34. Investigations.
 Soucieux de ne rien manquer des nouvelles recherches qu’il avait demandées, Adrien était en avance de dix minutes sur les gendarmes de Guignicourt. Il gara la BMW au plus près de la clôture de la propriété des Depierre et attendit en prenant des notes. Il décida de faire commencer les recherches par le parterre de lys.
La Dacia des gendarmes arriva à huit heures et cinq minutes. Adrien sortit de son véhicule et se présenta à l’adjudant Loïc Renard.
— Je vous avais reconnu maitre Lacourt. C’est à votre demande que nous sommes là. Que devons-nous chercher ?
— Allons jusqu’au jardin car j’ai fortement l’intuition que nous y trouverons des indices expliquant certaines constatations de monsieur Letourneur, le médecin légiste.
Avez-vous des sachets à prélèvements ?
— Affirmatif.
— Je me suis posé des questions au sujet de taches sur les habits du docteur Depierre. Des taches de pistil de fleur de couleur orange, je crois connaitre le type de fleur qui peut correspondre, tenez, regardez ce parterre de lys blancs. Nous sommes en septembre mais il reste encore deux hampes fleuries, c’est une chance. Je désire que vous préleviez les étamines de ces fleurs.
— Brigadier, faites le prélèvement.
— C’est quoi les étamines ?
— Cela ressemble à de longs grains de riz colorés au sommet de très fines tiges, expliqua Adrien.
— Je collecte toutes les étamines mon adjudant ?
— Non, deux ou trois suffiront, répondit encore Adrien. Méfiez-vous, le pollen de cette fleur est fortement colorant et il est difficile de faire disparaitre les taches.
— Il n’est pas en bon état ce massif, beaucoup de tiges couchées.
— C’est une chose que je désire voir figurer dans le rapport que vous allez établir.
— Brigadier, après vos prélèvements, vos prendrez quelques photos de ce parterre. Maintenant maitre, que voulez-vous investiguer ?
— J’aimerais que nous entrions dans le garage par cette porte mais je n’ai pas la clé.
— Ce n’est pas un problème pour un gendarme. Mais je vais vous demander de mettre des gants en latex avant de pénétrer dans les lieux. Brigadier, allez dans la Dacia chercher une paire de gants, prenez les outils nécessaires puis revenez ouvrir cette porte.
— Tout de suite mon adjudant.
De retour, le brigadier posa une main sur le bec de cane qui s’abaissa en deux temps.
— C’est ouvert mon adjudant, pas besoin d’outils.
Les trois hommes entrèrent dans le local. Deux gros congélateurs-coffres très allongés occupaient la longueur d’un mur.
— Je désire voir le contenu de ces deux meubles, mon adjudant.
Le gradé souleva le couvercle du premier.
— Du gibier à plumes dans celui-ci.
— Vous sauriez reconnaitre ces pauvres oiseaux ?
— Sans problème mais il faudrait le vider. Transférons son contenu dans l’autre bahut. Gibier à poils, je l’aurais parié, fit-il en soulevant le second couvercle. Allons-y brigadier : un, deux, trois, quatre faisans, un, deux, trois canards sauvages, deux bécasses et une, deux, trois perdrix, sept ou huit cailles, c’est tout.
— Pouvez-vous prélever une plumette de chaque espèce ?
— Bien sûr. Opérez brigadier.
— Puis-je vous faire remarquer cette tache orange sur la paroi interne du congélateur côté ouverture ? C’est très intéressant, il faut prendre cela en photo.
— Affirmatif. Regardez maitre Lacourt, sur cette même paroi, quelques poils collés par le froid.
— Des poils de gibier dus à une erreur de placement d’un animal… ou alors… Il faut faire un nouveau prélèvement mon adjudant et prenons une photo de l’ensemble du bac. Combien mesure-t-il intérieurement ?
