26. À la polyclinique.
 Satisfait de sa petite enquête au Clos du château, Adrien reprit la D1044 en direction de Laon.
Au lieu de regagner directement son hôtel, par la rue du Mont de Vaux et le boulevard Gambetta, il se rendit dans la ville haute. Il était près de dix-huit heures quand, après avoir garé la BMW, il passa sous la galerie gothique conduisant à l’entrée des bureaux. Il sonna un petit coup bref à la porte de celui du juge Baujour. C’est la jolie greffière qui vint lui ouvrir.
— Bonsoir mademoiselle, je viens voir si monsieur le juge a eu le temps d’établir mon permis de visite concernant monsieur Lefevre à la prison de Laon.
— Je vous ai reconnu maitre Lacourt, sourit-elle. Monsieur le juge Baujour est déjà parti mais je lui ai rappelé ce matin et il a établi votre permis. Je n’ai pas pu l’envoyer, il me manque votre adresse.
— Donc j’ai bien fait de repasser. Je vais vous signer tout de suite une décharge et vous présente mes excuses pour vous avoir retardée.
— De rien maitre. Ah, vous devez savoir qu’à la prison, les visites se font de treize heures quinze à seize heures trente tous les jours sauf les mardi jeudi et dimanche.
— Merci pour le renseignement. Une petite question sans trahir le secret de l’instruction, est-ce que le juge a pu entendre madame Depierre ?
— Non. Madame Depierre est hospitalisée et les médecins n’autorisent pas encore son audition par la police.
— Connaissez-vous l’établissement dans lequel elle se trouve ?
— Oui, j’ai encore téléphoné hier au sujet de cette audition. Elle se trouve à la polyclinique de Reims.
— Merci encore mademoiselle. C’est vraiment agréable de vous avoir comme interlocutrice. Excusez-moi encore d’avoir écourté votre week-end d’un quart d’heure. Je vous souhaite une bonne soirée.

 Ayant quitté le palais de justice, Adrien Lacourt se retrouva rapidement sur le parvis de la cathédrale. Il sortit son smartphone, prit un maximum de recul et déclencha plusieurs prises de vues. Il sélectionna celle qui lui sembla la plus réussie et l’expédia en MMS à sa femme avec en commentaire :
Laon ville haute vaut vraiment le voyage.
Par ailleurs mon enquête avance doucement.
Bises ma Flora.

La réponse de celle-ci ne tarda pas :
Magnifique !
Quand tout sera terminé, il faudra que nous allions à Laon en touristes.
N’oublie pas, tu es attendu sans faute au cabinet lundi à huit heures.
Gros bisous.

« Bon, c’est tout ce que je peux faire aujourd’hui. Demain c’est Samedi, je vais me rendre à la polyclinique de Reims le matin et j’irai voir Yannick à la prison l’après-midi. Et Dimanche, retour à Saint Jorioz. Maintenant, ce n’est pas encore l’heure du diner, si je me promenais un peu en ville en attendant. »

 Adrien se leva vers huit heures le lendemain. Il se doutait bien que les visites en polyclinique ne pouvaient pas se faire trop tôt à cause de la toilette et des soins à apporter aux patients. Il avait décidé d’être à Reims pour dix heures.
Une rapide étude d’itinéraire le persuada de prendre l’autoroute.
À dix heures moins le quart, il était sur le parking de la polyclinique. Il se présenta à l’accueil avec son sourire le plus rassurant.
— Bonjour, je désire voir madame Brigitte Depierre, pouvez-vous m’indiquer le numéro de sa chambre s’il vous plait ?
L’hôtesse d’accueil fit la grimace.
— Désolée monsieur, les docteurs pensent qu’un interrogatoire maintenant serait prématuré.
— Je ne suis ni de la police, ni de la gendarmerie, je suis un simple ami de Brigitte. Je ne viens pas la questionner mais lui tenir compagnie un instant. Vous pouvez m’annoncer comme étant Adrien Lacourt, le beau-fils de son grand ami monsieur Yannick Lefevre qui malheureusement ne peut pas se déplacer. Si elle ne veut pas me recevoir, je repartirai en Haute Savoie.
— Vous avez fait le voyage depuis la Haute Savoie pour la voir ?
Adrien sourit et hocha doucement la tête.
