Lorsque la cour entra dans la salle d’audience en ce vendredi vingt-trois septembre, l’avocat général et Adrien venaient à peine d’y pénétrer. Le jury était installé depuis plus d’une demi-heure. Les témoins ainsi que l’adjudant Loïc Renard étaient tous là, assis sur le premier banc du public. La juge Marceau avait l’air soucieux d’une personne en situation cornélienne.
— Je dois informer le jury que la gendarmerie de Guignicourt mandatée par nous m’a fait parvenir hier soir le rapport sur les investigations complémentaires suggérées par maitre Lacourt.
Ce rapport, dont l’accusation et la défense ont pu prendre connaissance, jette un éclairage nouveau sur l’affaire que nous avons à juger. Suite à l’examen de ces documents, maitre Jean-Louis Lacote, avocat général, et maitre Adrien Lacourt, avocat de la défense, se sont mis d’accord pour inverser l’ordre de leurs interventions, ce que j’ai accepté. Nous allons donc entendre d’abord maitre Adrien Lacourt.
Adrien avait les yeux battus par le manque de sommeil dû à la préparation de son exposé durant la soirée de la veille et une partie de la nuit.
Plusieurs documents papiers étaient posés alignés sur son bureau à côté d’une bouteille d’eau et d’un verre.
Il prit la première feuille, se leva, regarda un à un les membres du jury et commença son discours.
« Le samedi onze juin 2016, le docteur Yves Depierre est retrouvé mort dans sa maison de Guignicourt, tué par une balle de fusil de guerre.
Sur cette arme on retrouve les empreintes digitales et palmaires de mon client Yannick Lefevre qui se trouvait à Guignicourt ce matin-là. Tout est clair, monsieur Lefevre a tué, peu importe le motif, c’est un coupable incontestable, la justice doit passer, elle va passer, Yannick Lefevre sera condamné.
Seulement voilà, monsieur Lefevre n’a pas tué et je vais vous le démontrer.
Examinons avec la plus grande attention la chronologie des faits.
J’ai là un relevé de trajets autoroutiers adressée à Monsieur Yannick Lefevre, résidence Les Glycines à Saint Jorioz en Haute Savoie concernant la journée du samedi 11 juin 2016.
Je vous résume : première entrée autoroute A26 numéro 14 Guignicourt ; péage de Courcy à huit heures trente-deux. Le péage de Courcy est estimé à 19 minutes de Guignicourt ce qui confirme l’heure de départ de mon client à huit heures treize.
Dernière sortie, autoroute A40 numéro 11 Eloise, c’est en Haute Savoie, quatorze heures vingt-neuf, ce qui exclut tout demi-tour.
Monsieur Yannick Lefevre a dit la vérité sur l’heure de son départ de Guignicourt et c’est très important.
Voici ce qui s’est passé ensuite le concernant.
Le mardi quatorze juin, la gendarmerie de Saint Jorioz agissant sur commission rogatoire du magistrat instructeur le juge Baujour, se présente au domicile de monsieur Lefevre pour contrôler le numéro de plaque d’immatriculation de son C4 Citroën sans fournir d’autre explication qu’un contrôle de routine.
Le lendemain, monsieur Lefevre est convoqué à la gendarmerie de Saint Jorioz de façon informelle par un message vocal. Là, on l’interroge sur sa présence à Guignicourt et, sous prétexte de le mettre hors de cause au sujet d’un fait divers qui s’est passé dans ce village, on veut lui prendre électroniquement ses empreintes digitales et palmaires, ce que mon client accepte sans faire de difficultés.
Le lendemain, à six heures du matin, la gendarmerie sonne à sa porte et l’arrête. Ses empreintes figurent sur une arme qui a tué.
Présumé innocent mais évidemment coupable, il est transféré à la prison de cette bonne ville de Laon.
Comment cet homme qui ne sait qu’aimer les autres en est-il arrivé là ?
Né à Laon d’une famille ouvrière, après des études exemplaires, il devient instituteur dans ce département de l’Aisne puis professeur de collège en Haute Savoie où il a rencontré la femme de sa vie. Après trente années de vie commune, il a le désespoir de perdre son épouse et donc sa raison de vivre. Seuls la présence et l’amour de sa fille l’empêchent de sombrer totalement.
Pour le distraire de ses idées noires, sa fille le convainc de s’inscrire sur un site qui permet à d’anciens camarades de se retrouver. Effectivement il est contacté par des amis de collège et d’École Normale avec lesquels il échange quelques messages.
