De retour dans son appartement du centre village, Yannick ne cessait de se poser des questions : « Que s’est-il passé à Guignicourt ? En quoi est-ce que cela me concerne ? Pourquoi veulent-ils mes empreintes ? Que vient faire ma C4 dans cette affaire ? S’il s’agissait d’un simple fait divers routier, l’adjudant Monod n’aurait eu aucune raison de me le cacher.
Et si j’appelais Brigitte ? Guignicourt est un petit village, elle doit être au courant de ce qui s’y passe. Mais il vaut mieux que je m’assure au préalable que son gentil mari n’est pas près d’elle. Comment faire ? Mais oui, par internet ! »
Yannick lança le moteur de recherche de son smartphone et tapa : « Docteur Depierre Guignicourt. » Moins d’une seconde après, la liste des médecins du village et des environs s’afficha. Dans cette liste figurait « Yves Depierre, médecine générale. Consultations au cabinet les lundi mardi mercredi jeudi vendredi de huit heures à douze heures et de quatorze heures à dix-neuf heures. »
Un bref coup d’œil sur le haut de son écran le rassura. Onze heures trente. Il fit apparaitre sa liste de correspondants et toucha le nom de Brigitte. Dès que la communication fut établie, une voix robotisée lui indiqua qu’il était en contact avec la messagerie du numéro de son amie et l’invita à laisser un message. Yannick coupa la communication avant le bip, laissa passer une minute et relança son appel, sans plus de succès.
« Elle n’a pas allumé son portable, je réessayerai en début d’après-midi. »
Il attendit quatorze heures trente avant d’appeler à nouveau. La même voix féminine robotisée l’invita à laisser un message. Yannick se décida. « Bonjour madame Depierre, ici monsieur Lefevre. Pouvez-vous me rappeler ? Merci. »
La journée s’acheva sans appel de Brigitte, donc sans réponse à ses questions.
« Que se passe-t-il donc à Guignicourt ? »
À dix-huit heures, toujours sans nouvelle de son amie, soucieux de ne pas la compromettre aux yeux de son mari, il décida de lui envoyer un courriel le plus anodin possible : « Bonjour Brigitte, j’ai appris qu’un incident s’est produit dans la commune de Guignicourt où je crois que vous habitez, pouvez-vous me tenir informé ? » et il signa Yannick Lefevre, promotion 1964 - 1968.
Il hésita à rédiger le même message sur le site des Copains d’école mais renonça, pensant avec juste raison que ce courriel ferait double emploi avec le sien puisqu’elle en serait informée en même temps par sa messagerie.
Yannick passa une nuit tourmentée, son subconscient ne trouvant pas de réponses aux questions qu’il se posait et qui se reformulaient cycliquement dans son demi-sommeil. Quand il se leva vers cinq heures du matin, sa première action fut d’activer son smartphone mais il fut à nouveau déçu. Pas de réponse. Rien !
« Comment puis-je me renseigner ? Téléphoner à la mairie et me faire passer pour un journaliste ? Le correspondant risque de me demander pour quel journal je travaille.
Journal… mais oui, tous les journaux possèdent un site internet, il suffit que je trouve celui d’un journal local. Quels journaux publient dans la région ? Oula, c’est lointain comme souvenir ! Il y avait… ah oui, La Dépêche de l’Aisne et l’Aisne nouvelle, peut-être l’Union de Reims, Reims n’est pas loin de Guignicourt, ah il y a aussi le courrier Picard.
Yannick alluma son ordinateur et se prépara un café pendant que celui-ci chargeait ses logiciels.
Cinq minutes plus tard, tasse de café dans la main gauche, tapotant son clavier de l’index droit, après avoir vainement cherché dans les trois premiers sites, c’est dans le Courrier Picard Aisne qu’il trouva le seul article parlant de Guignicourt. L’intitulé annonçait « Guignicourt : dramatique accident » et sous le titre, dans un encadré jaune : Réservé aux abonnés.
« Eh bien, je ne suis pas plus avancé ! Je ne vais pas m’abonner pour un seul article susceptible de m’intéresser. Je vais attendre la réponse à mes messages et basta.
Bon, maintenant que je suis levé, qu’est-ce que je fais ? Une nouvelle randonnée en montagne, ce serait sympa. Avec Agnès on voulait faire l’ascension de la pointe de Tardevant dans les Aravis mais… Allez, mon sac à dos, pull-over, casquette, poncho s’il y a orage, lunettes de soleil, carte, boussole, téléphone, saucisson, pain, barres énergétiques, deux pommes, ma gourde, les papiers de l’auto, portefeuille, argent. Quelle heure est-il ? Presque six heures. Une heure et demie de route, quatre heures d’ascension, une demi-heure au sommet, le timing me semble bon. Ah oui, Éteindre le PC et c’est parti. »
Yannick avait la main sur le verrou de la porte quand retentit impérativement la sonnette d’entrée : ding dong, ding dong, ding dong !
Il ouvrit rageusement, décidé à interpeler vertement la personne qui se permettait de sonner à cette heure indue. Sur le seuil se tenaient l’adjudant-chef Monod, le brigadier Clusel et un autre brigadier qu’il connaissait de vue mais dont il ignorait le nom.
— Que me voulez-vous encore ? s’énerva Yannick.
Visage sévère contrastant avec la mine avenante qu’il avait eue précédemment, l’adjudant-chef lui présenta une feuille de papier.
— Monsieur Lefevre, nous avons reçu cette commission rogatoire d’un juge d’instruction du palais de justice de Laon. Vous êtes en état d’arrestation, je vais vous demander de nous suivre.
— Mais… Mais qu’est-ce que cela signifie ?
— Nous ne faisons qu’obéir aux ordres, monsieur Lefevre. Ne faites pas de difficultés, suivez-nous.
— Mais c’est totalement arbitraire ! De quoi m’accuse-t-on ?
— Je n’ai pas à vous répondre. Vous nous suivez de votre plein gré ou bien ?
— Ou bien quoi ?
— Nous serons obligé de vous passer les menottes.
— Je suppose que j’ai le droit de passer un coup de téléphone.
— Un seul appel.
Yannick posa sur le carrelage le sac à dos qu’il tenait toujours à la main. Quand il déboucla les sangles de fermeture de celui-ci, les deux brigadiers mirent la main sur la crosse de leur pistolet de ceinture, geste qui ne lui échappa pas.
— Vous me prenez pour un malfrat ? les interpela-t-il l’air méchant, vous pensez que je me promène avec une arme ?
Après avoir fouillé fébrilement tout le fond du sac, il trouva enfin son smartphone dans le rabat de fermeture. Après plusieurs erreurs, il réussit à faire apparaitre sa liste des contacts favoris et toucha le prénom de sa fille. L’appel bascula immédiatement sur le répondeur.
«
Flora, c’est papa.
La gendarmerie du village vient de sonner pour m’arrêter. Je ne comprends pas.
Je n’ai rien fait tu t’en doutes bien et pourtant les gendarmes menacent de me passer les menottes.
Je ne sais pas si je pourrai te contacter à nouveau.
Vois avec Adrien ce que vous pouvez faire.
Je t’aime ma fille, je vous aime tous les quatre. »