La nuit qui suivit sa baignade au lac avec Inge, Valentin eut du mal à s’endormir. Certes, il était encore ému par la semi-nudité de la jolie fille, par les sourires éclatants qu’elle lui adressait, par le naturel de sa façon de se comporter. Mais ce qui l’empêchait de dormir et dont il n’était pas fier, c’était ce qu’il avait fait à l’insu des deux filles : l’enregistrement de leurs échanges verbaux pendant les dix minutes de son absence quand il avait mis en marche l’application magnétophone de son appareil avant de subrepticement le remettre dans son sac à dos.
En se reprochant de le faire, sur l’ordinateur de son grand-père, il retravailla la bande son obtenue pour la rendre plus audible puis ayant transféré le résultat dans son smartphone, écouteurs aux oreilles, il se repassa plusieurs fois l’enregistrement.
Il comprit le désarroi d’Emily, la gentillesse confiante d’Inge, la méchanceté jalouse d’Emily en fin de conversation, la façon intelligente qu’avait eu Inge pour couper à la base une possible dispute qui n’aurait rien résolu.
« Le problème maintenant, se dit-il, c’est qu’en aucune façon je ne me sentirai le droit de me servir de cet enregistrement. Le mieux, c’est de l’effacer tout de suite définitivement. »
Ce qu’il fit.
Le lendemain dimanche, au grand émerveillement d’Inge, ils réalisèrent le tour du lac par la piste cyclable.
Lundi Inge partit avec ses parents visiter Chamonix et monter en téléphérique à l’aiguille du midi.
Mardi matin la famille Nielsen visita Annecy et ses splendides vieux quartiers, L’après-midi, à Annecy toujours, ils louèrent un bateau électrique au ponton Albert et naviguèrent sur le lac pendant deux heures.
Mercredi, Inge et Valentin grimpèrent au sommet du mont Veyrier par les chemins de la face ouest. Inge s’extasia devant le superbe panorama du massif du Mont-Blanc.
Jeudi, Inge et sa famille se rendirent en Suisse visiter Genève et faire le tour du lac Léman.
Vendredi, toujours au ponton Albert, ils firent du pédalo sur le lac dans la baie d’Annecy et le soir Valentin fut invité à partager le repas de la famille Nielsen au camping.
À dix-neuf heures, Valentin se présenta au camping et, après avoir eu la permission d’entrer, il s’avança ver l’emplacement des parents d’Inge. La maman était hors du petit camping-car en train de dresser la table.
— Godaften, fru Nielsen, fit Valentin. (Bonsoir, madame Nielsen.)
La mère d’Inge sursauta et se retourna vivement.
— Oh Valentin ! Taler du dansk ? (Oh Valentin ! Tu parles le danois ?)
Avec un sourire amusé, celui-ci reprit en anglais :
— No madam, I only learned these two words. (Non madame. J’ai seulement appris ces deux mots.)
— My name is Myrte, Valentin and my husban is Otto. (Mon nom c’est Myrte, Valentin, et mon mari c’est Otto.)
— Valentin, tu es déjà là ! fit Inge revenant du sanitaire, serviette de toilette sur l’épaule. C’est très bien. Mon père est encore à la douche, ne va pas tarder.
Quand tous furent réunis, Valentin sortit une bouteille de son petit sac à dos :
— Pour vous remercier de m’avoir invité, mes grands-parents vous offrent ce flacon de liqueur qu’ils préparent eux-mêmes.
— Gé-né-pi, fit Inge en déchiffrant l’étiquette faite à la main par la grand-mère de Valentin, c’est quoi exactement ?
— Une préparation à base de plante.
— Comment font-ils ? Ils connaissent une recette ?
— Oui et elle est facile à mémoriser : un litre d’eau de vie à 40 degrés dans laquelle ils mettent 40 morceaux de sucre puis 40 brins de génépi qu’ils laissent macérer pendant 40 jours.
— Qu’est-ce que le génépi et où peut-on le trouver ? fit Otto, le père d’Inge qui venait de revenir.
— C’est une plante de montagne très odorante de la famille de l’armoise. Mais les endroits où elle pousse sont à plus de deux mille mètres d’altitude, et de plus, difficiles à trouver, surtout que les savoyards ne divulguent pas leurs coins !
— Tu en connais des choses Valentin !
— C’est-à-dire que j’ai également appris tout cela avant de venir !
— Au Danemark, quand les gens achètent de l’alcool pour boire, ils prennent de l’aquavit, expliqua Otto.
— L’aquavit est à base de quoi ?
— C’est un alcool de grain ou de pomme de terre aromatisé avec du carvi et d’autres épices. J’espère que tu ne bois pas d’alcool, Valentin, continua le père d’Inge.
— Non Otto. Ma boisson favorite c’est l’eau ou la limonade pour faire la fête. Vous ne voulez pas prolonger un peu votre séjour dans les Alpes ? fit Valentin changeant de sujet en regardant Inge.
— Mes parents ont repéré un camping privé comme celui-ci à Bormes les Mimosas sur la Côte d’Azur. Nous partir demain matin, dit la jeune fille avec une ombre de tristesse sur le visage. Je crois que je vais regretter saint Thomas et aussi… un habitant de Saint Thomas très gentil. En tout cas mes parents m’ont demandé de te remercier de leur avoir fait connaitre chaine de camps privés.
