25. Enquête au Clos du château.
 Revenu auprès de sa voiture, Adrien sentit son estomac se tortiller.
L’écran de son smartphone lui indiqua qu’il était midi et demie. « Je crois que le bar de ce matin fait aussi brasserie, je vais voir. »
Au moment précis où il allait pousser la porte, ses trois interlocuteurs de la matinée sortaient de l’estaminet.
— Rebonjour messieurs. Je cherche un bon restaurant dans le coin, vous pouvez m’en indiquer un ?
— Ben ici c’est pas mal, renseigna l’homme au béret. Maintenant, il y a aussi « le rendez-vous des chasseurs » à trois kilomètres d’ici. C’est vraiment bon mais c’est plus cher.
— Et pour s’y rendre ?
— Continuez la rue sur deux cents mètres puis à droite et tout droit. Vous ne pouvez pas vous tromper.
— Merci du tuyau. Ah, tout à l’heure j’ai oublié de vous demander : le toubib assassiné, il habitait où ?
— Au Clos du château, direction Berry au bac, deuxième à droite après le pont.
Adrien mit deux doigts à son front en un semblant de salut militaire de remerciement.
— Merci pour tous ces renseignements, bon appétit à vous et au plaisir…

 Quand il reprit sa BMW, Adrien se léchait encore les babines. « Fameux ! Il y a vraiment des endroits qui gagnent à être connus. Pauvre Yannick qui doit se contenter de la cantine de la prison à son âge ! Il faut absolument que je trouve le moyen de le sortir de là au plus vite.
Voyons, qu’est-ce que j’ai appris aujourd’hui ?
D’abord, que ce brave docteur n’était pas dans l’avion annoncé, il est rentré en France avec vingt-quatre heures d’avance. Malheureusement, cela ruine l’alibi possible de Yannick.
En revanche, si le toubib a atterri plus tôt que prévu, ce n'est pas pour autant qu’il a regagné son domicile. Sa secrétaire s'est troublée quand j'ai soulevé la question d'une éventuelle maitresse.
Déjà au café, il y a un des trois qui s'est amusé à dire que la Claire n'est pas claire. J’ai la forte impression que le toubib a passé la nuit de leur arrivée chez elle. Pas pressé de retrouver sa femme, le chaud lapin !
La copine d’école de Yannick est une femme trompée, peut-être même multi trompée si j’en crois l’allusion d’un des types du café. Aurait-elle voulu se venger de se faire ridiculiser ? Il va falloir que je me renseigne sérieusement sur elle. »
Tout en faisant ses récapitulations, Adrien avait regagné le centre village puis emprunté la D925 en direction de Berry au bac.
« Après le pont, deuxième à droite, c’est là.
Trouver la maison du toubib maintenant. »
Comme l’avait fait son beau-père quelques semaines auparavant, il sillonna lentement le Clos du château, détaillant du regard chaque maison. Il allait se résoudre à poser la question à la première personne rencontrée quand il vit au niveau du portail d’entrée d’une belle villa un ruban de plastique rouge et blanc interdisant l’accès à la propriété.
Il se gara au plus près du petit trottoir, descendit de son véhicule et analysa ce qu’il voyait.
Au milieu de l’allée gravillonnée se trouvait une 3008 Peugeot de couleur blanche et plus loin, près de la porte basculante du garage stationnait une Mercedes gris anthracite.
Au niveau du sas d’entrée abondamment vitré, il crut voir un peu de rouge. Délibérément, il passa sous le ruban barrant symboliquement le portail, s’avança vers la porte du sas. Au niveau de la serrure, un mini ruban tenu par deux pastilles collantes rouges marquées « gendarmerie » interdisait l’entrée dans la villa. « Les scellés » se dit-il, « hors de question d’entrer par ici. »
Il décida de faire lentement le tour de la grande maison, testa la fermeture des volets. Sur l’arrière de la maison, une porte simple placée au bout du mur du garage permettait de passer de celui-ci dans un jardin d’agrément apparemment bien négligé. Adrien appuya sur le bec de cane qui résista un instant avant de complètement s’enfoncer. La porte s’ouvrit. « Ils n’ont pas mis les scellés de ce côté donc je peux entrer sans commettre d’effraction » se réjouit-il.
Un établi en bois, des outils accrochés un peu partout, une vieille armoire remplie de bric-à-brac, deux bicyclettes, une vieille moto des années cinquante, contre un mur deux grands congélateurs-coffres, le garage servait à tout sauf à garer une voiture.
Adrien sortit son smartphone et prit une photo de l’ensemble. Il ouvrit le premier congélateur qui contenait plusieurs lièvres, une carcasse sans tête qu’il supposa être un chevreuil et deux cuisseaux de sanglier.
