Ce qui va suivre ici, je ne m’en souviens pas. Ma mère me l’a raconté.
C’était en juin 1940, j’avais dix-huit mois.
Mon père était à la guerre.
Le front de l’Aisne allait céder sous les assauts ennemis.
Maman, en compagnie de ses beaux-parents, avait décidé de fuir vers la Bretagne une occupation allemande qu’on annonçait terrible.
Depuis le matin, nous attendions à la gare de Villers-Cotterêts le train qui devait nous emmener. Celle-ci avait été prise pour cible par les avions à croix gammée. Des bombes tombaient de partout. Les voyageurs s’étaient réfugiés à l’abri du mur d’une propriété voisine, mur que les explosions criblaient de multiples éclats. Ma mère, visage défait, collait d’un bras mon frère aîné contre son flanc et me portait de l’autre sur son cœur.
Une sœur de Saint Vincent de Paul qui se trouvait en ce même lieu nous dévisageait avec insistance. Elle finit par s’approcher, aborda maman et lui dit :
— Vous êtes inquiète n’est-ce pas ?
— Oui, j’ai peur, surtout pour mes enfants.
— Est-ce que je peux vous aider ?
— Je ne sais pas...
— Vous êtes catholique ?
— Oui ma sœur.
— Vos enfants sont baptisés ?
— Pas mon dernier !
— Si vous voulez, je peux le baptiser ici tout de suite.
— Oui, je veux bien, cela me soulagera de savoir que si...
— Il s’appelle comment ?
— Daniel.
— Daniel, je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, dit-elle en versant de l’eau sur ma tête.
Et c’est ainsi que, sous une pluie de bombes et d’obus, dans le fracas des explosions, je fus ondoyé par cette brave bonne-sœur, au milieu d’une foule que ce geste n’a pas dû rassurer.
— Il faudra plus tard lui faire le véritable sacrement à l’église, vous savez.
— Ah... Alors ce n’est pas un vrai baptême ?
— C’est un ondoiement. Cela suffit à le faire accepter par Dieu s’il devait arriver quelque chose. Mais si le Seigneur veut que nous en réchappions, dès que vous en aurez la possibilité, il faudra que ce soit refait dans une église, par un prêtre.
Elle eut bien lieu cette cérémonie. À la fin de la guerre ! Je m’en souviens, j’y suis allé… à pied.
C’était un dimanche, après la grand-messe. Des enfants de chœur faisaient office de parrain et marraine. Je sens encore le froid de l’eau bénite sur mon front et le piquant du sel sur la langue.
Mes parents avaient fait d’une pierre deux coups. Mon plus jeune frère, Jacques, conçu lors d’une permission de mon père et né en septembre 1944 a été baptisé en même temps que moi, mais lui, il n’en garde aucun souvenir !