Puis Brigitte Jankovski lui demande, comme c’est l’usage sur ce réseau, s’il accepte de figurer dans sa liste d’amis, ce à quoi il consent.
Brigitte fut la petite amie de Yannick du temps de leurs études normales, mais c’était il y a quarante huit ans. Ils correspondent agréablement par courriels et tout va bien.
Yannick Lefevre est Laonnois d’origine. Début mai de cette année, devant venir à Laon pour l’entretien des tombes de ses parents et grands-parents, Brigitte habitant à moins de trente kilomètres d’ici, ils conviennent de se revoir et se retrouvent à quelques dizaines de mètres du lieu où nous sommes présentement.
Visites des endroits où se sont épanouies leurs adolescences, échanges de nouvelles et d’anecdotes sur leurs parcours, après tant d’années, ils resympathisent.
La nécessité faisant que Yannick doive revenir ici un mois plus tard pour finaliser des travaux commandés à un marbrier local, Brigitte Jankovski lui propose une hospitalité qu’il accepte avec plaisir, heureux de pouvoir évoquer avec elle leurs années d’insouciance.
Hélas, Brigitte Jankovski, épouse Depierre, ne semble pas heureuse dans sa vie pourtant matériellement aisée.
Rapidement son mari médecin, après lui avoir fait miroiter une vie de collaboration en tant que secrétaire médicale, l’a réduite à la situation de femme au foyer.
Ayant abandonné son métier d’enseignante, elle devient dépendante d’un homme à qui la rumeur publique prête de nombreuses aventures.
En fait, peu de choses les rapprochent.
Son mari est chasseur, elle a peur des armes. Elle aime les animaux, son mari les tue. Elle aurait adoré faire de grands voyages, c’est une autre que son mari emmène au-delà des mers. Elle rêvait d’avoir une maison arrangée selon ses goûts, c’est son mari qui la décore de ses collections : trophées de chasse, pierres, animaux empaillés, fusils et autres armes. Il lui concède les fleurs mais c’est lui qui les choisit et elle qui les entretient. À lui tous les plaisirs, à elle toutes les corvées.
La venue de Yannick Lefevre semble être pour elle une bouffée d’air pur. Elle lui confie sa peur du fusil de guerre prêt à tuer selon les dires de son mari, il s’arrange pour le rendre inoffensif. Elle est triste, il la distrait par l’évocation de leurs années de jeunesse. Quand ils évoquent la raison de leur ancienne rupture, elle avoue avoir eu un autre amoureux et lui confie tous les regrets qu’elle a de ne pas avoir su le choisir.
Il sent Brigitte tellement seule et délaissée que quand, la nuit venue, elle le rejoint dans la chambre d’amis, soi-disant pour discuter encore, en souvenir de son ancien amour pour elle, il finit par répondre à ses avances.
Mais Brigitte est mariée et Yannick ne veut pas être celui qui brise un ménage. Au moment de se quitter, ils décident raisonnablement de simplement continuer à correspondre par internet.
Et Yannick part de Guignicourt à huit heures treize ce fatal samedi onze juin.
A-t-il fait demi-tour et tué le mari de Brigitte ?
Impossible, Yannick est un idéaliste qui aime son prochain.
Certes il a fait son service militaire et connait le maniement des armes mais jamais il n’a tué fusse un animal.
Et puis le témoignage de madame Métral, associé aux horaires notés dans le relevé de ses péages autoroutiers ce jour-là, démontrent une matérielle impossibilité de temps.
Mais me direz-vous, l’expertise du médecin légiste va à l’encontre du témoignage de madame Métral. Alors qui ment ? Qui se trompe ?
L’avocat s’interrompit pour laisser au jury le temps de s’imprégner de ces questions. Après avoir bu deux gorgées au verre posé sur son pupitre, il revint vers le jury.
Qui ment ? Qui se trompe ? Aucun des deux. Vous allez comprendre.
Au cours du témoignage du docteur Letourneur, nous avons démontré que la trajectoire de la balle mortelle était descendante selon un angle de vingt degrés et que Yves Depierre n’avait pas pu être tué dans sa maison par manque de recul. Ou alors par un géant, ce que n’est pas mon client. Dès lors, quatre problèmes se posent :
Où ? Quand ? Comment ? Par qui ?
Je vais en résoudre trois devant vous.
