16. Réflexions.
 Quand, tôt le lendemain matin Yannick s’éveilla, Brigitte était sous le drap à côté de lui. Sa respiration régulière montrait qu’elle dormait. Très fatigué par sa journée de la veille, il s’était endormi comme une masse, ne s’était même pas réveillé quand Brigitte s’était allongée près de lui.
Au ralenti, précautionneusement pour ne pas la réveiller, il sortit du lit et passa dans la salle de bain.
Après une douche revigorante, il revint dans la chambre. Brigitte, appuyée sur un coude le regardait en souriant.
— Tu es tombé du lit ? se moqua-t-elle.
— J’ai beaucoup de route à faire aujourd’hui et je ne veux pas arriver trop tard chez moi. Je pars dès que je suis prêt.
— Tu ne veux pas prendre ton petit déjeuner avec moi ?
— Merci, c’est gentil mais je prendrai un café en route lors de mon premier stop.
— Tu pourrais passer une journée supplémentaire ici.
— Tu m’as bien dit que ton mari rentrait ce week-end. C’est samedi aujourd’hui, c’est le week-end.
— Il m’a expliqué que son avion atterrit à Roissy vers vingt heures. Le temps qu’il récupère son bagage, qu’il retrouve la voiture au parking, une bonne heure de route ensuite, puis il doit raccompagner sa secrétaire, il ne sera pas là avant onze heures ou minuit. Il n’est jamais pressé de me rejoindre.
L’horloge comtoise après son carillon de présence égrena lentement huit coups.
— J’ai prévenu Flora ma fille que je serai à Saint Thomas vers quinze heures. Il faut que j’y aille. Nous continuerons à correspondre si c’est ton désir. Et puis nous aurons sûrement l’occasion de nous revoir. Je te remercie infiniment pour ton généreux accueil. Je voulais aussi… m’excuser pour m’être laissé aller la nuit précédente, je ne sais pas ce qui m’a pris.
— Tu m’as fait le plus beau cadeau que j’ai eu depuis vingt ans. Surtout ne culpabilise pas, c’était merveilleux, de quoi alimenter mes fantasmes pendant bien longtemps.
— Mais si ton mari…
— Mon mari n’a eu que ce qu’il mérite. Et puis qui va lui dire ? Que peut-on lui dire ? En tout cas moi je ne regrette rien.
— Quatre bises aussi pour se dire au revoir ?
— Ça c’est en public, dans l’intimité cela peut être différent. Comme ça, ajouta-t-elle en posant ses lèvres sur celles de Yannick. J’espère que nous nous reverrons avant quarante-huit ans et sept mois.
Yannick eut un petit rire.
— Quelle est la fréquence des séminaires médico-pharmaceutiques ? Bon, cette fois j’y vais, conclut-il en saisissant son sac de voyage. Au revoir Brigitte de ma jeunesse.

 Sur l’autoroute du retour, Yannick se mit à décortiquer mentalement le comportement de son amie. Il en arriva rapidement à la conclusion qu’elle avait eu celui d’une femme désabusée, trop dépendante d’un mari qu’elle n’aimait plus, -si tant est qu’elle l’ait jamais aimé-, et qui voulait s’accorder le frisson d’un adultère avec un amour de jeunesse.
« Et moi dans tout ça ? Pour elle j’étais la bonne occasion mais est-ce que j’ai envie de continuer cette improbable relation ? Elle s’est montrée gentille, pleine d’attentions, mais elle ne pourra jamais remplacer mon Agnès. Flora me pousse à continuer à vivre, mais pas à complètement refaire ma vie avec une autre femme. De toute façon, par des décisions de jeunesse pas assez réfléchies, Brigitte s’est rendue prisonnière de son mari, financièrement, socialement. Jamais elle ne pourra se libérer, divorcer, être libre. Ai-je envie de la revoir ? De temps en temps, pourquoi pas, mais… C’est bien compliqué. Six cents kilomètres entre-nous !
Faire l’amour avec elle, c’était bien agréable. J’en avais tellement rêvé quand j’étais adolescent. Y a-t-il une prédestination derrière cet enchainement de circonstances ? Non, là je vais trop loin, ce sont des croyances de faibles d’esprit. Rien de tout cela ne se serait produit si mon Agnès m’était restée… »
Les réflexions s’enchainant, revenant en boucle, firent que la route lui sembla plus courte. Il n’avais pas ressenti le besoin de s’arrêter pour déjeuner. Il était deux heures et demie de l’après-midi quand il stoppa sa C4 devant la maison de Flora.
— Oh, papa, je suis contente que tu sois bien rentré. As-tu fait bonne route ?
— Très bonne ma petite fille, peu de circulation. J’ai voulu d’abord passer te faire la bise avant de rentrer à l’appartement faire une petite sieste.
— Hum, tu sens bon. C’est quoi ce parfum ?
— Qu’est-ce que je sens selon toi ?
— C’est à la fois frais et capiteux, je dirais jasmin ou chèvrefeuille. C’est très féminin pour un après-rasage.