11. Nouveau Voyage
Le premier carillon du matin sonnait sept heures au clocher de l’église du village ce jeudi 9 juin quand Yannick sortit la C4 du garage. Une fois hors du sous-sol de son immeuble peu propice à la géolocalisation, il arrêta la voiture pour programmer le navigateur installé sur son smartphone, navigateur qu’il préférait à celui de la C4. Il sortit la fixation ventouse du petit coffre entre les sièges, l’installa contre le pare-brise, y fixa son téléphone et activa l’application dédiée.
« Je ne suis pas pressé, raisonna-t-il, si je passais par Mâcon et Dijon pour changer ? Le trajet sera peut-être moins monotone que par Lons le Saulnier et Dôle. »
Jusqu’à Bourg en Bresse, par l’autoroute des Titans, le trajet, un peu brouillardeux ce jour-là, était le même que lors de son précédent voyage. Ensuite, sous une alternance de nuages et d’éclaircies, par Mâcon, Tournus, Châlons sur Saône, Beaune, Dijon, Langres, Chaumont, l’autoroute s’avéra tout aussi ennuyeuse que celle passant par la plaine Bressane. Il soupira.
« Avec Agnès, nous avions bien raison de privilégier les routes ordinaires. C’est moins cher, moins soporifique et plus pittoresque, mais plus lent. La vraie France, quoi ! »
Peu avant d’arriver au niveau de Troyes, le tableau de bord indiquant midi, il décida de s’arrêter sur une aire de repos. Quelques gros nuages sombres roulaient leurs volutes dans un ciel encombré. La fraicheur du petit matin avait laissé place à une chaleur lourde, étouffante. Un coup d’œil à la jauge de carburant lui indiqua qu’il ne lui restait qu’un quart de réservoir. Afin d’être tranquille pour la fin du voyage, il compléta le plein d’essence avant de se garer et de gagner le restaurant où il commanda la spécialité locale : une andouillette-frites.
À la fin de son repas, finalement fort correct pour une restauration d’autoroute, il se mit à réfléchir au déroulement de la suite de sa journée.
« Et si je passais un coup de fil à l’hôtel à Laon pour être sûr d’avoir la même chambre ?
Mon téléphone…
Mais où ai-je mis mon téléphone ? s’énerva-t-il et tâtant toutes ses poches. Aïe, j’ai dû le laisser sur son support dans la voiture ! Ce qu’il ne faut jamais faire ! Pourvu que… » Ayant payé son repas au moment de la commande, il put se précipiter immédiatement à l’extérieur. De loin il aperçut un individu stationnant auprès de sa C4. Il franchit au pas accéléré les cinquante mètres le séparant de son véhicule. Alerté par le bruit précipité des pas venant vers lui, l’individu, qui avait une main sur la poignée côté chauffeur, tourna le dos et s’éloigna sans se presser, sans se retourner, d’une allure nonchalante. Yannick n’avait pu voir que sa silhouette. Il hésita mais il se dit qu’une altercation n’arrangerait rien et pouvait se terminer mal pour lui. Il renonça à interpeller un homme potentiellement dangereux.
« J’ai l’impression qu’il était temps, soupira-t-il, il faut se méfier de tout et de tous maintenant. La portière était verrouillée mais ce genre d’individu n’hésite pas à briser une vitre pour se servir. Quelle époque ! »
Yannick s’installa, boucla sa ceinture de sécurité.
« Qu’il fait chaud dans cette voiture, j’aurais dû chercher une place à l’ombre » se dit-il en relançant son smartphone toujours branché à la prise USB. Un petit chiffre 3 rouge contre l’icône de l’application téléphone s’afficha. « Tiens, on m’a appelé pendant que je mangeais : Flora probablement ou les centrales d’appel qui sévissent pendant le temps de midi. » Il toucha l’icône. Apparut sur l’écran un numéro répété trois fois ainsi que « nouveau message vocal. »
Il toucha l’icône correspondante et activa le haut-parleur.
« Heu… Bonjour Yannick. Je voulais savoir si c’est bien aujourd’hui que tu retournes à Laon. Appelle-moi dès que tu peux. Bisous. »
« C’est Brigitte… » constata-t-il un peu bêtement, « elle désire probablement que nous nous revoyons à Laon et veut fixer le rendez-vous. Mais je ne vais pas l’appeler alors que son mari est peut-être à côté d’elle. Je vais rouler un peu et attendre quatorze heures. »
— Allo Brigitte ? C’est Yannick Lefevre. Je… je peux te parler ?
— Ah, Yannick, bonjour, oui, tu peux me parler, je suis seule.
— J’ai écouté ton message. Je suis sur l’autoroute en direction de Laon. Actuellement je viens de m’arrêter sur l’aire de repos de Champ Carreau entre Troyes et Reims.
— Tu dois impérativement être à Laon ce soir ?
— Impérativement n’est pas le mot. J’ai prévu d’aller dans le même hôtel que la dernière fois. Il faut d’ailleurs que j’appelle pour retenir ma chambre.
— Écoute Yannick, j’ai une grande maison à Guignicourt. Il y a une confortable chambre d’amis avec sa petite salle de bains. Si tu veux, je peux te loger. Guignicourt n’est pas très loin de Laon. Tu n’auras aucun problème pour t’y rendre.
— Ton mari est d’accord ?
— Mon mari est parti samedi dernier pour un séminaire médical, il ne rentrera pas avant le week-end.
— Ta proposition est super gentille. Mais je ne veux pas te poser de problème.
— Si je te le propose, c’est que c’est possible et que ça me fait plaisir.
— Alors j’accepte… avec le même plaisir.
— Tu arrives quand tu veux. Ma maison se trouve dans le Clos du Château, à l’entrée du village.
— Je prends quelle sortie d’autoroute après Reims ?
— La sortie vers Berry au Bac et Guignicourt est indiquée après le pont sur l’Aisne. Tu sauras trouver le Clos du Château ?
— Je vais programmer mon navigateur, répondit-il hypocritement.
— Quand tu seras à l’entrée du Clos, ma maison se trouve au bout de la rue de gauche.
— Je devrais trouver. À tout à l’heure Brigitte. Bisous.
— Je t’attends. Bisous aussi.