Commençons par « Où ? »
Les taches orangées relevées à l’arrière des habits du défunt par l’adjoint du docteur Letourneur m’avaient posé question. Madame le juge Marceau ayant ordonné de nouvelles investigations, avec l’adjudant Renard, nous avons pu déterminer qu’il s’agissait du pollen de lys blanc encore appelé lys de la Madone pour son parfum envoûtant, lilium candidum par les scientifiques. En effet, il y a un massif de ces fleurs dans le jardin des Depierre. Nombre de ces tiges avaient été cassées ou couchées mais deux hampes étaient encore fleuries ce qui a permis de faire un prélèvement d’étamines.
L’adjudant Renard en a déposé un sachet avec les pièces à conviction, c’est… celui-ci.
Voyez la couleur, ajouta Adrien en passant avec le sachet transparent devant les juges et les jurés.
À partir de là, on peut imaginer le scénario suivant.
Le docteur Depierre rentre chez lui, il descend de sa voiture et, probablement comme d’habitude, la première chose qu’il fait est d’aller admirer ses fleurs, visiter son jardin.
Il est face à son massif donc de dos par rapport à sa maison quand un coup de feu le blesse à la tempe. Il porte la main à sa blessure et se retourne.
Un second coup de feu éclate, une balle lui transperce le cœur et le projette dans le massif de lys de la Madone. La mort est quasi instantanée.
À ce stade de nos investigations, nous n’avions aucune preuve formelle étayant le lieu du décès, juste une présomption à cause des taches de pollen et des tiges de fleurs brisées.
Pour pousser les recherches, il nous fallait rentrer dans la maison. Une porte sur le mur latéral du garage permet de passer de celui-ci au jardin et, à l’intérieur, une autre porte donne dans le hall du rez-de-chaussée de la maison. J’ai suivi l’adjudant jusqu’à l’étage.
Nous avons localisé la chambre dont la fenêtre donne sur le jardin. L’adjudant a envoyé son brigadier se positionner juste devant le massif de lys et lui a demandé de placer une main sur cœur. À l’aide du télémètre-laser de la gendarmerie certifié par les Poids et Mesures, à partir de l’appui de la fenêtre, il a visé la main du brigadier de qui a donné une distance de sept mètres soixante et un angle de 19 degrés.
Puis sans changer l’orientation du laser, il a demandé au brigadier de s’écarter et de marquer avec un bâton la point de rencontre du rayon avec le sol, à une distance de onze mètres dix.
Pour vérification, il a ensuite mesuré la hauteur de l’appui de fenêtre par rapport au sol et a relevé trois mètres soixante-dix-huit. Ces mesures permettent, par un calcul trigonométrique simple, d’établir l’angle de tir par rapport à l’horizontale. Cet angle est de dix-neuf degrés.
À l’aide d’outils pris dans le garage, nous avons creusé le sol au point d’impact du laser pour finalement trouver d’abord la balle mortelle puis plus loin la première balle tirée.
Adrien profita de son passage près de son pupitre pour avaler trois nouvelles gorgées avant de soulever deux autres sachets transparents numérotés posés sur la table des pièces à conviction. Voici les balles, dit-il en repassant devant tous les membres du jury.
Nous avions maintenant la certitude du lieu. La mesure du laser a confirmé les constatations du docteur Letourneur.
Je dois ajouter que le brigadier secondant l’adjudant Renard a trouvé dans ce massif de lys deux coquilles vides d’escargots de Bourgogne. Si l’une était normalement propre, l’autre présentait à l’intérieur un enduit noirâtre qui pourrait être du sang séché, celui de la victime qui aurait dans un premier temps beaucoup saigné sur la terre de ce massif. L’analyse de cette coquille est en cours mais il n’y a plus aucun doute dans mon esprit.
Restait à déterminer quand ?
Madame Claire Métral, dans son témoignage sous serment, a indiqué à la cour que le docteur est parti de chez elle un peu avant dix heures.
J’ai profité de la journée d’hier pour faire le trajet en voiture de chez elle au Clos du château chez les Depierre, j’ai mis exactement neuf minutes.
Dix heures plus neuf minutes plus quelques autres minutes pour monter, démarrer, descendre de voiture et aller dans le jardin, on peut affirmer que le docteur a été tué à dix heures quinze.
Le but de ma plaidoirie est de prouver l’innocence de mon client. C’est chose faite puisqu’à dix heures il était sur l’autoroute avec comme preuve la facture de péage dont j’ai déjà fait état.
Je pourrais considérer mon travail comme terminé mais quelques points obscurs méritent d’être élucidés.
Dans le garage de la maison du couple Depierre, garage qui entre parenthèses sert à tout sauf à remiser une voiture, l’adjudant, son brigadier et moi-même avons remarqué, difficile de faire autrement, deux très gros congélateurs, l’un contenant du gibier à plumes, l’autre des animaux à poils.