Il prit une photo de l’intérieur du coffre avant d’ouvrir le second. Plusieurs faisans, des canards et une oie sauvages, quelques cailles, deux petits échassiers qu’il reconnut comme des bécasses et deux ou trois perdrix attendaient le bon vouloir du cuisinier ou de la cuisinière. Il prit un nouveau cliché du contenu avant de gagner une autre porte qui lui permit de gagner le hall de l’habitation.
Adrien entra, prenant photo sur photo, il passa lentement d’une pièce à l’autre jusqu’à la mini serre de l’entrée dans laquelle les orchidées assoiffées baissaient la tête.
Il s’arrêta longuement devant le mur au râtelier vide de ses fusils, probablement emportés par les gendarmes, il examina soigneusement le sol et les murs. Aucune trace de sang nulle part, aucune trace de lessivage non plus. Un grand rectangle un peu plus clair sur le sol du salon laissait supposer qu’un tapis s’était trouvé là.
Il monta à l’étage, inspecta les quatre chambres, jeta un coup d’œil par chacune des fenêtres puis redescendit, regagna le garage et de là ressortit dans ce qui fut un jardin d’agrément, un peu envahi par la pousse des hautes herbes.
Deux massifs de rosiers, l’un jaune et l’autre rouge exposaient leurs fleurs éclatantes, un parterre d’hortensias bleus tirait son inhabituelle couleur du sol tapissé de débris d’ardoises, un carré de lys blancs détonnait dans l’ordonnance pensée du jardin, quelques fleurs fanées étaient couchées au sol, hampes cassées ; une sole de myosotis située juste devant les lys semblait avoir été piétinée.
« Les bois ne sont pas très loin, sans doute un animal est-il venu faire une sieste dans ce massif accueillant. » pensa Adrien en se penchant vers l’anomalie. Il ne remarqua rien de spécial sinon deux coquilles vides d’escargots de Bourgogne parmi les tiges brisées, l’une complètement sèche et l’autre dont l’intérieur était tapissé de noir.
Adrien prit un peu de recul, ressortit son smartphone et prit une photo de l’ensemble du jardin et une autre en plan rapproché du massif abimé.
Il allait repartir quand une voix forte l’interpela.
— Hé là, vous ! Qu’est-ce que vous faites ici ?
Un homme, la soixantaine bien portante se tenait à la limite de la propriété mitoyenne, juste séparée de celle du docteur par quelques arbustes variés.
— Ah, vous êtes peut-être aussi de la police, fit Adrien sans se démonter.
— Heu, non, mais là vous êtes dans la maison du crime, en principe on n’a pas le droit d’entrer.
— Je sais, répondit Adrien. Au fait, qui êtes-vous ?
— Je suis le plus proche voisin et un ami du docteur Depierre.
— Donc vous le connaissez bien.
— Comme se connaissent des voisins qui s’apprécient.
— Selon vous, qui a pu commettre ce crime abominable ?
— J’ai pensé et je pense toujours que c’est un cambrioleur surpris qui a fait le coup. D’ailleurs un mois avant et encore la veille du crime, j’avais repéré une voiture, une Citroën C4, pas du lotissement, qui rodait. J’ai même vu le chauffeur prendre une photo de nos maisons. J’ai relevé le numéro du rodeur et je l’ai communiqué aux gendarmes.
— Ah, c’est vous qui avez indiqué ce numéro de plaque aux autorités. Bien. Très bien. Mais dites-moi, madame Depierre n’était pas là le jour du drame ?
— Ce matin-là, c’était un samedi, moi j’étais dans mon jardin, j’ai jardiné toute la journée et quand je l’ai vue partir, il était peut-être huit heures, huit heures et demie du matin, je lui ai souhaité le bonjour. Elle m’a répondu d’un geste de la main et dit qu’elle allait passer la journée chez sa fille à Reims.
Elle est rentrée un peu avant vingt-deux heures, je le sais parce que c’était l’heure de la pub dans le film à la télévision.
Ensuite j’ai entendu un horrible hurlement. Je me suis précipité chez elle et… il était allongé sur un tapis maculé de sang, il avait une énorme tache rouge à la place du cœur et une estafilade sanglante au-dessus d’une oreille. Le fusil tueur avait été jeté sur lui. J’ai aussitôt appelé vos collègues de la gendarmerie.
— Oui, vous avez bien fait. Et madame Depierre se trouve où maintenant ?
— Elle était en état de choc, complètement sidérée. Elle a été emmenée par l’ambulance des pompiers et admise dans une clinique psychiatrique ou de repos, je ne sais pas bien.
— À Laon ?
— Non, à Reims je crois.
— Bien, il me reste à vous remercier pour ces renseignements monsieur… Monsieur ?
— Combeau, Lucien Combeau.
— Au revoir monsieur Combeau.
Adrien, toujours aussi calme, repartit par l’allée gravillonnée, passa sous le ruban de gendarmerie, monta dans la BMW et repartit en faisant le tour du rond-point qui terminait cette rue du Clos du château. En repassant devant la maison du voisin, il vit celui-ci sur le pas de sa porte en train de se gratter l’occiput.