Comme son beau-père quelques jours avant, Adrien opta pour emprunter l’ancienne nationale plutôt que l’autoroute. Au rond-point dispatchant les automobilistes vers Berry au bac, Reims ou Guignicourt, étonné de voir un vieux char de guerre en ce lieu, il fit le tour complet de l’échangeur. Un fléchage directionnel l’intrigua : Chemin des dames.
« J’ai quelquefois entendu parler de ce lieu mais je ne savais pas le situer. Quand toute cette affaire sera terminée, je reviendrai visiter. En attendant, direction Guignicourt. »
Dans le centre du village, il se gara au parking de la mairie mais, comme son beau-père quelques semaines auparavant, il trouva la maison commune fermée. Le même écriteau indiquait les heures de permanence.
« C’est normal dans un village de deux mille habitants, ils ne peuvent pas payer un secrétaire à temps plein. Y a-t-il un café ou une épicerie par ici ? »
Une brève recherche sur l’internet de son smartphone l’orienta vers le café de la rue Franklin Roosevelt. Sans trop savoir comment il allait pouvoir obtenir les renseignements qu’il voulait, il entra dans le bar. Celui-ci était peu fréquenté en raison de l’heure matinale. Autour d’une table, trois hommes discutaient, une bière devant chacun.
L’un était vêtu d’une veste léopard, son voisin au visage rougeaud avait la tête coiffée d’un béret et le troisième, plus âgé apparemment, avait toute sa chevelure argentée. Adrien choisit de s’assoir à la table voisine.
— Pour monsieur, qu’est-ce que ce sera ? Un homme qui semblait être le patron s’était avancé vers lui.
— Comme eux, répondit-il en désignant discrètement la table d’à côté.
— Et une « triple » qui marche !
Quand il fut servi, conscient d’être une curiosité pour ses voisins, il leva son verre dans leur direction.
— À la vôtre messieurs.
— Z’êtes pas d’ici, hein ? osa dire l’homme au béret en soulevant son verre.
— Non, seulement de passage. Il est bien calme ce village.
— Ouais, pas tous les jours, fit l’homme à la veste de chasse.
Adrien sourit, sortit son smartphone toucha deux fois son écran.
— Puisque vous êtes du pays, enfin je crois, vous pouvez peut-être me renseigner. Je cherche le cabinet du docteur… Il rapprocha l’écran de ses yeux, comme s’il lisait… Du docteur Depierre.
— On peut vous indiquer son cabinet, mais lui vous ne le trouverez pas, fit celui aux cheveux blancs.
— Il est en vacances ?
— Ouais, en très longues vacances, reprit le premier.
— Si vous voulez des renseignements, allez trouver sa secrétaire, la Claire…
— Qu’est pas très claire, s’amusa celui qui semblait être un chasseur.
— Où puis-je rencontrer cette dame ?
— Elle habite une petite maison aux volets en bois marron. C’est dans la rue Pierre Curtil, dit le plus âgé, à cinq cents mètres d’ici.
— Patron, la même chose pour ces messieurs ! fit Adrien en faisant un geste circulaire englobant ses interlocuteurs. En remerciement, les trois hommes levèrent leurs verres entamés en direction d’Adrien avant de les vider.
— Merci beaucoup monsieur, vous êtes journaliste ?
— Non, pourquoi ?
— Ah, vous ne savez pas ?
— Le docteur a été tué d’un coup de fusil, dit celui à la veste camouflée.
— À la chasse ?
— La chasse est fermée, voyons !
— Ah oui, c’est vrai. Sait-on pourquoi il a été tué ?
— Sûrement un cocu qui s’est vengé, persiffla l’homme au béret.
— Ouais, à force de mettre des cornes aux autres, il s’est fait prendre pour un cerf ! rigola le chasseur.
— Ce sont des bruits, non ?
— Oh, il avait la réputation de ne pas dire non quand une jolie patiente tardait à se rhabiller, dit le rougeaud.
— Il avait pourtant une bien jolie femme, fit celui qui paraissait le plus âgé.
— Ouais, un peu hautaine mais bien belle quand même, compléta celui qui avait une veste léopard.
— Si vous voulez des renseignements d’ordre professionnel, allez voir Claire, conclut le plus âgé.
— Oui merci. Heu, Claire comment ?
— Claire Métral.
— Bon, il me reste à vous remercier, messieurs, bonne journée et bonne continuation.
— Merci à vous, dit l’homme aux cheveux blancs en levant son verre, imité par les deux autres.
En retournant vers sa voiture, Adrien se répétait « Métral, Claire Métral, rue Pierre Curtil. Elle est bonne cette bière mais diablement forte. Claire Métral, pourquoi ce nom me dit-il quelque chose ? » Arrivé à sa BMW, il sentit sa tête tourner, il s’y appuya un instant. « Oula, je vais peut-être laisser la voiture ici et y aller à pied. »
Ressortant son smartphone, il programma le nom de la rue, mit ses écouteurs et se laissa guider par l’application. Les cinq cents mètres de marche lui firent du bien en dissipant les vapeurs d’alcool.
