La première série de photos présentées à Audrey ne lui réveilla aucun souvenir. Elle réagit quand même en voyant le portrait d’Hassen : « J’ai souvent vu ce mec-là trainer dans le quartier, mais ce n’est pas lui. » Une seconde série n’eut pas plus de succès.
Les amis commençaient à désespérer quand Bouboule ayant vu son dernier cours supprimé pour cause d’absentéisme professoral alla se promener le long du bras de rivière régulant le niveau des eaux du lac. Il était sur le quai au niveau de la petite ile séparant en deux le cours de l’eau et prenait une photo du paysage quand ses oreilles affutées perçurent la voix de basse d’un homme de dix-huit, dix-neuf ans.
Rajustant ses lunettes, il repéra l’individu à son niveau mais dans l’ile. Il était en conversation avec un autre homme beaucoup plus vieux. Sans vraiment la cadrer, Bouboule prit une photo au jugé. Les deux hommes semblèrent échanger une poignée de main puis se séparèrent.
Celui à la voix de basse se dirigeant vers lui en empruntant le mini-pont d’accès, Bouboule se baissa, prit une photo des fleurs du bord de l’eau puis il rangea ostensiblement son appareil sans l’éteindre, en maintenant le doigt sur la zone de déclenchement, objectif dirigé l’homme qu’il ne regardait pas.
Il marcha ensuite vers le terrain de sport dévolu au lycée, pour l’heure occupé par une classe en activité d’athlétisme. Là, il put tranquillement s’assoir sur la margelle du mini-mur supportant le grillage isolant le terrain de la route.
Il ressortit son smartphone et examina ses photos. Celle ayant capturé le paysage était réussie, la seconde montrant les deux hommes se serrant la main, prise de trop loin, était un peu floue, la photo des fleurs en revanche était quasi parfaite.
La séquence affichant l’homme à la voix de basse affichait le personnage en diagonale sur l’écran mais sur un des clichés, son visage était parfaitement net. Avec les outils de retouche d’images de son appareil, il recadra la photo des deux hommes puis celle du portrait qu’il redressa. Enfin il sélectionna les deux et les expédia en message privé à Emily.
Cinq heures. Il se dirigeait vers l’arrêt des navettes scolaire quand la réponse d’Emily arriva sur son appareil : « Elle est formelle, c’est lui ! »
Dans le car les ramenant à Saint Thomas du lac, Bouboule relata à ses compagnons de route le succès quelque peu inattendu de son action photographique.
— Je me promenais sur le quai de la rivière et prenais une photo quand j’ai entendu un mec à la voix grave dire à un homme d’environ cinquante berges : « J’ai aussi de la taz. » Au fait c’est quoi la taz ?
Valentin tapota son smartphone quelques secondes et expliqua :
— C’est un des noms que certains dealers donnent à l’ectasie, mais continue.
— J’ignorais ça. En fait, je les ai pris en photo parce que le plus jeune avait une voix de basse. Ensuite, il, heu le plus jeune, est venu vers moi. J’ai eu un peu peur qu’il m’ait surpris en train de lui tirer le portrait. Je me suis dit : si je pars en courant, il va avoir des soupçons alors je suis resté sur place, j’ai pris une photo d’un bac à fleur du bord du quai puis j’ai rangé mon smartphone mais en posant mon index sur la zone de déclenchement et j’ai pris une rafale de photos de lui au jugé, sans le regarder malgré ma belle tête de hibou innocent. Coup de bol, dans la rafale, j’ai eu un super portrait du mec. Je l’ai expédié Emily qui l’a montré à Audrey qui l’a reconnu ! C’est lui le mec au sac de dope les amis.
— Excellent travail, Bouboule, félicita Valentin. Envoie-moi toutes tes épreuves, je vais réfléchir à la meilleure façon de neutraliser le type.
— Maintenant qu’on sait à quoi il ressemble, qu’est-ce qu’on fait ?
— Il y a encore des lacunes dans notre enquête. Nous ne savons pas le nom de ce type, nous ne savons pas pourquoi il a confié ce sac à Audrey, nous ne savons pas pourquoi il n’est pas revenu le chercher, raisonna Gilles.
— Il ne faut pas perdre de vue que notre but c’est de sécuriser Audrey, pas de purger toute la ville, donc il faut convaincre ce dealer que ce n’est pas elle qui a fait disparaitre le sac. S’il opère toujours dans la même zone, le gus sera facile à retrouver. Le problème est ; comment faire pour le contacter ? exprima Lucie.
— Je peux donner mon avis ? fit Florian.
— Tu ne t’en prives pas d’habitude, rigola Bouboule.
— Merci. Alors mon avis c’est que cette affaire déborde le cadre du lycée et l’action du CLASH. Dans le bahut, on peut trouver des solutions, dehors on ne peut pas, Là, ça va trop loin, ça nous dépasse, c’est dangereux. Si un cinglé de ces marchands de dope décide qu’il y a trop de monde au courant, il peut vouloir faire le ménage à coups de kalach.
Après avoir acquiescé d’un hochement de tête, Valentin s’exprima :
— Audrey, c’est notre problème à Emily et moi, mais tu as raison pour le mec au sac. Il ne s’agit plus seulement d’herbe ou de résine mais de drogues plus dures, plus chères donc plus rentables et s’il s’imagine que nous formons une bande rivale, il ne restera pas inactif.
Pour Audrey, si le dealer la retrouve, il faut que sa réponse soit toute prête : « Dis-donc, quand tu m’as demandé de garder ton sac deux minutes, j’ai attendu un quart d’heure et moi aussi j’avais quelqu’un à voir, alors ton sac je l’ai laissé où tu l’as posé. Quand je suis rentrée, j’ai vu que tu l’avais récupéré. » S’il insiste un peu plus, elle pourra dire « Je n’en ai rien à faire de tes histoires, fiche-moi la paix ! »
Ce que je compte faire avec le lieutenant Marchais va la dédouaner complètement. Je vais aller le trouver au commissariat dès ce samedi et lui glisser les photos de Bouboule après avoir supprimé les données EXIF de façon à ce qu’il ne vienne pas embêter Pascal.
— Pourquoi, il ne pourrait pas me retrouver de toute façon.
— Oh que si ! Il saurait le lieu, le jour et l’heure. Comme il n’est pas sot, il aurait vite fait de savoir quels sont les membres de notre groupe qui n’avaient pas cours à cette heure-là et bingo, il tombe sur toi, te kidnappe, te fait torturer pour que tu avoues tout ce que tu ne sais pas.
Quand les rires des amis furent calmés, il ajouta :
— Sérieusement, je vais donner les photos au lieutenant. Il est probable qu’il connaisse déjà l’individu. Pour confirmation, il pourra comparer son ADN avec ce qui aura été trouvé dans le sac -en plus des tiennes, Gilles- et avec cette preuve, il pourra conclure l’affaire. Je vais lui demander de glisser dans l’oreille du dealer qu’un monsieur d’un certain âge a trouvé le sac et l’a apporté au commissariat, comme on doit faire quand on trouve un objet abandonné, ce qui finira de dédouaner Audrey. CQFD comme dirait le prof de math. Ah, aussi, ne gardez aucune des photos que vous avez pu prendre à propos de cette affaire et point final pour nous. Bouboule, tu seras le héros méconnu de l’histoire.