C’est celui contenant les malheureux volatiles qui nous intéressait.
Pour en faire l’inventaire, nous avons transféré son contenu dans le second. Il y avait entre autres espèces, sept ou huit cailles des blés. Sur l’une d’elle nous avons prélevé une plumette que voici, dit-il en soulevant un sachet de conservation, pour la comparer à celle-là, ajouta-t-il en soulevant de son autre main un autre sachet, celui préparé par le légiste. C’est copie conforme !
Un examen plus attentif du congélateur vide nous a permis de constater une tache du même orange que le pollen des lys sur sa paroi la plus près de l’ouverture, de voir des traces de sang sur le fond du bac et quelques poils collés par le gel sur la même paroi que la tache.
Procédons par ordre.
Du sang dans un congélateur contenant du gibier ? Rien d’anormal. Nous en avons néanmoins prélevé un échantillon. Une analyse scientifique pourra dire s’il s’agit de sang animal ou humain et, par l’ADN, à qui il appartient.
La tache orangée ? On ne congèle pas les lys donc ce pollen a été apporté par un objet extérieur ayant été au contact avec les étamines de ces fleurs !
Les poils collés à la paroi ? Étrange pour un bac de gibier à plumes.
L’adjudant Renard leva la main depuis son banc des témoins, ce que remarqua Adrien.
— Madame la juge, j’autorise si vous le permettez une interruption dans la logique de mon raisonnement si vous autorisez l’adjudant Renard à parler.
— Qu’avez-vous à dire adjudant ?
— Madame le juge, j’ai fait porter à notre cellule scientifique par un de mes brigadiers la moitié de l’échantillon de poils récoltés dans ce congélateur. Je viens d’avoir avis du résultat par texto. Il s’agit de poils humains, des poils de barbe.
— Merci mon adjudant, reprit Adrien après s’être une nouvelle fois désaltéré.
Il ressort de tout cela qu’un corps humain a été placé dans ce puissant refroidisseur et il y a de fortes présomptions pour que ce corps soit celui du docteur Yves Depierre.
— Mais pourquoi cela maitre ? fit la juge hautement intéressée par la démonstration.
— Ceci, madame le juge est un autre élément de réponse à la question Quand ?
Si le corps du docteur Depierre a été déposé au froid disons à onze heures, avec une sonde thermique placée contre la peau, sous une aisselle par exemple, il est possible grâce à un petit calcul de savoir quand il faut sortir le corps afin que la température de la peau du front soit de vingt deux degrés à l’heure à laquelle interviendra l’équipe technique de la gendarmerie.
Suivez mon raisonnement : le technicien fait son test à vingt trois heures, la température relevée est de vingt-deux degrés. La déperdition de chaleur d’un corps sans vie est d’un degré par heure à l’air ambiant. Le technicien calcule : trente-sept degrés, la température du corps vivant, moins vingt-deux degrés, température relevée soit quinze points. Le décès est survenu quinze heures avant vingt-trois heures soit huit heures du matin, heure à laquelle Monsieur Yannick Lefevre est encore dans la maison.
Vous constaterez mesdames et messieurs du jury à quel point les conclusions du docteur Letourneur étaient proches de la réalité en dépit de cette tentative de modification.
Si mon raisonnement est exact, nous avons affaire à un meurtre avec préméditation.
— Avez-vous trouvé la sonde thermométrique ? voulut savoir la juge.
— Non madame le juge mais nous avons repéré sur le buffet de la salle à manger ce qui peut être la partie réceptrice de l’ensemble.
Nous savons « Où ? » dans le jardin, nous savons « Quand ? » à dix heures quinze, nous savons « Comment ? » par un tir de fusil de guerre depuis une fenêtre de l’étage.
— Vous ne connaissez pas le « Par qui ? »
— Madame le juge, je suis avocat de la défense de monsieur Yannick Lefevre et je pense avoir prouvé sa totale innocence en cette affaire. Mon travail vient de trouver sa limite. Dans sa délibération, j’espère que le jury sera convaincu par mon raisonnement. J’en ai terminé.
— Nous allons maintenant entendre l’avocat général maitre Lacote. C’est à vous maitre.
— Madame le juge, mesdames et messieurs les jurés, je vais être très bref.
Au courant des dernières investigations de la gendarmerie par le rapport de l’adjudant Renard, le ministère public, dont je suis le représentant dans ce procès, a décidé d’abandonner toute poursuite à l’encontre de monsieur Yannick Lefevre et demande sa relaxe.
