Il était presque quatorze heures. Les jurés, le public, les avocats et l’accusé étaient en place lorsque la sonnette annonçant l’entrée imminente des juges retentit.
« La cour ! Veuillez vous lever !» fit l’huissier d’une voix forte.
— Asseyez-vous, commençons. Nous allons entendre le premier témoin. Huissier, appelez l’adjudant Loïc Renard.
L’homme s’avança jusqu’à la barre des témoins, impeccable dans son uniforme. Il salua militairement la juge, puis ôta sa casquette qu’il cala sous l’aisselle gauche.
— Veuillez décliner votre identité.
— Je me nomme Renard Loïc, quarante-trois ans, je suis gendarme de profession et commande la brigade de gendarmerie de Guignicourt dans l’Aisne. Je ne suis, ni parent, ni ami du prévenu.
— Veuillez prêter serment.
— Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité, rien que la vérité.
— Nous vous écoutons adjudant Renard.
— Le samedi 11 juin 2016, à vingt-deux heures et dix minutes, je reçois un appel du COG…
— Expliquez aux jurés ce dont il s’agit.
— Le Centre Opérationnel de la Gendarmerie est une cellule qui reçoit et centralise entre autres les appels d’urgence aux brigades de gendarmerie en dehors des heures ouvrables.
Le COG me demande de me rendre immédiatement au Clos du château à Guignicourt où un mort par arme à feu venait de leur être signalé. Le temps de me remettre en tenue et d’appeler un de mes brigadiers, je me suis rendu au lieu indiqué.
Je suis arrivé sur place à vingt-deux heures et trente minutes.
J’ai été accueilli par monsieur Lucien Combeau lequel m’a déclaré être le voisin du docteur Yves Depierre, être la personne qui a appelé la gendarmerie et n'avoir rien touché ni déplacé.
Sur place j’ai constaté que le docteur Depierre, que je connaissais de vue, était allongé sur un tapis dans le grand hall à l’entrée du salon, une large tache rouge sombre sur la poitrine. Un fusil de guerre d’un modèle ancien était placé en travers de son corps, deux douilles étaient sur le sol, indiquant qu’au moins deux coups de feu avaient été tirés.
Il s’agissait visiblement d’une scène de crime et j’ai immédiatement fait appel à la Cellule d’Identification Criminelle, qui a dépêché deux techniciens pour opérer les constatations d’usage en pareil cas : photos, place des indices, aspect du corps, température du corps, traces de sang, projections.
Pendant leurs constatations, j’ai tenté de questionner l’épouse du docteur mais celle-ci, extrêmement choquée n’a pas pu répondre à mes questions. Monsieur Lucien Combeau m’a déclaré que, alerté par les hurlements de madame Depierre, il s’était immédiatement rendu auprès d’elle. Ayant constaté la scène que je viens de décrire, il a déclaré nous avoir appelé immédiatement. Quand je lui ai demandé s’il avait touché quelque chose de la scène, il a dit avoir juste touché le front du docteur et l’avoir trouvé très froid.
— Qu’avez-vous fait ensuite ?
— Vu l’état de prostration de madame Depierre, j’ai appelé le SAMU qui s’est occupé de l’évacuer vers l’hôpital de Laon. J’ai remercié monsieur Lucien Combeau et lui ai demandé de rentrer chez lui. Quand les relevés des techniciens ont été terminés, j’ai fait évacuer le corps vers l’institut médico-légal de Laon. Mon brigadier et moi avons ensuite disposé des bandes réfléchissantes d’interdiction de pénétrer dans la propriété ainsi que les scellés de la gendarmerie sur la porte d’entrée de la villa du docteur. C’est tout ce que je peux déclarer.
— Monsieur l’avocat général, des questions ?
— Aucune. L’adjudant Renard semble avoir parfaitement exécuté son travail.
— La défense ?
— Oui, madame le juge. Adjudant Renard, de combien d’entrées cette maison dispose-t-elle ?
— Une seule je pense.
— Bien. À l’arrière de cette maison, qu’y a-t-il ?
— Un garage puis un jardin d’agrément.
— Avez-vous fait des constatations dans ces deux endroits ?
— Quand les techniciens et mon équipe avons terminé notre travail, il était plus de minuit et il faisait nuit. Nous n'avons rien observé de spécial.
— Merci, c’est tout pour moi.
— Merci adjudant, vous pouvez aller reprendre votre service. Huissier, appelez à la barre le brigadier Jules Dupas, technicien en identification criminelle qui a fait les constatations le soir de ce samedi 11 juin. Avancez jusqu’à la barre brigadier, déclinez votre identité.
