Notre logement se trouvait au milieu de la ligne continue de corons de la rue Hébert. Ce n’était d’ailleurs pas un vrai coron comme dans le nord minier mais plutôt une maison avec un étage, mitoyenne des deux côtés, donnant d’une part sur la rue et de l’autre dans une petite cour fermée de murs de briques et d’une porte aveugle.
Le sol de cette cour était fait pour moitié d’une allée en ciment, le reste était en terre battue. Au fond de la courette se trouvait une sorte de remise que nous appelions la buanderie.
C’est là que mes parents élevaient, dans quatre clapiers grillagés, plusieurs couples de lapins, mes amis éphémères...
Quand la solitude me prenait, j’allais leur parler, récompensant leur attention par quelques brins d’herbe, une carotte détournée de la réserve ou un bout de croûton de pain sec.
Dans cette buanderie, ma mère remisait la planche à laver, les lessiveuses ainsi que le baquet de rinçage quand elle avait fini de frotter - à la brosse de chiendent - le linge de la famille et les bleus de travail de mon père. Ce même baquet servait aussi de baignoire pour la grande toilette hebdomadaire.
Il faisait chaud en ce jour ensoleillé de fin de printemps et je jouais dans notre petite cour avec la fille d’une voisine.
Antoinette était une vraie poupée blonde et rose, aux yeux bleus et aux cheveux tressés.
Il faut dire que je ne jouais avec les filles que le matin, quand la bande de copains du quartier ne s’était pas encore rassemblée. Je trouvais que les filles manquaient singulièrement d’idées de jeu : la corde à sauter, la marelle ou la balle au mur ne me passionnaient guère.
J’avais bien essayé d’initier Antoinette aux plaisirs du foot en lui imposant de me tirer des buts, mais les balles n’obéissent pas aux pieds des filles.
— Tu sais pas jouer, j’arrête !
Elle avait des excuses, car réussir à dompter ce qui nous servait de ballon tenait de l’exploit. Nous fabriquions nos balles avec du papier-journal froissé en boule et maintenu en forme de sphère par une série d’anneaux de caoutchouc découpés dans une vieille chambre à air de bicyclette.
— On fait une partie simple ?
La partie simple consiste à envoyer à la main la balle contre un mur et à la rattraper en faisant chaque fois une figure différente comme frapper dans ses mains, tourner sur soi-même, se tenir sur un pied... tout ceci en chantonnant ce que l’on fait.
— Non, c’est toujours pareil, c’est un jeu de fille, c’est pas drôle !
Je veux bien avouer maintenant que les filles étaient plus adroites que nous - les mâles - à ce jeu, et que, à cette époque surtout, les garçons se devaient d’être toujours les meilleurs.
— On joue à quoi alors ? A la corde ?
— Non, non, viens plutôt voir les lapins.
— Oui, je veux bien.
Antoinette disait toujours oui.
Et c’est là, dans la remise, pendant qu’Antoinette -toute fraîche dans sa robe de vichy rose et blanc- tentait de faire passer une carotte à travers le grillage de la cage tandis que le lapin tirait de son côté, déclenchant ses rires, que je connus la première émotion amoureuse de ma vie.
Fut-ce à cause de l’odeur lourde et musquée des animaux, ou bien parce que pour la première fois je me trouvai dans un lieu clos avec une fille, ou peut-être encore la vue des cheveux fous, échappés de sa tresse, qui moussaient sur ses tempes et dans son cou ? Je sentis soudain mes artères battre et une chaleur intense me gagner.
— Regarde, dis-je en lui montrant les lessiveuses, c’est là-dedans que je me lave.
— C’est vrai ?
- Oui, on fait comme ça...
Je libérai le baquet de ce qui l’encombrait et en enjambai le bord.
— Viens avec moi !
— Dans le baquet ?
— Oui, je vais te montrer.
— Il n’y a pas d’eau, on peut pas se laver !
— On fait semblant, j’enlève ma chemisette, et toi ?
— J’ai que ma robe.
— Enlève-la !
— Tu crois ? On peut nous voir !
— Mais non, ma mère est aux commissions. Et puis si on veut jouer à la toilette, il faut bien !
Antoinette prit le bas de sa robe en croisant les bras devant elle et, se déhanchant d’un pied sur l’autre, fit passer le vêtement par-dessus sa tête, laissant apparaître son mignon petit corps nacré simplement habillé d’un petit slip blanc.
— Enlève aussi ta culotte, on peut pas nous voir je te dis.
— Oui si tu enlèves aussi la tienne !
— Bon, allez, ensemble.
Je défis mes boutons pendant que ma petite amie se penchait, faisant glisser son slip à ses pieds.
Ce fut l’instant de tous les émois.
Quand elle se redressa, je ne vis plus que sa vulve de petite fille, ourlée, dodue, avec son adorable et mystérieuse fossette rosée prolongée d’un trait plus sombre.
J’eus du mal à enlever ma culotte tant mon pénis était tendu et tant la chaleur qui m’inondait contrariait mes gestes.
Antoinette fit entendre un petit rire de fille. Elle toucha délicatement mon sexe érigé :
— Qu’est-ce que c’est que ce bâton !?
Elle n'avait jamais vu ça !
La gorge nouée, je ne répondis pas et posai le bout de mes doigts sur sa troublante fossette. Elle se laissa faire.
Combien de temps dura ce moment de paradis : elle tenant mon zizi à pleine main et moi caressant doucement le bas de son ventre ? Je ne sais... Le temps s’était arrêté.
Soudain, depuis la cuisine, la voix de ma mère arriva, nous pétrifiant :
— Daniel, tu es là ?
— Hein ? Oui, on regarde les lapins.
— Tu es avec qui ?
— Avec Antoinette, on leur donne à manger.
— Bon, on va bientôt dîner nous aussi.
Je remis en silence le matériel à sa place pendant qu’Antoinette, le visage écarlate et les yeux baissés finissait de remettre sa robe. Le charme était rompu.
Quelques temps après, me trouvant dans la cuisine par une même matinée ensoleillée, je me rendis compte avec une surprise mêlée de honte rétrospective que les vitres de la porte, faisant office de miroir, permettent de distinguer toute la cour et jusqu’au fond de la buanderie !
Il m’arrive encore d’évoquer ce moment et de me demander quel âge je pouvais avoir alors : sept ans, huit peut-être, certainement pas plus.
Antoinette est restée quelque temps mon amie, nous n’avons jamais parlé de cette matinée.
Si un jour tu as l’occasion de lire ces lignes, Antoinette, je veux que tu saches que le souvenir de ce moment me fait toujours chaud au cœur et que, n'en déplaise au curé de l'époque, j’en garde une impression de grande pureté.