Cependant il y a eu assassinat du docteur Yves Depierre, une nouvelle instruction devra être diligentée.
— Monsieur Yannick Lefevre, dit solennellement la juge Marceau, aucune charge n’est plus retenue contre vous, à partir de cet instant vous êtes libre.
Gardes, laissez sortir monsieur Lefevre de son box.
Yannick, encore un peu incrédule, se leva lentement, se dirigea vers Adrien, le prit dans ses bras et le serra longuement contre lui.
Pour ensuite rejoindre Flora qui s’était levée, il passa devant le banc des témoins où se trouvaient encore Brigitte Jankovski, Lucien Combeau, Claire Métral ainsi que l’adjudant Loïc Renard. Il s’arrêta quelques secondes devant son ancienne amie qui soutint son regard, haine et panique se lisant dans le myosotis sombre de ses yeux. Lentement Yannick secoua la tête en un mouvement de négation incrédule puis il alla se jeter dans les bras de sa fille.
— Madame le juge, puis-je reprendre un instant la parole ? demanda Adrien.
— Maitre Lacourt, la justice vous remercie. Qu’avez-vous à ajouter ?
— Dans la démonstration que je viens de faire, j’ai donné une solution à trois interrogations mais je me suis gardé de donner réponse à la question « Par qui ? » Si vous le permettez, je peux exposer quelques éléments à prendre en compte pour aider à répondre à cette question.
Sur le banc des témoins, Lucien Combeau se leva avec visiblement l’intention de sortir de la salle d’audience, Brigitte Jankovski tenta de l’imiter en s’aidant de sa canne.
— Garde, arrangez-vous pour que personne ne sorte de cette salle tant que je ne l’autorise pas. Que les témoins restent assis. Continuez maitre Lacourt.
— Pour qui veut connaitre toute la vérité dans cette affaire, il y a dans les procès-verbaux d’audition des témoins quelques éléments qui devraient permettre de confondre les coupables ou, à tout le moins de les inculper pour parjure.
Je dis les coupables car il ne fallait pas être seul pour réaliser ce scénario élaboré par un cerveau machiavélique.
Le jour du drame, Madame Depierre affirme avoir passé la journée à Reims…
Sur son banc, Brigitte acquiesça de la tête.
Premier élément, elle a fourni comme preuve un ticket de carte bancaire mentionnant le nom du restaurant ainsi que l’heure de paiement, treize heures vingt-deux. C’est la preuve qu’elle était à Reims à cette heure-là.
Elle a aussi fourni un ticket d’entrée au musée de l’auto de Reims qu’elle dit avoir visité. J’ai vérifié, ce musée est ouvert le samedi après-midi de quatorze à dix-huit heures mais il n’y a pas d’heure d’entrée imprimée sur le ticket. On ne peut déduire de ces deux éléments qu’elle était à Reims disons de midi à quatorze heures. Avant et après, rien n’est sûr.
Deuxième élément, il concerne monsieur Lucien Combeau, voisin au jardin mitoyen de celui des Depierre. Dans son témoignage, il a affirmé avoir jardiné toute la journée. J’en déduis que monsieur Combeau est sourd et aveugle ou menteur ou… pire !
Ah, un troisième élément, monsieur Combeau et madame Depierre sont tous deux natifs de Saint Quentin, ils se connaissent depuis l’école primaire et, j’ai vérifié, ce monsieur figure depuis plus de huit ans dans la liste d’amis de Brigitte Jankovski sur le site des Copains d’école. De là à imaginer qu’il s’agit de son autre amoureux d’adolescence, surtout que cette maison de Guignicourt, il ne l’a pas héritée comme il en a témoigné, il l’a achetée, il y a huit ans. C’est touchant le rapprochement de deux êtres qui s’aiment, n’est-ce pas ?
Adrien des ses deux mains passant l’une devant l’autre indiqua qu’il en avait terminé.
L’avocat général se leva et prononça d’une voix forte :
— Je demande la mise en garde à vue immédiate de monsieur Lucien Combeau pour faux témoignage lors d’un procès d’assisses. Je demande une nouvelle expertise psychiatrique de madame Brigitte Depierre, tous deux étant maintenant soupçonnés du meurtre prémédité du docteur Depierre avec tentative de faire accuser monsieur Yannick Lefevre.
— Gardes, tonna la juge Marceau, saisissez-vous de ces deux personnes et placez-les en garde à vue. N’oubliez pas de leur signifier leur droit à un avocat. Le procès est terminé, la séance est levée.