Marcel, cousin germain de mon père, vieux garçon et célibataire endurci, aimait faire des blagues. Je l’admirais pour cela.
Les repas familiaux chez mes grands-parents à Pisseleux, émaillés de facéties, prenaient un relief fabuleux. Avec le recul, je me rends bien compte qu’il se fournissait au magasin de farces et attrapes de son quartier, mais que c’était drôle d’entendre exploser un pétard quand un convive soulevait la salière, de voir surgir un serpent de papier en ouvrant le pot de moutarde truqué ou de sortir de son café une dizaine de mètres de fil à coudre libérés par la dissolution d’un sucre surprise !
Les femmes, moins maîtresses de leurs réactions sinon de leurs émotions, étaient les cibles privilégiées de ces plaisanteries.
À Pisseleux donc, ce devait être au début des grandes vacances je crois, juste avant le repas de midi, nous vîmes arriver Marcel sur sa superbe bicyclette, étincelante de chromes et suréquipée des derniers perfectionnements du concours Lépine. Quand le temps menaçait d’être beau, mon parrain délaissait volontiers le train pour s’offrir allègrement, à la force du jarret, les quelques quatre-vingts kilomètres séparant son domicile de Villers-Cotterêts.
Sac au dos, casquette enfoncée sur le front, il fit une entrée remarquée dans la cour de la maison en dégageant sa jambe droite au-dessus du cadre avant l’arrêt de son vélo. Il appuya calmement la selle de son engin contre le tronc du noyer de la cour puis, tout sourire, se retourna vers l’assemblée venue l’accueillir.
Courtois, civil, anormalement obséquieux, il s’avança vers les dames : ma mère, ma tante et ma grand-mère qui le contemplaient avec bienveillance, porta la main à sa casquette qu’il ôta en se courbant.
— Mesdames, je vous salue bien bas, fit-il l’air sardonique.
Les femmes ont crié, sont devenues blafardes, se sont vivement reculées avec un semblable haut-le-corps.
— Marcel, ne nous refaites jamais peur comme ça, dirent-elles presque à l’unisson.
Mon père, témoin de la scène, après un rapide coup d’œil à a casquette, éclata de rire. Interloqué je me suis avancé pour voir et comprendre. Dans le creux de la coiffe, heureux d’être au chaud, malheureux d’être dérangé, marron et brillant se tenait lové un brave et inoffensif lézard sans pattes, le serpent de verre, un orvet.
Les garçons de mon temps, tout au moins ceux de mon milieu, n’avaient pas peur des orvets.
Pour moi, un ver de terre n’est pas sale, un crapaud n’est pas venimeux, un orvet n’est pas dangereux; mais ce n’était pas l’avis des indignes filles d’Eve que nous faisions hurler de terreur ou de dégoût en leur présentant nos trouvailles. L’orvet se tient volontiers sous les pierres plates, les ferrailles, les vieux cartons abandonnés dans l’herbe et chauffés par le soleil. Sa recherche constituait un de nos jeux favoris car il permettait d’assouvir l’instinct du chasseur hélas encore fortement ancré dans nos cœurs de mâles, et secondairement de nous venger des filles rapporteuses.
Et, à ce propos, il revient à ma mémoire deux épisodes abominables et jubilatoires de ma carrière de chenapan.
Ce jour-là, nous avions pratiqué ce jeu très formateur qui consiste à deviner ce que l’on vous met sur la langue. La fille Lavigne, les yeux fermés, avait parfaitement reconnu le pain et le chocolat de notre goûter, la pomme et même la fleur de trèfle blanc. C’est peut-être parce que la sauterelle n’était pas tout à fait morte et s’est mise à remuer les pattes dans sa bouche que Colette s’est sauvé en hurlant et crachant. Cette fille avait décidément peur de tout ! Les injustes reproches de sa mère, à qui bien sûr elle a tout raconté, nous ont incités à la vengeance. Quelques jours après (pour éviter les soupçons) nous glissâmes un orvet dans sa boîte à lettres !
Rassurez-vous, la mère Lavigne avait le cœur solide, elle ne l’a pas eu sa crise cardiaque, mais le lendemain, au moment de la tournée du facteur, tout le monde dans le quartier parlait « serpents ». Tout le monde ? Non ! Pas mes parents. Ils voisinaient peu, heureusement pour nous, ils nous auraient peut-être soupçonnés !
Certes, nous eûmes tort également, un triste dimanche après-midi de lâcher une petite couleuvre dans la salle de cinéma du quartier de la Chaussée car n’est-ce-pas, dans le noir, impossible de faire la différence avec une vipère.
Les hurlements hystériques d’une dame ont interrompu la séance, les gens étaient debout sur les fauteuils ! La police est venue... Une annonce fut faite à la cantonade de regarder partout, accentuant bien sûr l’incompréhensible panique.
Peut-être que certaines âmes sensibles ne goûtèrent pas bien la fin de la projection... Aucune importance d’ailleurs car si je n'ai pas retenu le titre, ce n'était sûrement pas un chef-d’œuvre !