VALENTIN AU LYCÉE

9. Premiers soucis

Durant les premières semaines de classe, rien ne vint perturber la prise de contact de Valentin et de ses amis avec les us et coutumes du lycée. Il avait bien surpris quelques regards haineux de la part de leurs premiers adversaires et il se doutait bien qu’un jour ou l’autre ils seraient à nouveau amenés à se défendre.
Vers la fin du mois de septembre, lors d’un interclasse prolongé, Pascal vint l’aborder.
— Je peux te parler discrètement, Val ?
— Tu peux me parler quand tu veux, où tu veux, au sujet de ce que tu veux. Viens, marchons. C’est à quel propos ?
— C’est au sujet d’Eva, elle m’inquiète.
— Tu crois qu’elle est malade ?
— Heu, non, ce n’est pas çà. Elle est beaucoup plus triste qu’avant, elle ne rit plus à mes bêtises, elle semble souvent absente.
— Des soucis de santé de sa mère ? Des problèmes financiers ?
— Je ne crois pas.
— Quelqu’un l’embête en classe, comme Morgane quand nous étions en cinquième ?
— Je ne sais pas au juste mais quelque chose l’obsède et quand je la questionne, elle me répond que ça va.
— Elle est toujours heu… contente d’être avec toi ?
— Oui, je crois. J’en suis même sûr.
— Qui de notre groupe est dans sa classe ? Si quelqu’un la harcèle, en le questionnant, tu pourrais savoir ce qui ne va pas.
— De notre ancienne troisième C, il n’y a qu’Émilie Leblanc.
— Pourquoi est-ce qu’elle ne prend pas la même navette que nous ?
— C’est justement la mère d’Emilie Leblanc qui les amène, avec Lucie d’ailleurs, et qui les ramène. Elle a presque les mêmes horaires que nous.
Valentin prit un temps de réflexion avant de prononcer :
— Bouboule, je sais que tu es très observateur, que tu tiens énormément à Eva, et vice-versa, mais malgré tout, il semble y avoir quelque chose qu’elle ne peut pas te dire. Je sais que ma question est très indiscrète et que cela ne me regarde pas mais… jusqu’où es-tu allé avec Eva dans l’intimité ?
Pascal rougit et baissa la tête comme s’il réfléchissait. Après quelques secondes, il se décida à murmurer :
— Val, je sais que cela restera entre nous, alors je peux te le dire. On s’embrasse sur la bouche.
— C’est bien normal. Rien de plus précis ?
— Quelques câlins quand nous sommes seuls.
— Vous n’êtes pas allés plus loin ?
— Attends Val, elle n’a que quinze ans comme moi !
— Donc ce n’est pas cela… Je vais réfléchir à la question. Dès que j’ai une idée, je t’en fais part. En attendant, sois très gentil et prévenant avec elle.

Resté seul, Valentin alla s’assoir sur l’angle d’un grand bac à plantes vertes isolant la conciergerie de la cour.
Perdu dans ses réflexions, il ne vit pas Loïs Dumarest s’approcher de lui par le côté. Arrivé à distance de bras tendu, il tenta de lui asséner par surprise un violent coup du poing droit au visage au moment précis où, décision prise, il se levait. Le méchant coup l’atteignit à l’épaule. Il fit un bond en arrière et réagit immédiatement en lançant un coup du pointu du pied vers le bas-ventre de son adversaire mais il ne put atteindre que l’intérieur de la cuisse de l’autre. Le geste fut cependant suffisamment appuyé pour arracher un cri de douleur à Loïs qui recula en titubant et n’insista pas.
— On va se revoir bientôt machin ! gronda-t-il alors que Valentin prêt à la bagarre lui faisait face.
— Tout de suite si tu veux, Loïs de mes amours, se moqua-t-il en se tenant sur le qui-vive.
Il remarqua le regard étonné que lui lança Loïs après qu’il eut prononcé son prénom, mais l'autre n'insista pas. Il s'éloigna en boitant légèrement, signe que le coup de pied de Valentin avait porté.
— Bon, où en étais-je ? se dit-il en massant son épaule, ah oui, pour Eva, il faut que je demande à Bouboule d’essayer de lui…

