais ce n’est pas le genre de garçon qui m’attire, qui me plait.
— As-tu accepté des cadeaux venant de lui ?
— Au début, il m’est arrivé d’accepter un chewing-gum.
— Erreur ! Tu as amorcé une pompe aspirante. Tu veux donc un conseil pour l’éloigner ?
— Heu, je veux lui faire croire ou plutôt constater que… je suis avec un autre garçon.
— Moi, par exemple ?
— C’est à toi que j’ai pensé d’abord.
— Donc, si je comprends bien, tu veux que nous nous promenions main dans la main, que nous nous tenions par la taille et par l’épaule, que nous nous embrassions devant lui.
— Ça devrait lui faire comprendre.
— Tu ne veux pas essayer avec un autre de notre équipe ?
— Florian est avec Océane, Charly avec Amandine, Gilles avec Lucie, Olivier avec Margot. Je sais que Quentin est secrètement amoureux de Mathilde, Pascal est fou d’Eva et Pierre-André s’affiche avec Marine.
— Tu veux me faire croire que tu n’as pas le choix. Dans ta classe il y a d’autres garçons, non ?
— Je ne vois pas demander cela à un inconnu et puis aucun ne me plait vraiment.
— Donc, tu viens me piéger.
— C’est un piège si désagréable ? fit-elle avec le sourire divin que savent si bien montrer les filles qui veulent séduire. Nous allons un peu flirter comme ça, c’est tout, ajouta-t-elle en croisant deux doigts derrière son dos.
— Tu veux commencer quand ? capitula Valentin.
— Oh, merci, merci Valentin. Il m’a fait parvenir un papier disant qu’il a un beau cadeau pour moi et qu’il m’attendra à la sortie cet après-midi.
— Pourquoi t’attendre ? Vous êtes dans la même classe, non ?
— Nous avons gym de trois à cinq. Il sait que la prof de gym des filles déborde toujours l’horaire. Je voudrais que tu me guettes dans la cour, que tu viennes vite au-devant de moi et que nous sortions en nous tenant la main.
— Tu sais que toute effusion est en principe interdite dans l’enceinte du lycée ?
— C’est un bien petit risque que je te demande.
— OK. Je vais faire ça pour toi. À quoi ressemble-t-il ton Casanova ?

À cinq heures, fin des cours, Valentin laissa partir Pierre-André avec le reste de la classe et attendit en essayant de repérer l’apprenti séducteur. À cinq heures et dix minutes, Emily arriva au milieu de quelques filles aussi rouges qu’elle de visage. Elle vint rapidement au-devant de Valentin, lui prit la main comme prévu, un tendre sourire éclairant son visage. Quand ils franchirent la grille d’enceinte, elle murmura à l’oreille du garçon : « Il est là. » Elle fit un rapide demi-tour pour se placer face à son partenaire et colla ses lèvres contre les siennes en un long baiser d’amoureuse.
« Alors Valmont, encore envie d’être cocu ? » fit la voix gouailleuse de Clément Barilla1 qui sortait à ce moment-là.
Un instant exaspéré mais finalement agréablement piégé, Valentin finit par participer à l’agréable démonstration qui remua quelque chose en lui. Quand elle eut besoin de respirer, il en profita pour tenter de mettre fin à l’effusion en murmurant : « il vient de partir en courant ! » Mais Emily ayant repris haleine se colla de nouveau contre son ancien amoureux en un autre baiser d’une infinie douceur.

Dans le car-navette qui le ramena à Saint Thomas, le cœur battant trop vite encore, il fit semblant de ne pas remarquer les mines réjouies de Florian, Pascal, Gilles, Olivier et Margot, compagnons de route.
« J’avais oublié… comme c’est agréable avec cette fille… »
Que dois-je faire maintenant ? Comment me comporter avec elle ? M’a-t-elle seulement dit la vérité ? Voudra-t-elle recommencer ? C’est le démon de la tentation cette fille ! Est-ce un plan qu’elle a mis au point pour renouer sentimentalement avec moi ? Comment me comporter maintenant ? Ses baisers étaient tellement… tellement intimes, aphrodisiaques… Dois-je me priver d’un possible bonheur ? À ma connaissance, depuis notre rupture, cela fait deux ans maintenant, elle n’est sortie avec aucun garçon. Je crois que je ne vais ni avancer, ni reculer mais laisser faire, le destin décidera.


1. Clément Barilla dit Clébard, personnage récurent des ouvrages précédents, ennemi de Valentin.