— Bien, veuillez patienter un instant, je lui téléphone et si elle accepte, une aide médicale vous accompagnera jusqu’à sa chambre. Veillez tout de même à ne pas la fatiguer, elle est encore très fragile.
— Vous pouvez compter sur moi.
L’aide médicale toqua discrètement à la porte de la chambre individuelle.
— Oui, vous pouvez entrer, répondit la voix un peu cassée de Brigitte.
Installée dans un fauteuil face à la fenêtre, elle tourna la tête pour mieux envisager l’entrant qui inclina légèrement la tête avec le même sourire qu’à l’accueil.
— Bonjour monsieur Lacourt, asseyez-vous ici, dit-elle en désignant une chaise face à elle, comment va Yannick ?
« Tiens, se dit Adrien, l’hôtesse d’accueil a dû donner nos noms au téléphone. »
— Pas très bien, j’en ai peur, répondit-il en prenant un air triste, mais permettez-moi de me présenter un peu mieux et de vous expliquer la situation.
Je me nomme Adrien Lacourt et je suis l’époux de Flora, la fille de Yannick Lefevre. Comme lui, nous habitons à Saint Jorioz en Haute Savoie.
Vous savez que Yannick a perdu sa femme Agnès il y a plus d’un an maintenant. Il était depuis dans un état dépressif et ne s’en sortait pas, alors sa fille Flora l’a poussé à s’inscrire sur le réseau social « les Copains d’école. » Je sais que mon beau-père et vous avez été très amis du temps de vos études à Laon. Je sais aussi que vous vous êtes retrouvés avec bonheur au mois de Mai.
— Pourquoi n’est-ce pas lui qui est venu me voir ? Il ne va pas très bien, avez-vous dit, il est malade ?
— Madame, je ne veux pas remuer des souvenirs douloureux pour vous mais, à la suite du drame qui vous a touchée, mon beau-père a été accusé du meurtre de votre mari. Il est actuellement en détention préventive à la prison de Laon et j’ai grand peur qu’il retrouve les idées noires que, grâce à vous, il avait semblé oublier.
— Oh mon Dieu ! Mais pourquoi est-il accusé ?
— Ses empreintes digitales ont été relevées sur l’arme qui a tué votre mari.
— C’est impossible qu’il ait fait ça, pas Yannick, pas lui !
— Je pense comme vous madame Depierre. En fait, non seulement je suis le gendre de Yannick mais en plus je suis avocat de profession et, avec son accord, j’ai décidé de le défendre. Vous permettez que je vous pose une ou deux questions, histoire de mieux comprendre ce qui s’est passé ?
— Oui, je veux bien. Que désirez-vous savoir ?
— Yannick est bien parti de chez vous le samedi onze juin vers huit heures du matin, vous confirmez ?
— Oui, c’est à peu près ça.
— Et l’avion de votre mari a atterri à quelle heure à l’aéroport de Roissy Charles De Gaulle ?
— Je ne sais pas, il m’avait simplement dit qu’il espérait être à la maison pour dix heures.
— Dix heures du matin ?
— Non, j’avais compris dix heures du soir, vingt-deux heures quoi.
— Donc logiquement, convenez comme moi que Yannick n’a pas pu tuer le docteur Depierre.
— Mais alors, pourquoi est-ce qu’on l’a mis en prison ?
— À cause de ses empreintes relevées sur l’arme qui a tué. Le juge chargé de l’instruction de cette affaire a considéré que les empreintes sont une preuve absolue de culpabilité.
— Voulez-vous que je vous dise pourquoi il y avait ses empreintes sur ce fusil de guerre ?
— Yannick m’a raconté, il m’a dit que vous saviez que cette arme était chargée et qu’elle vous faisait peur. Comme il connaissait le maniement de ce fusil, il a accepté de le décharger de ses balles.
— C’est exactement cela. Même s’il y a ses empreintes sur l’arme, il y a impossibilité de temps, je veux dire que si Yannick était sur la route de la Haute Savoie quand mon mari est rentré, on ne peut pas l’accuser.
— Ou plutôt on ne pourra pas accuser mon beau-père si votre mari a été vu vivant après son départ. Vous pourriez témoigner de cela ?