— Brigadier, retournez chercher le télémètre-laser dans la Dacia. Je crois que je commence à comprendre où vous voulez en venir, maitre. Ah, donnez brigadier. Voyons cela, OK, longueur intérieure cent soixante-dix-sept centimètres.
— Merci mon adjudant. J’aimerais maintenant que nous pénétrions dans la maison, cette seconde porte doit y mener.
À l’intérieur, Adrien fit celui qui découvrait les lieux, regarda les trophées de chasse, le cygne empaillé, le râtelier d’armes vide. Avant même qu’il pose la question, l’adjudant lui donna la réponse.
— Les cinq emplacements du haut présentaient chacun un fusil ou une carabine. Trois fusils et deux carabines que nous avons récupérés pour expertise en plus du MAS.
Adrien hocha la tête en accord avec les paroles du gradé.
— Par où va-t-on à l’étage ? questionna-t-il. Cette porte… ah non, là ce sont des toilettes, alors c’est celle-ci.
Sur le palier, en haut de l’escalier, une à une, Adrien ouvrit les portes donnant accès aux chambres pour finalement entrer dans celle dont la fenêtre ouvrait sur le jardin.
— Avec votre laser, pouvez-vous mesurer la distance du rebord de fenêtre jusqu’au massif de lys.
— Aucun problème. D’ici jusqu’au sol au début du massif : six mètres quatre-vingts.
— Je peux demander un service à votre brigadier ?
— Faites.
— Combien mesurez-vous brigadier ?
— Un mètre quatre-vingt-deux.
— Parfait. Voulez-vous ressortir, vous placer juste devant le massif de tout à l’heure et mettre une main sur votre cœur. Mon adjudant, j’ai besoin de connaitre la distance exacte entre ce point de l’appui de fenêtre et la main du brigadier. Combien ?
— Sept mètres soixante.
— OK. Brigadier, écartez-vous ! Maintenant plantez un bout de bâton au point de contact du rayon avec le sol. Quelle distance mon adjudant ?
— Onze mètres dix.
— Merci. Dernière mesure, quelle est exactement la hauteur de l’appui de fenêtre par rapport au sol ?
L’adjudant orienta verticalement son télémètre.
— Trois mètres soixante-dix-huit.
Quant il eut noté toutes les mesures, Adrien très excité demanda à l’adjudant :
— Êtes-vous bon en géométrie ?
— Normalement, pourquoi ?
— Donc forcément meilleur que moi. Je désire calculer l’angle du rayon laser avec l’horizontale.
— Pas la peine de calculer, le télémètre va nous l’indiquer. Voilà, dix-neuf degrés. Vous pensez que le docteur a été tué ici, devant ce massif ?
— Nous pouvons en avoir la certitude avec un peu de jardinage. Le bâton au sol indique à peu près le point où la balle a pénétré, si nous la retrouvons, nous l’aurons cette certitude.
— Et bien creusons, il y a des outils dans le garage.
— Vous pensez qu’il faudra chercher profond ?
— Tout dépend de l’état de la terre, dure, sèche, mouillée, meuble. Là je dirais entre quarante-cinq et quatre-vingts centimètres, plus près de quarante-cinq car la balle a été freinée par le corps.
Le brigadier maniant la pioche, l’adjudant la pelle et Adrien une binette, en moins de cinq minutes ils mirent au jour une balle ternie et déformée.
L’adjudant la regarda et estima : « calibre sept-cinq. »
Adrien, perfectionniste voulut retrouver l’autre projectile.
— La balle qui a balafré le docteur à la tempe a eu une trajectoire plus haute, elle a dû se ficher en terre un peu plus loin et plus profond car elle n’a pas été freinée. J’ai bon mon adjudant ?
— Bien raisonné. Brigadier on vous laisse chercher. Quel scénario envisagez-vous maitre ?
— Je dirai que :
Un. Le ou plutôt les meurtriers ont prémédité leur forfait, il s’agit donc d’un assassinat.
— Pourquoi « les » ?