La petite maison aux volets en bois marron se trouvait vers le milieu de la rue. Une étiquette protégée pas un film plastique transparent placée sous la sonnette indiquait « C. Métral »
Sans trop savoir comment il allait se présenter, Adrien sonna. La porte rapidement s’entrebâilla dévoilant la moitié du visage d’une femme d’environ cinquante ans.
— Madame Claire Métral ? questionna Adrien avec un sourire rassurant.
Celle-ci hocha affirmativement la tête.
— Bonjour madame, je m’appelle Adrien Lacourt, je ne vais pas vous importuner longtemps. Je suis avocat. Rassurez-vous, je ne viens pas vous proposer mes services, simplement je représente l’homme qui est accusé à tort du meurtre du docteur Depierre. Je sais que vous étiez sa secrétaire médicale et à ce titre, j’aimerais vous demander certaines choses.
Le demi visage visible de la femme se chiffonna mais elle ôta la chaine de sécurité et ouvrit sa porte.
— Entrez monsieur Lacourt. Comment puis-je vous aider ?
Adrien décida de jouer la franchise.
— Tout d’abord, je dois vous dire que je ne suis pas de la région, j’habite en Haute Savoie. L’homme accusé habite le même village que moi, il se trouve que c’est mon beau-père et j’ai décidé de le défendre. Par ailleurs, c’est un ami d’école de madame Depierre. Il a eu le malheur de lui rendre visite la veille du drame. La gendarmerie a relevé ses empreintes dans la maison et même sur le fusil qui a tiré. Il est accusé de meurtre du médecin. Yannick… Il se nomme Yannick Lefevre, Yannick n’était absolument pas l’ennemi du docteur qu’il ne connaissait pas. C’est un professeur en retraite, pacifique, non-violent. Il aime les gens, les animaux, la nature.
— Que désirez-vous savoir en particulier ?
— Je désire en savoir plus sur le docteur. En tant que secrétaire médicale, vous êtes la mieux placée pour parler de lui.
— Le docteur est un homme très apprécié. C’est… C’était un des derniers de sa profession à se déplacer chez ses patients quand ses collègues trouvent plus confortable de recevoir dans leur cabinet. Il a… Il avait un diagnostic très sûr.
— Avait-il des ennemis ?
— Pas que je sache. Il a pu bien sûr susciter des jalousies. Il a une belle villa, une belle voiture et beaucoup d’amis.
— On m’a dit que son cabinet avait fermé huit jours avant le drame.
— Effectivement, il était en voyage.
— Professionnel ?
— Oui, on peut dire ça.
— J’ai l’impression que ce drame vous a beaucoup affectée.
— C’était mon patron. Il était dévoué, prévenant, humain quoi.
— Vous pensez retrouver une place correspondant à vos compétences ?
— Ce sera très difficile dans un village de la taille de Guignicourt. Si quelqu’un reprend le cabinet, peut-être.
— Donc vous ne lui connaissiez pas d’ennemis ?
— Il n’en avait pas. Ce crime ne peut-être que l’œuvre d’un cambrioleur surpris.
— Quand avez-vous vu le docteur pour la dernière fois ?
— J’ai fermé le cabinet le premier juin, veille de son départ pour son séminaire médical.
— Madame Depierre était-elle chez elle le jour du drame ?
— Je l’ignore totalement.
— Encore une question, la dernière. Savez-vous si le docteur Depierre avait une maitresse ?
La femme rougit violemment et bredouilla :
— Excusez-moi, évoquer mon patron assassiné est très difficile pour moi.
— Je comprends, madame Métral, je comprends. Je vous remercie de m’avoir reçu et je vous présente mes plus sincères condoléances.
En revenant vers la place de la mairie, Adrien repassa mentalement son entretien avec cette femme visiblement très affectée. « Elle aimait bien son patron, c’est une évidence.
Claire Métral, Claire Métral, pourquoi ce nom me dit-il quelque chose ?
Est-ce que par hasard… » Adrien s’arrêta, sortit son smartphone d’une poche intérieure de sa veste, amena à l’écran la photo du listing des passagers du vol Saint Martin – Roissy concernant le médecin.
« Bingo ! Son nom se trouvait juste après celui de Yves Depierre. C’est pour ça que Claire Métral me disait quelque chose. Elle était dans le même avion, la place à côté de lui vraisemblablement puisqu’il n’y a pas d’ordre alphabétique dans cette liste.
Elle a accompagné le toubib dans les Caraïbes et s’est bien gardée de me le dire. »