VALENTIN AU LYCÉE

28. Un cas inquiétant

Valentin ne dormit pas beaucoup cette nuit-là.
Dans le car scolaire du lendemain, ses amis eurent la délicatesse de ne faire aucune remarque sur ce qu’ils avaient vu ou appris la veille et que bien sûr tous savaient. À huit heures moins cinq, à l’entrée du lycée, il répondit d’un signe de main au tendre sourire d’Emily.
Pendant la première partie de la matinée, il se demanda quel serait le comportement de la jeune fille lors du rassemblement quotidien de leur groupe. Il fut soulagé quand Mathilde prit immédiatement la parole et lut un papier sorti de l’urne le matin même. Celui-ci disait :

« Il parait que le CLASH trouve des solutions alors je veux vous exposer mon cas. Je ne suis pas véritablement harcelée mais je dois faire face à un problème qui m’inquiète et que je ne sais pas résoudre. Il y a une semaine, juste devant mon immeuble alors que je rentrais du lycée, un gars m’a abordée. Il m’a tendu un assez gros sac bandoulière avec fermeture à code en disant : “Je peux te confier mon sac, j’ai quelqu’un à voir en urgence, pour ça il m’encombre, j’en ai pour deux minutes.” Il l’a posé au sol et il est parti. J’ai attendu un quart d’heure mais il n’est pas revenu le chercher. Depuis je le garde chez moi dans un placard de ma chambre. Que dois-je faire ? Je m’appelle Audrey et je suis en seconde S6. »

Voilà, termina Mathilde, ce n’est pas pour s’occuper de ce genre d’affaires, que nous avons fondé le CLASH. Qu’en pensez-vous ?
— Je prends quand même, dit Valentin heureux de ce dérivatif qui allait l’éloigner de sa préoccupation du moment. Qui avec moi ?
— Moi, dit Emily. La S6 c’est ma classe et je crois que je vois qui est cette Audrey, je peux t’aider.

Pendant l’heure qui suivit le repas de midi, Emily et Valentin s’écartèrent du groupe sous les regards amusés des autres.
— D’abord, dit Val, je désire être présenté à cette Audrey. Tu peux le faire ?
— Oui, mais cette fille habite en ville, elle ne mange pas à la cantine. Viens avec moi à la grille d’entrée, on va la guetter.
Ils attendaient depuis cinq minutes quand Emily se serra contre Valentin et lui renouvela son tendre baiser de la veille. « Mon harceleur qui arrive » chuchota-t-elle en reprenant ses effusions.
— Excuse-moi pour le désagrément, finit-elle par dire avec un sourire quelque peu ironique en s’écartant, j’ai eu peur qu’il me demande des explications. Ah tiens, voici Audrey, viens, je te présente.
— Audrey, voici Valentin, le chef du CLASH. Il a eu ton mot et il veut te poser des questions.
— Bonjour Audrey. Je ne suis chef de rien mais je suis au courant de ton problème et je vais m’en occuper. Peux-tu me dire ce que contient ce sac ?
— Et bien non. Il est fermé par une serrure à combinaison.
— Il est lourd ?
— Comme un cartable à peu près.
— Quel âge a le propriétaire du sac ?
— Plus vieux que nous, la voix grave, au moins dix-huit ans.
— Tu habites où ?
— En immeuble, quartier de la Prairie.
— Ce gars, il est au lycée ?
— Je ne sais pas, je ne suis là que depuis trois mois.
— Comme nous. Merci Audrey, ça sonne ! Indique-moi ton numéro de téléphone, nous te donnerons bientôt des nouvelles.
Au cours de l’heure d’anglais qui suivit, Valentin demanda et obtint la permission de s’absenter quelques minutes. Réfugié dans les toilettes, il sortit son smartphone et consulta le plan de la ville. Il sursauta en constatant que non loin du quartier indiqué par Audrey se trouvait le quartier de la Croix Rouge, celui du premier demandeur d’aide au CLASH dans le domaine du cannabis.