— C’était bien peu de chose, je suis content d’avoir pu vous rendre ce service.
— Mor, far, Valentin, (maman, papa, Valentin) asseyez-vous, je apporte les entrées, s’activa Inge.
— Je vous connais depuis un an maintenant, fit Valentin changeant à nouveau de conversation en regardant les parents d’Inge, et je ne connais toujours pas vos professions.
— Je suis « doctor addictologist », répondit la maman et mon mari est informaticien.
— L’informatique, je connais un peu mais l’addictologie, cela consiste en quoi ?
— Aider les gens dépendant à la drogue à s’en sortir, s’ils en ont la volonté.
— C’est difficile d’arrêter la drogue ?
— Extrêmement.
— Pourquoi cela ?
— Je vais t’expliquer. Il faut que tu saches que la consommation de stupéfiants quels qu’il soient déclenche dans le cerveau la sécrétion d’un messager chimique appelée dopamine. Cette substance, surnommée molécule du plaisir, le cerveau en fabrique normalement en petite quantité pour le bon fonctionnement du corps. Prendre de la drogue augmente fortement cette sécrétion et procure au consommateur des sensations exacerbées souvent agréables, quelquefois nauséeuses ! C’est ainsi que celui qui consomme des stupéfiants aspire à retrouver ces sensations mais il lui faut de plus en plus de produit ou des produits plus forts pour arriver au même résultat. Ainsi se crée une accoutumance qui finit par ruiner le système nerveux et la santé en général.
— Quelles sont les drogues les plus puissantes ? Je veux dire les plus dangereuses.
— Toutes le sont mais dans les plus nocives, tu as les drogues chimiques de synthèse, puis l’héroïne qui est très addictive, ensuite la cocaïne, les barbituriques, la nicotine et même l’alcool.
— Et le cannabis ?
— Il crée également une dépendance physique et psychologique.
— Tu n’as jamais touché à ces produits, Valentin ? questionna le père avec une pointe d’anxiété.
— Mes parents sont fermiers bio en Australie et je vis ici avec mes grands-parents qui ont le même état d’esprit qu’eux, c’est vous dire si je suis habitué à manger et à boire des produits très sains. J’aime le sport et la nature, je marche, je nage, je fais du ski, du vélo. J’aime lire, l’informatique, faire des photos et n’ai aucune envie de toucher à ces poisons pour obtenir artificiellement du plaisir.
— Tu as mille fois raison, Valentin, conclut Myrte. Reste toujours le garçon sain que tu es, la vie te le rendra.
— C’est bien sérieux votre conversation intervint Inge, mais je pense aussi comme ça. J’ai adoré ce que nous avons fait ici : nager, marcher, rouler en vélo, visiter, admirer les paysages. C’était bien d’avoir quelqu’un qui connait et donne les explications. Si un jour tu viens au Danemark, Valentin, moi aussi je te ferai visiter. Tu viendras ?
— Peut-être un jour Inge. En attendant, nous pouvons continuer à correspondre par mail si tu le désires.
— Nous ne sommes pas encore partis, profitons de cette dernière soirée. Bon appétit Valentin, conclut Myrte.
— Alors, c’était sympa ce repas danois ? questionna Jean-Claude, le grand-père quand Valentin fut revenu.
— Le repas était avec des danois mais la nourriture était bien française. Oui, c’était très sympa et surtout instructif.
— Comment cela instructif ? s’étonna Isabelle la grand-mère.
— La maman d’Inge est médecin addictologue et elle nous a parlé de son travail.
— Qui consiste en quoi exactement ?
— Elle soigne des drogués qui veulent s’en sortir. Je l’ai un peu questionnée à ce propos.
— Conclusion ? demanda Isabelle.
— Il vaut mieux ne jamais commencer, ni même juste vouloir essayer rien qu’une fois car on peut être accro très rapidement.
— Elle a fichtrement raison ! appuya le grand-père. Écoute mon garçon, je vais te raconter une histoire tristement vraie. Quand j’étais collégien, il y a très longtemps, il y avait dans ma classe un heu…je ne dirais pas un ami mais un camarade, intelligent mais peu travailleur, qui ne pensait qu’à rire et à chahuter. Il gâchait ses qualités en fait. Quand il fut au lycée, influencé par dieu sait qui, il a voulu essayer les paradis artificiels. Le cannabis bien sûr puis la cocaïne puis encore plus fort. Il ne s’en sortait pas !
— Qu’est-il devenu ?
— Il a été retrouvé mort un triste matin dans une rue de la ville !
— Oh mon dieu ! fit Isabelle. Quelle triste fin…
— Oui, surtout avant l’âge de trente ans ! Qu’en penses-tu Valentin ?
— Rassurez-vous. Un, je ne suis pas influençable, je prends seul mes décisions et deux, l’adjudant-chef Lemoine nous ayant fait une conférence sur ces sujets quand nous étions en cinquième, je sais à quoi m’en tenir et cela ne m’arrivera pas, soyez-en sûrs.