— Malheureusement non. Après le départ de Yannick, j’ai pris ma voiture et je suis partie pour Reims. J’avais l’intention de voir ma fille vétérinaire mais j’ai changé d’avis quand je me suis souvenue qu’elle était d’astreinte ce jour-là. Je suis bien venu ici, je veux dire dans cette ville mais je me suis contentée de me promener. J’avais besoin de faire le point dans ma tête, le point sur ma vie, mon couple, mon avenir. J’ai fait un peu de shopping. J’ai mangé au restaurant dans la galerie d’un supermarché. J’ai aussi visité le Musée Automobile Reims-Champagne, très intéressant, je vous le recommande.
— Excusez ma remarque, je ne veux pas vous mettre mal à l’aise mais j’ai l’impression que…
— Oui, dites.
— Là je sais que je suis en terrain glissant mais, et cela peut corroborer ce que m’a dit Yannick, vous n’aviez pas hâte de retrouver votre mari.
— Avait-il hâte de me revoir, lui ? J’en doute.
— À quelle heure êtes-vous rentrée à Guignicourt ce samedi-là ?
— Il devait être vingt et une heure trente ou vingt-deux heures. J’ai vu sa Mercedes dans l’allée, la porte du sas était déverrouillée donc il était arrivé. Je suis rentrée et suis allée jusqu’au salon et là je l’ai vu, couché sur le tapis avec plein de sang. À partir de ce moment, c’est tout flou dans ma tête. J’ai hurlé je crois. Un voisin est venu et ensuite, je ne me souviens plus de rien.
Depuis j’ai réfléchi, tout cela est impossible. Mon mari aurait été tué à huit heures du matin alors qu’il ne pouvait pas être à la maison avant dix heures.
Il aurait été tué dans la maison avant qu’il soit rentré à la maison. J’ai l’impression d’être folle.
— Comment avez-vous appris l’heure du décès ?
— Je ne sais pas exactement. J’ai dû entendre un gendarme dire ça.
— Vous n’êtes pas folle du tout madame, j’ai pu obtenir la preuve que votre mari est rentré de Saint Martin la veille, donc le vendredi soir.
— Encore un de ses coups tordus. Jamais il ne me dit la vérité ! Mais alors, si mon mari est rentré la veille au soir, Yannick a pu… Oh que c’est compliqué. Et d’abord, où mon mari a-t-il passé la nuit de vendredi à samedi ? Il n'est pas rentré à la maison, heureusement… ou malheureusement.
— Difficile d’affirmer où il a passé la nuit mais je dois vous informer qu’il n’était pas seul dans ce voyage.
— Ça je sais, il était avec sa secrétaire médicale puisque c’était un séminaire professionnel. Oh mais… Oh mais… Ah la salope, la sale petite hypocrite. C’est chez elle qu’il est allé, n’est-ce pas ? Il a passé sa dernière nuit à baiser sa secrétaire. Oh le salopard ! Dans ces voyages offerts, les autres médecins emmènent leurs femmes, lui s’envoie en l’air avec une plus jeune.
— Je suis désolé madame de vous avoir appris cela.
— J’avais déjà quelques soupçons sur son comportement avec une ou deux patientes, mais là… Il me disait que cette Claire n'était pas du tout son genre ! Quel salaud ! Quand je pense que c’est le père de mes enfants ! Oh l’infâme salopard !
— Je n’ai pas encore pu voir le rapport d’autopsie mais d’après le juge, votre mari serait mort entre huit heures et midi ce samedi donc après le départ de Yannick et le vôtre. Malheureusement, cela remet en cause l’alibi logique de mon beau-père. Il aurait pu faire demi-tour, tuer le docteur Depierre et repartir, c’est du moins ce qu’a dû penser le juge. Quel imbroglio !
— Excusez-moi mais là c’est plus que je peux en supporter. Pourquoi aurait-il fait ça ? Il faut que je mette de l’ordre dans tout ça. Je vais vous demander de me laisser. Oh ma pauvre tête.
— Voulez-vous que j’appelle une infirmière ?
— Non, ça va passer. En certaines circonstances, je vois tout trouble. Là je vois votre visage tout déformé comme un portrait de peintre cubiste. Il parait que c’est une migraine ophtalmique. Ça finira par passer. Quand vous verrez Yannick, dites-lui que je pense à lui et que je suis certaine de son innocence.
— Puis-je vous poser une dernière question ? Quel voisin est venu à votre secours quand vous avez découvert le… le drame.
— Il s’appelle Combeau, Lucien Combeau.