3. Premiers contacts
L’arrivée d’un courriel fit vibrer son téléphone portable alors que Yannick marchait sur le quai du port de Saint Jorioz. Le jingle accompagnant la vibration le fit sursauter. Plongé dans ses pensées moroses, persuadé d’être encore agressé par une publicité non voulue, il ne se donna pas la peine de sortir son mobile d’une poche arrière de son blue-jean. Il résista à la tentation de simplement éteindre l’appareil, sa fille si prévenante si gentille et qui ressemblait tellement à sa mère lui ayant demandé d’être joignable à tout moment.
Cinq minutes plus tard, un second jingle le décida pourtant à consulter son écran, lequel indiquait l’arrivée de deux courriels. L’un était effectivement une publicité pour une marque de vêtements à prix cassés, il le balaya sans l’ouvrir, l’autre émanait du site internet « Copains d’école. »
Il avisa un banc libre face aux voiliers du port dont les drisses tintaient sur les mats métalliques sous l’action des tièdes rafales de vent d’ouest. Il s’installa pour se connecter par la 4G au site en question, tomba rapidement sur le motif de cette relance : «
Michel Lepéqueux souhaite vous mettre dans sa liste d’amis. »
Un flash traversa son esprit, le reportant plus de cinquante ans en arrière. Lepéqueux, élève dans la même classe que lui au lycée de Laon. Un simple camarade plutôt qu’un ami. Il n’avait pas eu d’affinités particulières avec ce garçon mais, après une courte réflexion, il accepta de l’intégrer dans la liste encore vierge de ses amis d’école.
Il consulta le profil de Lepéqueux. La photo montrait un homme ventripotent, aux cheveux rares et au visage couperosé. Sur fond de rivière, l’homme souriait en exhibant un brochet qu’il venait visiblement de sortir de l’eau. Difficile de reconnaitre dans cette image l’adolescent facétieux qu’il fut.
Marié, trois enfants, demeurant à Soissons.
Profession : représentant en produits phytosanitaires à la retraite.
Voyages : Espagne, Belgique, Allemagne, Pologne, Ukraine.
« Ce sont des pays de forte agriculture donc il s’agit probablement de voyages professionnels » pensa-t-il. »
Lepéqueux avait une conséquente liste d’amis d’une vingtaine de noms. Il la fit lentement défiler, deux ou trois lui étaient familiers.
« Je leur répondrai s’ils me contactent mais je ne suis pas demandeur, je ne vais pas aller les relancer » décida-t-il.
Yannick était occupé à rédiger le récit sommaire de sa carrière estudiantine et professionnelle sur le traitement de texte de son PC quand une fenêtre surgit du bas de son écran : « Vous avez un nouveau message. » Pinçant les lèvres, il relança son logiciel de courrier, s’attendant à une nouvelle publicité non sollicitée. C’était encore une demande de contact. Elle provenait d’une connaissance du temps de l’École Normale : Mireille Daucy, une fille de la promotion d’après lui. Il l’avait côtoyée lors de championnats départementaux d’athlétisme au cours desquels ils avaient sportivement sympathisé.
« Flora a raison, ce réseau social est bougrement actif » songea-t-il. Il se connecta au site pour consulter le profil de la solliciteuse.
Institutrice à Bohain puis directrice d’école à Hirson, veuve, deux enfants, lut-il. Elle n’avait pas mis de photo d’elle.
Désireux de se remémorer les noms des filles de cette promotion d’après la sienne et de visualiser le visage de cette ancienne camarade, il alla fouiller dans l’armoire bibliothèque de son bureau, avisa une boite à chaussures de laquelle il sortit un lot de quelques cartons imprimés oubliés là depuis des années parmi de vieilles photos.
« Les cartes de promotions des années 60 » comme c’est loin tout ça… Il repéra celle correspondant à Mireille Daucy et aux filles de sa classe mais ne trouva pas la photo correspondante. Revenant au site d’anciens copains, il déroula la liste d’amis de celle-ci, dévoilant une douzaine de noms.
Il eut un petit choc émotionnel. Elle y figurait.
Brigitte Jankovski, sa petite amie de l’époque.
Il la trouvait alors si belle, tellement belle avec ses longs cheveux d’un blond doré et ses yeux bleu-myosotis, qu’il en était tombé éperdument amoureux et avait tout fait pour la conquérir.
Deux ans de merveilleux flirt plein d’espérance avant la rupture brutale.
Infidèle.
Elle avait été infidèle.
À lui dénoncée par un autre garçon de sa classe.
Il n’avait pas supporté et avait brutalement coupé tous les ponts.
Un instant perdu dans le kaléidoscope des images-souvenirs qui se bousculaient à la porte de sa mémoire, il résista à la tentation de consulter le profil de l’infidèle. Il examina les autres noms des amis de Mireille, un garçon de sa classe y figurait, pas vraiment un ami mais un garçon sympathique quand même. Il remit à plus tard la décision de le contacter ou non et se remit à la rédaction des éléments de sa carrière à adresser à ses futurs amis virtuels.