5. Arrivée à Laon
 Il était près de dix-sept heures.
Les dentelles de pierre des tours de la cathédrale couronnant la montagne de Laon étaient visibles depuis plusieurs kilomètres déjà. Yannick avait décidé de finir le trajet de Reims à Laon en empruntant l’ancienne route nationale.
Arrivé au niveau de la ville basse, il décida de changer la fin de son itinéraire et de monter au plateau par le côté sud en empruntant la rue d’Ardon puis de continuer vers l’École Normale en suivant la rue des Chenizelles puis le boulevard Michelet jusqu’à la rue de la République. Arrivé devant le superbe bâtiment qui fut son ancienne école, il traversa la rue pour se garer sur le trottoir en cendrée longeant la zone de jeux et le mini-stade, coupa le moteur de la C4 et sortit du véhicule.
 Pendant plusieurs minutes il regarda la façade de briques rouges parée de pierres et de briques blanches, le monument aux trois instituteurs fusillés pendant la guerre de 1870, le double escalier d’entrée qu’il avait tant de fois emprunté.
Une multitude de souvenirs et de pensées se bousculaient dans sa tête, mélange de bonheur d’avoir vécu ici quatre années formidables et de tristesse à l’idée que ce temps béni ne reviendra plus.
Se secouant, il fit demi-tour pour faire face au terrain de sport sur lequel il s’était entrainé avec bonheur pendant son temps d’école. Il franchit un petit portail ouvert, traversa le terrain d’évolution, s’avança vers l’endroit où finissait le plateau et où commençait la pente de la cuve Saint Vincent. Combien de fois avait-il dévalé cette pente pour récupérer un ballon malencontreusement expédié là par un pied malhabile, surtout quand personne d’autre ne voulait y aller !
 Laissant sur place son véhicule, il revint à pied en direction de la tour blanche marquant l’extrémité sud de son ancien lycée, se dirigea vers la gauche dans la rue Pierre Curie. Il s’attarda un instant devant la façade de l’ancienne École Normale de jeunes filles, celle de Mireille Daucy et de Brigitte Jankovski puis il continua sa promenade vers la porte de Soissons.
L’endroit était mieux entretenu qu’avant et toujours aussi beau : la tour penchée de dame Eve éclairée par le soleil de cette fin d’après-midi, la courtine de pierres la rattachant à l’impressionnante porte moyenâgeuse et, un peu plus loin, les murs ouest de son ancien lycée.
Près de la porte de Soissons verdoyaient toujours les pelouses du square du père Marquette, là même où il avait échangé son premier baiser avec Brigitte, baiser si doux, si malhabile, si prometteur. Avisant un banc public face à l’ouest, Yannick se posa un instant pour admirer le faste du soleil se couchant dans une gloire de couleurs. Il se demanda quelle aurait été son avenir si à l’époque Brigitte avait été fidèle et disposée à partager sa vie. Un début de larme vite essuyée d’un revers de poignet humecta ses yeux. « Non, c’est mieux comme ça, sinon je n’aurais jamais connu Agnès, ni nos trente ans de bonheur partagé…
Mais retrouver sa jeunesse, vivre une seconde vie complètement différente… » Il se secoua. « C’est impossible et ce genre de pensée ne mène à rien. »
 Il jeta un coup d’œil à l’écran de son smartphone : près de vingt heures. « Trop tard pour me rendre au cimetière, les portes sont probablement fermées maintenant, j’irai demain matin. »
Le cœur toujours plein de nostalgie, il fit demi-tour mais au niveau de l’entrée de l’ancienne EN de jeunes filles, il décida d’emprunter le chemin des Creutes longeant l’abrupt ouest du plateau afin de faire un circuit pour regagner sa voiture en admirant le paysage de la verdoyante plaine laonnoise.

 Dans sa chambre d’hôtel, il se fit monter un sandwich et une bière qu’il consomma devant une émission de télévision qui ne l’intéressait pas. Il songea à sa fille Flora qui devait s’inquiéter d’une absence de nouvelles, il rédigea sur son smartphone un texto rassurant puis, éteignant le téléviseur, il sortit sa tablette tactile du sac de voyage. La connexion au wifi de l’établissement s’avérant laborieuse, par le fil du chargeur il associa tablette et téléphone portable de façon à faire ses recherches internet confortablement par le réseau 4g.
Il allait éteindre ses appareils quand l’icône des courriels en bas de son écran s’orna du chiffre 1. Il relança le logiciel de courrier électronique : « Nouvelle demande de contact » indiquait l’intitulé. Il développa le message et eut un coup au cœur en découvrant la teneur de la demande, succincte et explicite : « Brigitte Jankovski souhaite vous ajouter à sa liste d’amis. »