VALENTIN AU LYCÉE

40. Dernière affaire

À huit jours de la fermeture du lycée pour cause d’examen signifiant le début des vacances pour les classes de seconde, dans l’urne restée vide pendant un mois, Mathilde et Quentin trouvèrent un simple quart de feuille avec ces mots :
« Presque tous ceux et celles de ma classe se sont moqués de moi toute l’année. Je suis en S16. L’an prochain je ne veux pas que ça recommence. Comment faire ? Y.T »
Pour la dernière fois de l’année, le CLASH tint réunion dans la cour du lycée autour de la table d’extérieur qu’il avait l’habitude d’occuper pendant le temps de midi.
— Première chose, dit Gilles, il faut savoir de qui il s’agit. Nous n’avons personne dans cette classe mais cela ne devrait pas être très difficile de le savoir.
— Pierre-André, connais-tu quelqu’un en seconde S16 ? demanda Florian.
— De mon ancienne troisième, non, mais peut-être que Abdon... Vous vous rappelez Abdon mon équipier au foot ? Son nom complet c’est Abdon Théophile, Abdon c’est le prénom. Je crois qu’il est en seize.
— Que fera-t-on quand on saura qui est YT ? interrogea Margot.
— Je propose que nous l’invitions dans notre groupe chaque midi et que nous lui forgions un moral de vainqueur, suggéra Valentin.
— Je ne comprends pas bien, donne-moi un exemple concret, demanda Pauline.
— Imagine un monde dans lequel sourire serait une grimace insultante et à l’inverse une grimace serait un charmant sourire, un monde dans lequel une insulte serait un compliment et une gentillesse la pire insulte. Un antimonde quoi.
— C’est bizarre ce que tu dis là ! s’étonna Emily.
— Bien sûr, cela n’existe pas mais si tu es multi-brimé et si tu t’autosuggères que les avanies que les autres te balancent sont des compliments, tu nages dans le bonheur. Si en plus tu as des réponses cinglantes toutes prêtes à chaque type de moquerie, des actions fortes pour contrer les agressions physiques, tu deviens invulnérable donc respecté.
— Concrètement, comment faire ? interrogea Mathilde.
— Je crois que j’ai compris, intervint Gilles. Par exemple “Bouboule, face de lune !” fit-il en faisant un clin d’œil à l’intéressé.
— “Merci tête de cul sur un tas d’os !” répliqua instantanément Pascal, hilare.
— “Casse-toi, minable à tête de mort ! ” fit à son tour Florian en bousculant Valentin d’une poussée de la main à l’épaule.
Instantanément, Valentin balança un coup de semelle -non appuyé- sur le tibia avant de Florian qui, jouant le jeu, se plia en deux de douleur simulée et reçut un coup de genou au visage, heureusement arrêté à temps. Florian partit en roulade arrière et resta au sol.
— Je crois que c’est toi qui es cassé maintenant, hein le fier-à-bras ? fit alors Valentin en tapotant son biceps droit de l’index gauche en même temps que sa tempe droite de l’index droit.
— Bien joué tous les deux : félicita Amandine, mais tout le monde ne sait pas se battre comme toi, Val.
— Alors il faudra apprendre la bagarre défensive à ce “tout le monde.”
— Et s’il devient agressif à son tour ? questionna Mathilde la toujours non-violente.
— Quand on se sent fort, on n’est pas agressif, l’agressivité est l’apanage des faibles, répliqua Florian.
— Donc, si tout le monde est d’accord, quand nous saurons qui est le plaignant, pour qu’il se sente fort, Florian, Gilles et moi allons lui apprendre quelques prises de judo, coups de pied et coups de poing bien efficaces et je suggère que les autres pensent à un type d’insulte et à une réplique correspondante bien sentie. Nous inviterons ce gars dans notre groupe pour une série de répétitions, c’est OK ?