Se réunir à la villa des parents de Charly devenait une habitude appréciée par tous. Chacun apportait une petite contribution selon ses goûts : qui des fruits, qui des biscuits, qui de la boisson. Pierre-André ne pouvant venir en plein hiver était tenu au courant par textos des réflexions, des conclusions et des décisions des autres membres du club.
Ce soir-là, c’était donc au tour de Valentin d’exposer le problème du jour.
— Je vous rappelle le sujet. Il y a une semaine, un gars d’à-peu près dix-huit ans demande à une fille de seconde S6 prénommée Audrey de lui garder un sac pendant deux minutes mais il ne revient pas le rechercher. Ce sac, de type bandoulière, est fermé par une serrure à combinaison. Audrey ne sait qu’en faire. Emily et moi attendons vos idées.
— La première chose à savoir, c’est ce que contient ce sac, indiqua Lucie avec pertinence.
— Exact, convint Valentin mais il faut tout d’abord : un le récupérer et deux pouvoir l’ouvrir et pour ça, il est nécessaire de connaitre la combinaison.
— Les fermeture à combinaison des sacs et valises sont généralement à trois chiffres, ce qui fait mille combinaisons à tester, ajouta Gilles.
— Le sac a été abandonné par son proprio, raisonna Olivier, le plus simple serait de forcer la serrure.
— Et si le gars revient et constate la dégradation, émit Pauline, il pourrait incriminer Audrey.
— Vous vous compliquez bien l’existence, fit Bouboule. Un mec qu’elle ne connait pas abandonne un sac et demande de le garder deux minutes. Les deux minutes sont passées, s’amusa -t-il. Elle n’est pas responsable de ce qui peut arriver au sac…
— J’ai la solution ! s’exclama Lucie, si le mec la retrouve et lui demande des comptes, elle pourra dire qu’elle a attendu un quart d’heure, qu’elle devait absolument partir et qu’elle l’a laissé là, dans le hall de son immeuble, que quand elle est revenue une heure plus tard le sac n’était plus là, qu’elle avait supposé qu’il était venu le reprendre.
— Donc nous pouvons demander à Audrey de nous le filer, et la serrure, je m’en charge, compléta Olivier.
— D’accord récupérer le sac, tempéra Mathilde, pour le reste, continuons à réfléchir. Le sac est fermé à clé, donc ce qu’il contient est soit précieux, soit… pas très licite.
— Bien vu Mathilde, félicita Emily. Un garçon de dix-huit ans qui ne veut pas que ce qu’il transporte soit découvert, je trouve cela étrange.
— Audrey habite dans le quartier de la Prairie. J’ai étudié le plan de la ville, la Prairie et la Croix Rouge sont deux quartiers proches…
— Et proches également d’un lieu que les gens du coin appellent Chicago pour sa mauvaise réputation, coupa Eva. Heu pardon Valentin, je t’ai interrompu.
— Comment sais-tu cela ?
— C’est la fille harcelée dont je me suis occupée qui m’a dit ça.
— Comme le suggère Mathilde, cette affaire est étrange, je dirais même louche, conclut Amandine. Il s’agit probablement d’un trafic.
— Autre aspect de l’affaire, continua Quentin, pourquoi ce mec n’est-il pas revenu récupérer son bien, selon vous ?
— Tout le monde peut avoir un empêchement, non ? fit Eva.
— Un empêchement de plusieurs jours ? se moqua son ami Bouboule. Dans ce cas il aurait envoyé un de ses potes le récupérer.
— S’il s’agit d’un trafic, comme le supposent Amandine et Mathilde, raisonna Charly, le gars est peut-être soupçonné et surveillé…
— Surveillé par qui ? coupa Quentin.
— Dans l’hypothèse d’un trafic, surveillé par une bande rivale ou par la police.
— Qu’est-ce qu’on peut trafiquer dans ces quartiers à votre avis ? demanda Lucie.
— Du shit, de la beuh, de la blanche, des bonbons… énuméra Olivier.
— Hum, des bonbons, c’est bon ! fit Bouboule, gourmand même en pensée.
— Je te déconseille vivement ce type de friandises, à moins que tu souhaites ruiner ta vie, rétorqua Valentin. Donc pratiquement :
D’abord il nous faut récupérer le sac. Qui peut le faire ?
— Pierre-André, dit Florian, c’est le seul qui habite en ville.
— Donc il faut le présenter à Audrey. Tu peux t’en charger Emily ?
— Moi, je connais bien Pierre-André. Demain à la récré, je viendrai avec toi si tu veux, proposa Florian. Je vais l’appeler dès ce soir pour le mettre au courant.
— Merci Florian, sourit Emily.
— De mon côté, je vais prévenir Audrey, compléta Valentin.
— Dans l’hypothèse fort plausible d’un trafic, il ne faut pas que l’un d’entre-nous soit vu avec le sac suspect, expliqua Charly. Il faut donc prévoir un autre sac pour dissimuler celui que Pierre-André va récupérer. J’ai ce qu’il faut, je te le file tout de suite, Flo.
— Si Pierre-André récupère le sac demain soir, il faut qu’on se revoie tous très vite, continua Florian. Où et quand ?
— Demain, c’est vendredi, après-demain c’est samedi…
— Belle déduction Charly se moqua Bouboule.
— Revoyons-nous ici samedi. Il y a de la place, on ne dérange personne et j’ai encore un petit stock de canettes de coca. OK tout le monde ? Alors on dit samedi quinze heures.