14. Retour à Laon.
 Yannick descendit l’escalier à huit heures sonnant à l’horloge comtoise du salon.
Douche prise, impeccablement rasé, vêtu de son T-shirt de la veille et d’un pantalon léger, il rejoignit Brigitte qui s’activait déjà dans la cuisine.
— Bonjour Yannick, bien dormi ? s’enquit-t-elle avec un sourire à peine malicieux.
— Comme toi je suppose, répondit-il avec la même intention. Je n’ai pas trop accaparé la salle de bain ?
— J’ai utilisé le cabinet de toilette du rez-de-chaussée. Ne culpabilise pas.
— Je ne me sens pas coupable, juste un peu sans gêne.
— Thé ou café ?
— Je suis plutôt café.
— Tu as beaucoup à faire à Laon ?
— Non pas trop, juste contrôler que ma commande au marbrier a bien été exécutée.
— Tu peux être de retour pour le repas de midi ?
— Trop incertain. Ne compte pas sur moi avant le milieu de l’après-midi.
— Où vas-tu manger ?
— Je connais une bonne pizzeria rue Saint Jean.

 Arrivé au niveau de la ville, Yannick contourna la butte par l’est et le nord pours se rendre directement au cimetière Saint Just. Sur place un ouvrier s’appliquait à lisser les joints entre la pierre tombale et son socle. La stèle avait été redressée et lustrée. Un peu plus loin, le marbre gris de la tombe de ses grands-parents avait également été nettoyé.
« Excellent travail » dit-il à l’ouvrier qui avait levé vers lui un œil interrogateur. « J’en toucherai un mot au patron. »
Quand ensuite il eut remercié le marbrier pour la qualité de ses services et se fut acquitté de la somme restant due, il redémarra la C4 à la recherche d’un magasin de fleurs puis retourna au cimetière Saint Just déposer un pot de géranium sur chacune des deux tombes.

 C’est le cœur plus léger qu’il décida ensuite de remonter au plateau par la route de Soissons. Arrivé en haut de la côte, il emprunta la rue de la Libération pour aller garer sa voiture sur le parking de l’église Saint Martin puis il s’en fut à pied vers son ancien collège qu’il contourna par la droite pour se retrouver une fois de plus dans le square du père Marquette.
Étrangement il ne ressentit pas la même vibration que lors de ses deux précédentes venues. Mal à l’aise, il se posa sur le banc face au verdoyant paysage de la plaine vers l’ouest et se mit à réfléchir.
« Ai-je eu raison d’accepter de loger chez Brigitte ? J’ai un peu le sentiment d’avoir trompé mon Agnès. Certes, Flora me pousse à rencontrer des gens mais est-ce que je le souhaite ?
Ce qui vient d’arriver me dépasse.
Pourquoi ai-je craqué ?
L’ai-je inconsciemment voulu ?
Evidemment, le souvenir, l’occasion, l’intimité, l’orage, l’attitude de Brigitte… Tout cela a joué, c’est certain. Un homme trop longtemps abstinent est naturellement pris de pulsions et Brigitte est encore une belle femme, élégante et pulpeuse à la fois.
De son côté, c’est une femme blessée, désillusionnée.
A-t-elle voulu se venger de son mari ou a-t-elle eu un véritable coup d’amour pour moi ?
C’est vrai que le cœur ne vieillit jamais.
De toute façon, entre elle et moi, ce ne peut-être qu’une brève aventure. Il n’y a pas de lendemain possible à tout cela. Quand je repartirai demain matin, je lui ferai comprendre. »

 Il se secoua, continua en direction de l’ancienne EN de jeunes filles, prit une photo souvenir de l’entrée du bâtiment. Il se dirigea ensuite vers l’autre EN, la sienne, qu’il photographia également. Il prit aussi un cliché du panorama des toits de la ville surmontés par les hautes tours de la cathédrale se détachant sur fond de ciel bleu à travers une trouée dans les arbres bordant le petit stade.
C’est avec le sentiment qu’il ne reverrait plus ces lieux si chers dans ses souvenirs que, longeant les murs fortifiés du lycée, il se dirigea vers l’église Saint Martin et le centre de la ville haute.
Comme le mois précédent, dans la pizzeria de la rue Saint Jean, il déjeuna d’une excellente jambon fromage chorizo et d’un verre du même excellent côte du Rhône qui remonta son moral défaillant.
Pizza terminée, il relança son smartphone afin d’envoyer un courriel à sa fille.
« Coucou Flora,
Au cimetière, tout est bien réparé.
Aujourd’hui il fait beau et chaud, je me promène à la recherche de souvenirs, la ville haute est toujours aussi agréable.
Je rentre demain dans la journée.
Grosses bises à vous quatre.
Je joins une photo de la façade de mon EN et une autre prise depuis le terrain de sport montrant la vue que j’avais quand je m’exerçais.
»

 Courriel expédié, il se rendit compte qu’il n’avait pas envie de repartir tout de suite. Il décida de faire le tour de la ville haute par les remparts.
Il avait autrefois exploré tous ces endroits chargés d’histoire mais n’avait jamais fait en continu les six kilomètres de la splendide promenade.
Yannick commença par revisiter la cathédrale dont il n’avait pas revu l’intérieur depuis ses années d’étude. Il décida de commencer le circuit promenade par le rempart nord et sa vaste vue sur la plaine laonnoise. En bout de plateau, il contourna la citadelle, s’engagea sur la promenade de la Couloire offrant d’admirables vues sur la cathédrale, passa les fortifications de la porte d’Ardon, musarda sur le rempart Thibezard dominant la cuve Saint Vincent, repassa encore par les Écoles Normales et rejoignit la porte de Soissons.
Il était dix-huit heures quand il ouvrit la portière de sa voiture sur le parking de l’église Saint Martin, mais il ne prit pas immédiatement la route du retour, il retourna au magasin où il avait acheté les géraniums. Là, bien conseillé par la fleuriste, il fit l’emplette d’une mini orchidée blanche extrêmement florifère ainsi qu’une autre présentant deux hampes de grandes fleurs aux pétales d’un bleu myosotis délicat et aux labelles d’un violet sombre taché d’or. Aimable et commerçante la fleuriste l’aida à caler les pots de ces fleurs fragiles derrière le siège passager de sa voiture.