— Le toubib pesait quatre-vingt-cinq kilos, c’est lourd et difficile à porter un cadavre ! Enfin j’imagine ! Je vois mal une personne seule réussir cet exploit.
Deux. Je pense que le docteur était de dos en train d’admirer ses fleurs quand il a été touché par la première balle. Il a dû porter la main à sa blessure et se retourner. C’est alors qu’il a reçu le second projectile en plein cœur et qu’il est tombé sur le dos dans le parterre de lys, ce qui explique les taches orange sur ses habits.
Trois. Son corps, de quatre-vingt-cinq kilos, a été transporté dans le garage et probablement mis dans le congélateur du gibier à plumes, ce qui peut expliquer la plumette collée par le sang dans son dos. Cela suppose que ce congélateur ait été préalablement vidé de son contenu.
— Congélo d’un mètre soixante-dix-sept pour un type d’un mètre quatre-vingt-cinq. Ils ont été obligés d’incliner la tête de replier un peu les jambes pour le faire tenir dedans.
— D’accord avec vous. Ceci explique le rapport du légiste sur la rigidité des jambes et les poils de barbe arrachés.
— Mais pourquoi mettre le corps dans cette machine à froid ?
— Pour refroidir sa température corporelle donc faire croire qu’il était mort depuis plusieurs heures au moment où le corps serait découvert, ce qui a marché dans un premier temps puisque c’est mon beau-père qui a été accusé.
— L’accusé est votre beau-père ? J’ignorais. Là je crois que vous allez le tirer d’affaire. Mais il y a un point que je comprends mal. Combien de temps les assassins devaient-ils laisser le corps dans une ambiance à moins quinze, moins vingt pour arriver autour de la température ambiante de là où on l’a retrouvé ?
— À mon avis, ils se sont servis d’un thermomètre à sonde sans fil. Le légiste a fait état d’une légère dépression de la peau sous l’aisselle du toubib, c’est là qu’ils ont placé cette sonde. Quand ils ont estimé que la température correspondait à un décès vers huit heures du matin, - déperdition d’un degré par heure n’est-ce pas ? -ils ont ressorti le corps et organisé la mise en scène.
— Je suis d’accord avec vous. Nous savons comment, maintenant par qui ?
— J’espère que les révélations que je vais faire demain à l’audience vont déclencher des réactions significatives. Sinon, ma mission de défendre l’accusé étant heureusement remplie, je laisserai le travail à un nouveau juge d’instruction, meilleur que le précédent j’espère.
— Bon, brigadier, rangez les outils. Avez quoi jouez-vous, qu’est-ce que vous avez dans la main ?
— Deux coquilles vides d’escargots de Bourgogne, mon adjudant. Elles étaient en plein milieu du parterre.
— Jetez-moi ça !
— Attendez, faites-moi voir, intervint Adrien. Regardez mon adjudant, cette coquille est normalement blanc nacré à l’intérieur tandis que l’autre présente comme une couche noire. On dirait du sang séché. Le toubib a perdu pas mal de sang, plus de deux litres d’après le légiste. Il a dû beaucoup saigner dans la terre ici même. Cette coquille devait se trouver sous la plaie et s’est remplie de sang qui s’est en grande partie évaporé avec l’été. Je pense que nous devrions la garder comme preuve complémentaire si l’analyse prouvait qu’il s’agit bien du sang du docteur Yves Depierre. Quand estimez-vous pouvoir donner tous ces compléments d’information à la juge Marceau ?
— Nous allons établir le procès-verbal de nos investigations dès notre retour à la brigade. Je le ferai communiquer au juge ce soir même. Je serai dans la salle d’audience demain au cas où vous auriez besoin de moi. Content de mieux vous connaitre, maitre Lacourt. Si un jour je suis accusé à tort de je ne sais quelle turpitude, je ferai appel à vous pour me défendre, sourit l’adjudant en tendant la main à l’avocat.