4. Reprise en main
Il s’était couché après minuit.
Il avait oublié de baisser le volet roulant que sa fille avait relevé la veille.
Réveillé tôt par la vigoureuse irruption du soleil du matin par la fenêtre de sa chambre, Yannick Lefevre s’affairait à faire son café quand la sonnerie de son portable qu’il avait oublié d’éteindre le fit sursauter. «
Flora appelle » lui indiqua l’écran.
Il regarda l’heure affichée : 7h30.
« Pourquoi appelle-t-elle à cette heure-ci, j’espère qu’il n’est pas arrivé un nouveau malheur » songea-t-il en acceptant la communication.
— Flora, ça va ?
— Mais oui papa, tout va bien. Je t’ai réveillé ? Je t’appelle avant de partir déposer les enfants à l’école et de prendre mon service, après je n’ai plus bien le temps de le faire.
— Tu ne m’as pas réveillé, j’étais levé, je ne dors plus beaucoup maintenant et c’est vrai que tu es fort occupée dans la journée.
— Je veux simplement savoir si tu as eu des touches par le site des « Copains d’école. »
— J’ai eu deux demandes : une connaissance du lycée et une copine sportive de l’École Normale.
— Ce n’est qu’un début. Je te rappelle que tu peux découvrir de nouvelles anciennes connaissances en déroulant leurs listes d’amis.
— C’est ce que j’ai cru comprendre hier après le premier contact en consultant son profil. J’ai une question à te poser, comment correspondre directement avec une personne inscrite sur ce site sans passer par leur messagerie ?
— Rédige une réponse par le site et arrange-toi pour donner ton adresse mail à ton correspondant. Les webmestres n’aiment pas trop ça mais ils ne peuvent pas s’opposer. Leur intérêt est publicitaire et donc plus il y a de connexions à leur site, mieux c’est pour eux. C’est pour ça qu’ils préfèrent que la correspondance se fasse par leurs pages. Bon, je te laisse, papa, je ne veux pas me mettre en retard, tu peux m’appeler après dix-sept heures. Tu devrais profiter du beau temps pour sortir te promener.
— Tu as raison Flora, il faut que je me secoue. J’ai l’intention d’aller faire un tour en altitude aujourd’hui, je t’appelle ce soir. Bisous ma fille.
L’air capiteux du sommet de la montagne du Semnoz à mille sept cents mètres d’altitude, la magnifique vue sur la chaine des Aravis et le massif du Mont-Blanc, la pelouse alpine parsemée de fleurs, tout avait contribué à lui redonner un peu de sérénité.
Après avoir garé la C4 Citroën dans son box du sous-sol de l’immeuble, négligeant l’ascenseur, Yannick remonta par l’escalier les quatre niveaux le séparant de son appartement.
Après avoir bu son café de cinq heures, il relança son ordinateur pour consulter confortablement ses courriels. La messagerie des « Copains d’école » lui avait envoyé deux nouvelles demandes de contact. L’une provenait Janine Lebrun, sa « sœur pédagogique », la jeune fille reçue au même rang que lui au concours d’entrée de l’École Normale dans la promotion jumelle de la sienne et l’autre de Christian Corroyer, un copain de sport ayant joué au basket dans la même équipe que lui.
Il occupa une heure de son temps à rédiger des réponses aimables à leurs demandes, indiquant son parcours familial ainsi que professionnel et demandant les leurs.
Il attendit que sonne la demie de six heures du soir pour appeler Flora.
— Bonsoir ma fille préférée, ta journée s’est bien passée ?
— Oui, rien de spécial à signaler, la routine quoi. Pareil pour Adrien. Et toi tu as mis les pieds dehors par cette belle journée ?
— Absolument. Trois heures en montagne au sommet du Semnoz à me promener et ensuite à admirer la vue en sirotant une boisson à la terrasse du restaurant d’altitude.
— Bravo papa, j’aime quand tu es comme ça. Tu as d’autres projets pour les jours qui viennent ?
— Oui, j’ai l’intention de faire une autre montagne dans quelques jours.
— Ah oui, très bien. Laquelle ?
— La montagne de Laon.
— Hein ?
— Je t’explique. Ma famille, et donc une partie de la tienne, est d’origine picarde, établie à Laon et dans ses environs depuis plusieurs générations. En fait, je suis le premier exilé de notre lignée. On parle de montagne de Laon car la ville haute est établie sur une butte témoin de la falaise de l’Ile de France, de mémoire à environ cent quatre-vingt-trois mètres d’altitude alors que la plaine alentour ne dépasse pas quatre-vingts mètres. J’ai envie d’y retourner pour quelques jours. Deux ou trois, pas plus.
— Tu vas t’ennuyer, d’après le souvenir que j’en ai, ce n’est pas terrible comme région.
— Ton souvenir remonte à l’enterrement de ta grand-mère au cimetière de la ville basse. Il faisait gris et froid, nous étions tous très tristes, ce n’étaient pas les conditions idéales pour découvrir le coin. D’ailleurs, sais-tu ce qu’a dit Victor Hugo de cette bonne ville de Laon ?
— Non mais tu grilles d’envie de me le dire.
— Eh oui, enseignant un jour, enseignant toujours. Donc, dans une lettre adressée à sa fille Adèle, il a écrit : «
Tout est beau à Laon, les églises, les maisons, les environs, tout, excepté l’horrible auberge de la Hure… »
Il parait qu’il y avait été mal reçu et avait très mal mangé.
— Ne descends pas dans cette auberge !
— Le prof de français qui nous a appris cette citation nous a situé l’emplacement de cette auberge -qui n’existe plus depuis longtemps- dans la rue du Bourg, c’est à dire près de l’Hôtel de ville. En fait, je vais à Laon pour l’entretien des tombes de mes parents et grands-parents dont je suis le référent officiel. Je dois veiller à leur bon état.
— Tu vas encore te rendre triste.
— De ce côté-là, mon deuil est fait depuis longtemps, ne t’inquiète pas. J’y vais aussi un peu en pèlerinage de ma jeunesse.
— Ce n’est pas un peu long comme trajet ?
— Un peu plus de six cents kilomètres, mais tout par des autoroutes en général peu chargées.
— Tu comptes partir quand ?
— Lundi prochain. Je vais retenir une chambre d’hôtel ou un « bed and breakfast » Je serai de retour mercredi soir ou jeudi. Voilà ma fille, fais une grosse bise à mes petits-enfants et assure ton mari de mon affection.
— Bisous papa, tiens-moi au courant.