Abdon avait bien renseigné Pierre-André. Seul Yann Teboul dans la seconde seize correspondait aux initiales indiquées. De taille plutôt petite, un peu enrobé, des lunettes rondes sur un visage lunaire, Il était le type même du boloss harcelé.
— Salut tête de grenouille ! l’accueillit Valentin lorsque Pierre-André le présenta aux membres du CLASH.
Yann, intimidé, décontenancé par cet étrange accueil ne sut comment réagir.
— Première leçon, continua Valentin en mettant un bras amical sur les épaules de Yann, ne jamais laisser un quolibet ou une insulte sans réponse. Que répondrais-tu à ce que je viens de te dire ? Mathilde, aide-le.
— Tu réponds du tac au tac : “Enchanté, moi c’est Yann.”
— Si on te traite de con, Ducon, tête de con et tous les dérivés possibles, tu as le choix. Vas-y Olivier, dit-lui, incita Valentin :
— Si c’est un mec, tu peux répondre : “à propos de con, au concours du zizi vermicelle comme à celui du cerveau petit pois, tu as eu le prix d’excellence ? Et bien c’était mérité.” Si c’est une meuf qui se la joue, tu peux rétorquer : “au concours de miss connasse, avec tes seins plats et tes fesses en gouttes d’huile, j’ai voté pour toi.”
— Si on te traite d’imbécile ou d’idiot, dit Quentin, tu rigoles et tu t’éloignes en chantonnant : “Il y a peu de chances qu’on
détrône le roi des cons.”
C’est une chanson qui date du temps de nos grands-parents. Des cons, il y en avait déjà à cette époque. C’est Georges Brassens le chanteur qui l’a dit.
— Imagine que je sois dans ta classe et que je te dise : vas te faire foutre, minus, je te vois bien sortir une réponse comme “D’accord mais surtout sans toi !” proposa Amandine.
— À une insulte concernant ta façon de parler, je suggère que tu répondes : “Lingua est optima et pessima res.” annonça Lucie au grand étonnement de toute l’équipe.
— Ça veut dire quoi ? demanda Margot.
— Il ne faut pas répondre à cette question pour mettre l’autre en état d’infériorité. Alors je ne réponds pas ! Peut-être que je vous le dirais plus tard.
— Quelle que soit la vanne ou l’insulte, dit Eva, tu peux toujours rétorquer : “Je vais te présenter à mon cochon, il parle la même langue que toi !”
— Moi je te propose une réponse universelle, dit Emily : “I love you too ” ou cette variante “Tambien te quiero” ou encore mieux : “nami ngiyakuthanda”. La dernière phrase est en Zoulou, vous avez bien sûr tous reconnu la langue.
— Quelle que soit la phrase désobligeante qu’on te balance, tu peux répondre : “Vas te laver les dents, tu refoules du goulot hé pangolin !” proposa Charly.
— Moi, à ta place, expliqua Margot, si c’est une nana, je lui dirais : “t’es vachement en forme, t’as tes ours ?” et si c’est un mec : “ t’as l’air fatigué, t’as mal au poignet ?”
— Qu’est-ce qu’elle veut dire ? demanda la naïve Eva.
— Je t’expliquerai. Moi je dirais tout bêtement : “ C’est c’ti qui l’dit qui y’est.” Personne ne sait quoi répondre à cette phrase d’une haute tenue littéraire, affirma Bouboule.
— Si quelqu’un te traite de connard, tu dis : “non, moi c’est narco” et tu fais le geste de tirer une fumette. Il ou elle se posera plein de questions, affirma Pierre-André.
— Si on te balance n’importe quelle ineptie, tu peux te moquer en disant : “Après un tel effort cérébral, tu dois avoir mal à la tête, tu veux un cachet d’aspirine ?” proposa Pauline.

— Vous vous êtes bien creusé la tête pour moi, fit Yann Teboul, merci à tous. Je n’en ai pas retenu le quart mais j’ai bien compris le principe.
— Je t’en ferai le topo complet par écrit, proposa Mathilde, tu pourras l’apprendre par cœur, ça te fera des devoirs de vacances.
— Attends, ce n’est pas tout, freina Florian. Il y en a beaucoup qui ne supporteront pas tes répliques. Deuxième acte de la comédie, tu dois savoir te défendre physiquement contre toutes ces têtes de nœud, costauds ou pas. Valentin, Gilles et moi allons t’apprendre et te faire répéter des coups de défense bien méchants et dissuasifs. Nous avons une semaine, chaque midi, tu viens ici et on t’entraine, d’accord ?