10. Correspondance
 Arrivé dans son appartement, il eut envie d’appeler immédiatement sa fille pour la rassurer mais sachant qu’au travail elle ne pouvait répondre, il rédigea un bref texto.
Coucou ma Flora,
Je viens de rentrer et j’ai fait bonne route.
Un problème au cimetière. La dalle du caveau de tes grands-parents a été abîmée, sûrement par un engin des pompes funèbres. J’en ai commandé une autre au marbrier mais il va falloir que je retourne à Laon dans un mois.
Sinon, tout va bien, je retrouve un peu le moral.
Bisous à toute ta petite famille.
Papa
Dans la foulée, il voulut enchainer avec un autre texto, pour Brigitte cette fois, mais il eut une hésitation.
« Attention, il ne faut pas que mon envoi la compromette vis-à-vis de son mari si par hasard il surveille les communications de son portable. Je vais plutôt lui envoyer un message par le site des Copains d’école.
Voyons, il faut que je sois le plus neutre possible mais je veux quand même lui faire comprendre que j’ai été très heureux de la revoir. »
Il alluma son PC, se connecta au réseau social. Sur la page de Brigitte Jankovski, il ouvrit l’onglet consacré à la messagerie et, pesant tous ses mots, il écrivit :
Bonsoir Brigitte,
Content que nous nous soyons retrouvés sur ce site parmi les anciens des Écoles Normales.
J’ai d’excellents souvenirs de notre école et de la ville de Laon où nous avons fait nos études.
J’y suis allé récemment pour régler quelques problèmes. L’endroit, chargé de souvenirs, me plait toujours autant : la cathédrale, les remparts, la porte d’Ardon, la tour penchée et la porte de Soissons ainsi que son petit square.
Es-tu d’accord pour échanger, quand l’occasion se présentera, des nouvelles et des renseignements sur nous ou d’anciennes connaissances communes ?
À cet effet voici mon adresse de courriel et mon numéro de portable.
Bien amicalement de Saint Jorioz.
Yannick Lefevre, promotion 1964 – 1968.

Voilà, elle comprendra que je suis bien rentré, que j’ai apprécié de la revoir et que nous pouvons donner une suite à tout cela. Comme elle a déjà les coordonnées pour me joindre, elle saura que ce mail est surtout à l’usage de son mari, destiné à la protéger d’éventuels soupçons.
Il n’attendait pas une réponse immédiate de la part de Brigitte. Pour elle, montrer trop d’empressement à lui répondre pouvait éventuellement conduire à une forme d’inquisition de la part de son mari s’il avait un caractère jaloux.
« Qui est cet homme ? Tu l’as bien connu ? Que représente-t-il pour toi ? »

 Ce n’est que quinze jours plus tard que vint sa réponse par l’intermédiaire de la messagerie du site.
Bonjour Yannick,
Moi aussi je suis contente d’avoir des nouvelles des anciens de l’EN.
Pour ma part, j’ai peu enseigné car je suis devenue l’assistante de mon mari, médecin à Guignicourt, mais il est intéressant de connaitre les parcours professionnels des uns et des autres.
C’est vrai que Laon est une belle ville. N’habitant pas très loin, je m’y rends de temps en temps et j’apprécie de revoir ces lieux qui évoquent tant de bons souvenirs de jeunesse.
Amicalement,
Brigitte Jankovski promotion 1965 – 1969.

À la lecture de ce message sur sa page des Copains d’école, Yannick apprécia la finesse intellectuelle de Brigitte. Elle ne lui disait rien qu’il ne sut déjà mais lui faisait comprendre qu’elle avait apprécié autant que lui leurs retrouvailles dans les lieux de leurs jeunesses.
« Donc, en déduisit-il, elle n’a pas parlé de notre rencontre à son mari. Elle ne veut pas qu’il connaisse les liens qu’ils avaient renoués. Donc peut-être envisageait-elle une suite à tout cela. »
Il attendit une semaine de plus avant de rédiger un nouveau message, toujours aussi neutre en apparence.
Bonjour Brigitte,
Je n’étais pas retourné à Laon depuis plus de dix ans et voilà que je dois de nouveau m’y rendre à partir du jeudi neuf juin pour des tracasseries administratives.
J’espère y rencontrer un camarade du temps de l’École Normale. Cela me permettra d’évoquer le bon vieux temps comme disaient mes parents il y a plus de cinquante ans. Le bon vieux temps, c’est toujours celui de notre jeunesse, n’est-ce pas ?
Bon, j’arrête de t’ennuyer avec ces choses qui n’ont pas d’intérêt pour toi.
Amicalement,
Yannick

Voilà, elle sait maintenant quand je vais « remonter » en Picardie. La suite est à son initiative, si elle veut qu’il y ait une suite.