23. Contre-enquête.
Le vieux fourgon de la police démarra dans un nuage de fumée de l’échappement d’un moteur usé, laissant Adrien Lacourt mortifié et en colère, triste et désemparé.
« Mais quel abruti ce juge ! ragea-t-il, il bâcle l’instruction en se concentrant uniquement sur les éléments à charge. Pourtant ce n’est pas faute de lui avoir suggéré des pistes. C’est peut-être à cause de cela en fait, il s’est vexé et s’est arcbouté sur son impression première. Qu’est-ce que je fais maintenant ? Je n’aurai pas de permis de visite avant plusieurs jours et en prison, pas de smartphone, en principe.
L’idée serait que je trouve rapidement le moyen de l’innocenter sinon il va rester jusqu’en octobre dans cette prison, lui qui n’a déjà pas le moral ! Si je ne trouve pas rapidement une preuve à décharge, ce sera le procès d’assises avec sa part d’incertitude. Il faut que j’appelle Flora pour lui annoncer la mauvaise nouvelle.
Ensuite… Ensuite je vais enquêter sur chacun des points que j’ai soulevés devant le juge. Par lequel commencer ? Peut-être serait-il judicieux que je me fasse une opinion plus approfondie sur ce toubib. Voyons, quelle heure est-il ? Aïe, six heures et demie, plus une demie heure minimum de route jusqu’à Guignicourt… J’irai plutôt demain.
OK, je rentre à l’hôtel, une bonne douche puis je me concentre sur l’heure d’atterrissage de l’avion.
Dans sa chambre, Adrien passa plus d’un quart d’heure à pianoter sur son smartphone à chercher des renseignements sur les vols à l’arrivée à l’aéroport Charles de Gaulle. S’il put constater que le vol du samedi 11 juin en provenance de l’ile de Saint Martin était bien arrivé à l’heure prévue, il se heurta à l’impossibilité d’obtenir la liste des passagers de l’avion. « Par souci de préserver la vie privée de nos clients voyageurs, Air France ne peut donner aucun renseignement de cet ordre » lui avait répondu une employée d’accueil jointe au téléphone.
Il réfléchit longtemps avant de trouver une idée pour contourner cette fin de non-recevoir. « La police doit pouvoir se faire communiquer ce genre de renseignement, peut-être aussi les douanes puisqu’un aéroport est une frontière. Qui pourrais-je contacter ? Quelqu’un de haut placé, bien sûr. Mais oui, Gilles Gerbaut, nous avons fait du droit ensemble à Paris Dauphine, ce n’est qu’ensuite qu’il a bifurqué vers une école de police. Doué comme il l’était, il doit occuper un poste important dans la hiérarchie maintenant. Comment le contacter ? Je dois encore avoir son numéro dans mon vieux carnet d’adresses. J’appelle Flora, elle va me trouver ça.
— Allo Gilles ?
— Qui êtes-vous ?
— Ah, c’est bien toi, j’ai reconnu le timbre de ta voix. Je suis Adrien Lacourt, nous avons fait notre droit ensemble.
— Mais oui, Adrien ! Que deviens-tu mon vieux ?
— Marié, une femme charmante, deux enfants, une maison dans un village du bord du lac d’Annecy et je suis avocat en droit commercial dans un cabinet en ville. Et toi ?
— Marié, divorcé, un fils de douze ans que je vois un week-end sur deux. Je suis commissaire divisionnaire à Paris. Dis-moi, tu as fait un faux numéro où quoi ?
— Tu vas me trouver sans gêne mais mon coup de bignou est intéressé.
— Vas-y, pose ta question, je vais voir si je peux y répondre.
— Je désire savoir si le dénommé Yves Depierre se trouvait bien dans le vol 287 du onze juin dernier en provenance de l’ile de Saint Martin pour Charles de Gaulle.
— La, théoriquement, il me faudrait une commission d’un juge.
— Ah. Et pratiquement ?
— Attends, je réfléchis... Oui, c’est ça. Il y a deux ans j’ai passé l’éponge sur une indélicatesse d’un employé de l’aéroport, il me doit un renvoi d’ascenseur, je vais lui mettre un coup de pression. Où puis-je te joindre ?
Tu es à Paris ?
— Malheureusement non car ça m’aurait fait plaisir de te revoir. Non, je suis actuellement à l’hôtel à Laon et je dois défendre mon beau-père accusé complètement à tort d’avoir tué cet Yves Depierre. Je tente de reconstituer les emplois du temps.
— Tu es revenu au droit pénal ?
— C’est exceptionnel. Tu peux me téléphoner à n’importe quelle heure.
— OK, je m’en occupe. Dis-moi, Adrien, si un jour tu montes à Paris, préviens-moi, on se fera une bonne bouffe.
— Avec plaisir. Et toi si l’envie te prend de passer des vacances dans un des plus beaux sites de France, téléphone-moi, je te ferai visiter la région et ses grands-chefs cuisiniers.
Adrien laissa son smartphone allumé toute la nuit mais aucune sonnerie ne vint troubler son sommeil. Le lendemain vers six heures et demie du matin, encore perturbé d’avoir dû assumer tous les évènements de la veille, il se fit monter un grand café noir, deux croissants et un comprimé de paracétamol.
Il finissait sa seconde viennoiserie quand un jingle lui signala l’arrivée de messages. Le premier était un WhatsApp de Flora lui disant qu’elle comprenait qu’il doive rester quelques jours de plus à Laon.
Le second était un MMS de son ami commissaire : « Voilà ce que j’ai pu obtenir de mon indic. Bonne journée mon vieux. »
Étaient jointes six photographies d’écran d’ordinateur affichant des listes de noms, trois indiquaient comme date le 11 juin 2016, le nom de Depierre n’apparaissait dans aucune d’elles mais il était présent dans la deuxième série datée du 10 juin, la veille !
« Merde, merde et merde ! » jura-t-il en se rendant compte des implications de cette constatation. « Le possible alibi de Yannick tombe à l’eau ! Le toubib serait rentré la veille, aurait surpris mon beau-père avec sa femme Brigitte. Querelle, fusil et… Oh non, c’est la catastrophe !
Mais non, Yannick est incapable de faire ça, il n’a pas pu tuer ! Voyons, le toubib rentre plus tôt qu’annoncé… heu annoncé à qui ? À sa femme bien sûr ! Il a atterri la veille mais n’est pas forcément rentré au domicile conjugal. S’il était rentré et qu’il y avait eu esclandre, Yannick m’en aurait parlé, donc… Où le toubib a-t-il passé sa dernière nuit ? Une enquête sur place s’impose de plus en plus. Direction Guignicourt ! »