Le lendemain, Bouboule, l’air interrogatif, attendit qu’ils soient descendus du car pour poser silencieusement sa question à Valentin qui ne le fit pas languir.
— Dis-moi Pascal, est-ce que Eva a toujours son vieux téléphone à clapet ?
— Non, pour son brevet et son admission en seconde, sa mère lui a offert un iPhone 5s recyclé mais qui fonctionne très bien.
— OK. A-t-elle gardé le même numéro ?
— Oui, je lui ai conseillé de ne pas en changer. Elle a upgradé son abonnement et utilisé la portabilité.
— Elle sait s’en servir ?
— Je lui ai appris et installé les applications dont elle pourrait avoir besoin.
— Écoute Bouboule, je sais que cela ne se fait pas mais j’aimerais examiner son appareil sans qu’elle le sache.
— Tu penses à quoi ?
— C’est encore très vague, je ne suis pas du tout sûr de moi. Pourrais-tu lui demander de te le prêter pendant… disons une heure sous prétexte que tu as oublié le tien ou qu’il n’a plus de batterie et que tu as besoin d’une connexion pour faire les recherches demandées par le prof d’éco ou autre. Tu me le files juste avant d’entrer en cours et je te le rends à la fin de l’heure. J’ai permanence de quinze à seize, il faudrait que ce soit à ce moment-là.
— Je vais essayer. Si elle marche, je te le file à l’interclasse de trois heures.

À quinze heures, Pascal se hâta vers l’entrée de la salle de permanence où Valentin l’attendait.
— Alors, elle a bien voulu ?
— Oui, mais elle m’a fait jurer de ne pas ouvrir ses dossiers.
— Et tu as promis, c’est normal. Dans une heure je te le rends.
« Il a promis, mais pas moi… cette promesse exigée constitue pour moi une présomption de plus » réfléchit Valentin en allant s’installer au fond de la salle de permanence.
Familier de l’appareil dont il avait eu un exemplaire trois ans auparavant, il commença par en couper le son puis il examina les applications présentes. Outre les classiques de courrier, texto, téléphone, application photo, il remarqua qu’elle avait également WhatsApp, Facebook, Tic-Tac et Instagram.
Il ouvrit le dossier photos et examina rapidement les images prises depuis la rentrée, sans rien remarquer d’anormal. Il étudia ensuite le profil Facebook d’Eva sans plus de succès puis il fit venir à l’écran l’interface d’Instagram, toucha « Enregistrements » et ouvrit les dossiers. Dans le troisième, il eut confirmation de ses soupçons quand il vit plusieurs photos et une vidéo d’Eva complètement nue dans des positions suggestives : quelqu’un tentait de faire chanter la gentille et douce Eva.
Valentin n’hésita pas. Il expédia l’ensemble du dossier vers son appareil, effaça ensuite son numéro de téléphone de la liste des appels récents, posa quelques questions sur l’économie à Google pour éventuellement servir de justificatif à Bouboule puis il réactiva le son, éteignit l’appareil et sans attendre la sonnerie de la fin de l’heure, il sortit, octroyant au passage un semblant de sourire au surveillant qui avait levé la tête de son propre téléphone.
Il se rendit à la porte de la salle de classe de la seconde S1 pour remettre le smartphone d’Eva à Pascal. À l’œil interrogatif de celui-ci, il hocha la tête en signe d’assentiment et répondit brièvement : « plus tard » avant de s’esquiver.
Dans la navette de retour à Saint Thomas, il promit des explications à son copain : — Tu sauras tout, mais pas maintenant. J’ai besoin de faire des recherches et de vérifier certaines choses.