— Heu, je suis le brigadier Dupas, Jules Dupas, brigadier de gendarmerie. Je me suis porté volontaire il y a quatre ans pour être formé comme Technicien en Identification Criminelle. À ce titre, je suis maintenant habilité à intervenir sur les scènes de crime pour effectuer les actes de police technique et scientifique.
— Veuillez prêter serment, brigadier.
— Je jure de parler sans haine et sans crainte, je dirai toute la vérité, rien que la vérité.
— Monsieur le brigadier Dupas, en quoi a consisté votre travail et qu’avez-vous constaté ?
— Tout d’abord, avec mon collègue, nous avons pris un certain nombre de photos de façon à fixer la scène de crime : photos des lieux, des indices, du corps dont nous avons relevé la température de peau au niveau frontal. Elle était de vingt et un degrés pour une température ambiante de vingt degrés. Sur le corps, nous avons constaté une lividité du visage, une rigidité au niveau de la mâchoire et des bras mais pas encore des jambes. Nous avons relevé la présence de deux douilles de calibre sept millimètres cinq, visiblement des munitions du fusil posé sur le corps qui était un MAS 49-56 dont le chargeur d’une capacité de dix contenait encore huit cartouches. Nous avons effectué des relevés d’empreintes sur l’arme et les munitions. Les douilles sentaient encore la poudre brûlée mais nous n’avons pas constaté cette odeur de façon généralisée ni de brûlure sur les habits de la victime.
— Est-ce tout brigadier ?
— Dans un premier jet, oui, mais je peux répondre à des questions.
— Monsieur l’avocat général ?
— Aucune question.
— Maitre Lacourt ?
— Oui, madame le juge.
Adrien se leva et vint se placer sur le côté du brigadier.
— Brigadier Dupas, à quelle heure avez-vous fait le relevé de température corporelle ? Vingt et un degré avez-vous dit.
— Il était vingt-trois heures trente.
— Pouvez-vous préciser à quelle vitesse se refroidit un corps ?
— Cela dépend des conditions ambiantes mais on peut tabler sur un degré par heure.
— Pouvez-vous estimer l’heure de la mort du docteur Depierre ?
— Cela n’est pas notre rôle de faire à chaud ces estimations mais si on table sur une température de la peau du front de trente-six, trente-sept degrés chez le vivant sachant que la température que nous avons relevée sur le corps était de vingt et un degrés, il est raisonnable de penser que le décès est intervenu entre huit et neuf heures du matin. Mais il y a beaucoup d’autres critères qui permettent d’affiner cette estimation comme le nomogramme de Hensse et autres observations anatomiques que le médecin légiste a dû consigner dans son rapport.
— Vous avez dit, brigadier, ne pas avoir senti d’odeur de poudre dans ces pièces, et ailleurs dans la maison ?
— Nous sommes cantonnés à faire nos observations sur le lieu même du crime.
— Autre question : qu’avez-vous constaté à propos des plaies sur le corps ?
— Nous avons observé une estafilade vénielle au-dessus de l’oreille droite et une plaie au niveau du cœur, évidemment mortelle celle-là.
— D’accord. Brigadier, vous avez retrouvé les douilles, avez-vous retrouvé les balles ?
— Non. La fenêtre du salon située dans l’axe du hall où gisait le cadavre était grande ouverte. Les balles ont probablement continué leurs trajectoires hors la maison.
— Y avait-il possibilité que la balle mortelle soit encore dans le corps du docteur ?
— Il s’agit d’une arme de guerre, maitre ! Une balle de sept millimètres cinq tirée par ce genre de fusil est capable de transpercer un corps et de tuer une personne qui se trouverait derrière.
— Avez-vous déterminé les points d’entrée et de sortie de la balle ?
— Il n’entre pas dans nos attributions de déshabiller le corps pour faire ce genre de constatations. Voyez plutôt le rapport d’autopsie.
— Qui a déterminé la correspondance des empreintes digitales ?
— Les empreintes relevées sont envoyées dans le FAED, heu, c’est le Fichier Automatisé des Empreintes Digitales au service central de renseignements criminels de la gendarmerie.
— Avez-vous remarqué quelque chose qui vous aurait semblé bizarre ?
— Non. Heu, si. Je me suis dit que cet homme assez corpulent n’avait pas beaucoup saigné, mais l’hémorragie était peut-être interne.
— Merci, ce sera tout.
— Bien, dit la juge, étant donné l’heure avancée, l’audience est interrompue. Les auditions reprendront demain matin à neuf heures précises.
— Veuillez vous lever ! dit à voix forte l’huissier en se levant lui-même.
Avant que les policiers escortent à nouveau Yannick jusqu’à la prison, Adrien eut le temps de le rassurer. « Tout ça, c’est bon pour nous. Garde confiance. » lui dit-il.