VALENTIN AU LYCÉE

30. Le lieutenant Marchais

Le lendemain de la réunion déterminante pour la résolution du problème d’Audrey, Valentin se posait encore la question du comment. Aborder le lieutenant Marchais ou pas ? Si oui, comment l’aborder ?
« Voyons, j’ai plusieurs possibilités. La première, je balance tout à la benne à ordures, le contenu d’un côté, le sac de l’autre...
Ou, option plus raisonnable, je raconte tout à l’adjudant-chef Lemoine et lui demande de m’introduire auprès du lieutenant mais jamais il acceptera que mon équipe soit mêlée à une histoire de drogue et donc l’histoire continuera mais sans nous.
Ou encore je demande un rendez-vous au lieutenant en contactant directement le commissariat...
Allez, option 3. »

« Permanence du commissariat central, j’écoute !
» — Bonjour, je désire parler au lieutenant Marchais.
— Désolé, c’est dimanche, le lieutenant Marchais n’est pas d’astreinte aujourd’hui. Qui le demande ? Y a-t-il un message à lui transmettre ?
— Oh, mais je reconnais votre voix, vous êtes le brigadier Marboz, n’est-ce pas ?
— Veuillez vous identifier.
— Vous me connaissez bien brigadier, vous m’avez déjà offert des bracelets, vous m’avez promené en voiture, nous avons eu une grande réunion ensemble, et pourtant je ne suis pas sûr que vous m’aimiez bien1 !
— Je ne vois pas et je n’aime pas non plus les devinettes. Passez lundi, le lieutenant sera là.
— Impossible, je suis d’astreinte ailleurs de lundi à vendredi inclus mais je vais lui envoyer un courriel.

De : valval@bbox.fr
Pour : marchais@police-acy.fr
Sujet : droguerie
Est-ce qu’une livraison de 3,5 kg de produits divers vous intéresse ?
Réponse par retour, c’est aujourd’hui ou jamais mais je ne veux pas être vu.
Par ailleurs, avez-vous réussi à dissuader l’ouvrier des parkings ?
V.V.


Un quart d'heure plus tard, il avait la réponse:

De : marchais@police-acy.fr
Pour : valval@bbox.fr
Sujet : réponse
1.Intéressé.
2. Pontamour 15h.
3. Oui.
Lt M.