Le soir, dans sa chambre, il transféra le dossier volé sur sa tablette, l’effaça de son smartphone, et se mit à examiner les images. La plus ancienne, en noir et blanc, montrait Eva en pied, de face, dans le plus simple appareil, seins menus aux aréoles gonflées, triangle sombre en bas du ventre. La deuxième photo, en couleur, la représentait en buste. La troisième était une courte vidéo de la fille, assise jambes écartées.
Il examina ensuite le message accompagnant la première image. Celui-ci disait : « la timide au visage d’ange est en réalité une pute ! »
Le second indiquait une série de prestations sexuelles tarifées avec comme complément de message « 50 euros par semaine sinon je divulgue à toute la classe et à une caissière du supermarché de Saint Thom. »
Enfin, avec la vidéo il put lire « le fric à la page 44 du livre sur Mermoz à la bibli. Mardi à 15 heures dead line sinon... »
Catastrophé, Valentin resta plus de dix minutes à retourner le problème dans sa tête.
« Non, ce n’est pas possible, pas elle, pas Eva. »
Il finit par reprendre les photos une à une, toutes semblaient véridiques. C’est en agrandissant la deuxième jusqu’à pixelliser l’image qu’il remarqua au niveau du cou une série de points alignés horizontalement, plus sombres que ceux du visage et plus clairs que ceux du buste. Un peu gêné par son action, il examina ensuite les seins de la personne : les aréoles très claires n’étaient pas gonflées comme sur la première épreuve. Il se passa et repassa ensuite la courte vidéo de la fille et une autre anomalie l’interpela : le corps était légèrement mobile, vivant, mais la tête était fixe, figée dans un vague sourire.
Valentin avait compris : ces photos et cette vidéo étaient des montages !
Quelqu’un harcelait Eva, la faisait chanter.
« Est-ce que je garde ce dossier comme preuve éventuelle ? » se demanda-t-il.
Il hésita un instant.
« Non, pensa-t-il rapidement, si Eva n’en a pas parlé à son ami de cœur, c’est qu’elle ne veut à aucun prix que ces images soient connues. »
Et Valentin éradiqua le dossier complet de ses appareils.
Maintenant, comment résoudre cet épineux problème ? Qui connait Eva ? Qui la fait chanter ? Pourquoi elle ? Est-ce qu’elle connait l’individu ? Visiblement le maitre chanteur ne sait pas que la mère d’Eva est loin d’être riche et que cette dernière n’a pas beaucoup d’argent de poche. Il faut absolument que je trouve une solution à l’insu de notre amie.
Au fait, pourquoi elle ? Qu’est-ce qui la distingue des autres filles de sa classe ? Sa timidité ? Ce n’est vraiment pas une raison. Une jalouse de son attachement à Pascal ? Pas vraisemblable, les filles n’agissent pas comme ça.
Mais peut-être que Pascal est un des facteurs-cause de cette agression, à son corps défendant, bien sûr. Quelqu’un de tordu veut le torturer en s’en prenant à son amie. Mais qui peut bien lui en vouloir dans ce lycée où il vient d’arriver ? Ah, peut-être celui qu’il a si brillamment contré en lui écrasant les orteils pour l’empêcher de cogner sur Florian. Comment s’appelle-t-il déjà ce minable ? Oui, c’est ça, Nathan, mais son nom de famille… Et pourquoi ne s’attaque-t-il pas directement à Bouboule qui n’est physiquement pas impressionnant ? Probablement parce que Bouboule est dans la même classe que Gilles et Olivier, lesquels savent se défendre et comme nous avons décidé de ne jamais rester seuls, il n’ose pas s’attaquer à lui directement, donc il s’attaque lâchement à sa copine.
Pour réaliser les montages, il est facile de prendre une photo de quelqu’un, de faire un détourage de la tête et de coller le résultat sur l’image du corps d’une autre personne, photo piquée sur le net qui n’en manque pas. L’individu a dû se procurer l’URL du profil d’Eva et s’en servir en communication privée.
Maintenant, il faut agir. Je dois donc savoir si Eva a déjà payé. Elle a très peu d’argent de poche, a-t-elle emprunté de l’argent et à qui ? La première personne à qui elle peut demander, c’est l’ami Pascal, évidemment, donc je vais le questionner.
Deuxièmement, pour pouvoir coincer ce triste sire, il faut que je récupère le nom de famille du mec, sa classe et son emploi du temps, je vais demander à la sœur d’Amandine de se renseigner. Ensuite je demanderai à Pascal de convaincre Eva de changer son profil Instagram et au bout du bout, il faut faire passer l’envie de nuire à cet abject individu.
Au lieu de passer tout de suite à l’action, Valentin se figea.
« C’est étrange, j’ai le sentiment d’être passé à côté d’un détail important » se dit-il après avoir établi mentalement son plan d’action.
Il se concentra sur les informations obtenues à travers le dossier du téléphone d’Eva.
Mais bien sûr ! Il a parlé de la maman d’Eva, caissière au supermarché de Saint Thom, donc il connait le village. Y serait-il résident et dans ce cas, pourquoi ne le voit-on pas dans le car scolaire ? Il doit avoir un moyen de transport personnel, un scooter probablement. Encore un aspect à creuser et un angle d’attaque possible pour le dissuader de toute action contre nous à l’avenir.
OK, j’interviewe Bouboule et Camille à la récréation de demain matin.