Quand Valentin prit connaissance du message, il se mit à rire en constatant la précision chirurgicale du contenu : en cinq mots, tout était dit.
« Il s’améliore le lieutenant, vif d’esprit, rapide, concis, réactif et en plus il me croit maintenant. Bon, anorak, gants, cagoule, sac à dos, mon vélo et c’est parti ! »
À trois heures moins cinq à l’écran de son smartphone, Valentin battait de la semelle sur le pont des amours exposé à la bise de nord-est.
« Si dans dix minutes il n’est pas là, je balance tout dans un conteneur de tri sélectif pour ordures ménagères. Que cette bise est désagréable ! »
Un individu vêtu d’un épais pardessus et d’un chapeau à l’ancienne, barbe noire, petites lunettes à verres rectangulaires, mains dans les poches et tête baissée contre le vent s’engagea sur la jolie passerelle. Quand il fut au niveau de Valentin, sans s’arrêter, sans le regarder, il articula : « brasserie de l’hôtel de ville dans cinq minutes, fond de la salle. »
Depuis le milieu de la passerelle où il stationnait, Valentin enfourcha son VTT, prit le plan incliné de descente, s’engagea dans une des allées quadrillant les pelouses du bord du lac. En passant près de l’homme, il dit comme se parlant à lui-même : « d’accord, j’y vais. »
Arrivé au niveau de l’hôtel de ville, il cadenassa son VTT et pénétra dans la grande salle commune de la brasserie. Ses yeux firent le tour des tables occupées, son interlocuteur, si c’était bien le lieutenant Marchais, n’était pas là.
« C’est vrai que moi j’étais en vélo. » se dit-il pour expliquer le retard de son peut-être partenaire. Il se dirigea vers le fond de la salle, choisit une petite table de deux, posa le sac au sol et s’assis dos à l’entrée. Pour n’avoir pas à se retourner, il sortit son smartphone et, sans en relancer l’éclairage, s’en servit comme d’un miroir. Il n’eut pas longtemps à attendre. Un homme en pardessus et barbe noire s’avança vers les tables du bout de la salle, choisit celle voisine de de Valentin.
Un serveur vint rapidement prendre les commandes.
— Que désirez-vous boire ?
— Un chocolat chaud, s’il vous plait.
— Monsieur ? fit-il ensuite en se tournant vers l’autre table.
— Un café serré.
Quand le serveur eut apporté les commandes et se fut éloigné, l’homme demanda sans regarder Valentin :
— Alors, qu’as-tu pour moi ?
— Vous êtes bien l’interlocuteur que je souhaite voir ?
— Tu es Valentin Valmont, celui qui, il y a un an maintenant, est allé secourir une jeune fille dans l’eau glacée de la rivière.
— C’est bon, passeport validé, sourit Valentin sans tourner la tête vers l’homme. Pour vous, c’est là-dedans, et il poussa du pied le sac à dos vers le lieutenant. Shit, beuh, poudre et bonbons, en tout plus de trois kilos, ceci dans un autre sac à l’intérieur du premier.
— Comment es-tu entré en possession de tout ça ?
— Une jeune fille m’a contacté. Elle m’a dit que, dans le hall de son immeuble, un mec qu’elle ne connait pas est entré au moment où elle allait sortir et lui a demandé comme un petit service de garder son sac deux minutes car il avait une course urgente à faire et que cela l’encombrait. Mais au bout d’un quart d’heure, il n’était toujours pas venu le reprendre. Ne sachant qu’en faire, une semaine plus tard, elle m’a demandé de l’en débarrasser, ce que j’ai fait. Il s’agit d’un sac à combinaison de type bandoulière, il se trouve à l’intérieur de mon sac à dos. Pour vous éviter de galérer, le code de la serrure c’est 5-5-5.
Le lieutenant fronça les sourcils et regarda brièvement Valentin d’un œil soupçonneux.
— Comment connais-tu cette combinaison ?
— Probabilités, essais et erreurs puis bingo !
— Qui est cette jeune fille ?
— Dans son intérêt je me suis engagé à pas le dire.
— A-t-elle donné une description du type ?
— Non, elle l’a à peine vu.
— Elle habite dans quel quartier ?
— Je ne peux pas le dire non plus, pour l’instant.
— Tu envisages une suite ? Laquelle ?
Pour avoir le temps de trouver une réponse, Valentin porta le mug de chocolat à ses lèvres et prit le temps de déguster, ce que voyant, le lieutenant fit de même avec son café.
— Alors ? insista-t-il.
— L’adjudant-chef Lemoine de la brigade de Saint Thomas du lac m’a dit et répété que s’occuper d’une affaire de drogue égale danger de mort.
Je vous donne cette camelote, mais c’est tout. Je ne connais pas les tenants et les aboutissants de l’affaire et de toute façon, je ne suis pas un indic, personne n’a barre sur moi. Maintenant je peux quand même réfléchir au problème. Pourquoi un type confierait-il un sac contenant plus de cent mille euros de marchandise à une inconnue ?
- soit parce qu’il la connait, mais elle affirme le contraire et je la crois.
- soit parce qu’il a détecté une menace imminente contre lui, ou par les forces de l’ordre, ou par d’autres dealers.
Pourquoi n’est-il pas revenu ensuite récupérer son sac ? Toujours pareil, à mon avis parce qu’il se sentait encore surveillé :
- soit par la police, mais ça vous devriez le savoir mieux que moi.
- soit par une bande rivale.
Plus tard, il a quand même dû essayer de récupérer son bien mais voilà, la fille, à supposer qu’il ait pu la retrouver, ne l’avait plus. Il est à vous maintenant. Bon, je me sauve maintenant.
— Attends, laisse-moi partir d’abord. J’ai repéré ton VTT et je vais suspendre ton sac à dos vide au guidon. Je vais payer mon café au comptoir. Merci pour ton action, sur mon siège tu trouveras un billet de dix euros pour payer ta consommation. Attends cinq minutes avant de partir et fais-moi signe aussitôt si tu apprends quelque chose de nouveau à propos de cette affaire.


1. Dans le tome 8 : Valentin et la nouvelle.