VALENTIN S'AFFIRME

12. BATAILLE

Il était quinze heures moins cinq minutes, la sonnerie libératrice allait retentir. Madame Chevallier professeure de lettres annonça :
— Vous pouvez ranger vos affaires, je souhaite à tous de bonnes vacances. — M'dame, pourquoi on n'a pas cours de trois heures à quatre heures aujourd'hui ?
— Ce n'est pas pour que vos professeurs partent plus tôt en vacances Marion, sourit la professeure, il y a une réunion pédagogique tout simplement. Allez-y ajouta-t-elle comme la sonnerie retentissait.
Aussitôt sorti dans la cour du collège, Valentin héla Amandine.
— Titamande ? Titamande ?
— Oh, toi, quand tu m'appelles par mon pseudo, c'est que tu as quelque chose à me demander.
— Tout juste Titamande. Gilles et moi nous pensons que la bande au Thénardier va essayer de nous coincer pour tenter de nous tabasser...
— Et tu veux que je réunisse tous les copains et copines ?
— Non, pas du tout, nous allons nous débrouiller seuls mais nos sacs d'école vont nous encombrer. Est-ce que tu pourrais t'en charger, avec Pauline par exemple ?
— Bien sûr Val, mais j'ai peur pour vous. Tu es sûr que tu ne veux pas d'aide ?
— Tu es trop sympa Titamande, je n'aime pas spécialement la bagarre mais j'aime encore moins que les filles se battent.
— D'accord, laissez vos affaires près du vélo de Pauline.
— Merci ma belle, je t'appelle quand nous en aurons fini. Bouboule ? Bouboule ? enchaîna-t-il.
— Oui Val, tu as besoin de moi ?
— Yes. Qu'est-ce que tu dirais d'aller tout de suite en vélo promener ton smartphone qui fait de si belles photos jusqu'au lac vers la villa des parents de Charly en passant par le port ?
Bouboule resta deux secondes silencieux puis son visage lunaire s'éclaira.
— Compris, je démarre.
Bouboule parti, Valentin se dirigea vers l'abri à vélos du collège en consultant son smartphone.
— Tu as un nouveau message des copains ? demanda Gilles.
— Je n'en sais rien, je n'ai pas encore rallumé mon smartphone.
— A quoi ça te sert alors ?
— L'écran fait miroir, je surveille Thénardier. Non, ne te retourne pas, il ne doit pas savoir que nous sommes au courant de ses projets. Je pense qu'ils vont nous suivre à distance puisqu'ils croient savoir où nous allons. Tu te sens en forme ?
— Un peu le trac quand même. Comment on va faire à deux contre trois ?
— Viens, allons vers le lac, nous discuterons en roulant, n'oublie pas tes gants.
— Oui maman.
— Idiot ! Ce n'est pas ce que tu crois, cela m'est bien égal que tu prennes l'onglée, mais si tu dois te servir de tes poings, c'est mieux que tu sois protégé.
— Oui papa !
— Tu en as d'autres à me servir ?
— Oui tonton !
— J'ai comme l'impression que tu trouilles.
— Oui, quand même, à trois contre nous deux, on risque de recevoir un mauvais coup par derrière.
— J'ai pensé à une tactique. Écoute bien. Tony n'osera pas s'attaquer à moi, du moins tout seul, il doit se souvenir de la raclée que je lui ai mise la dernière fois qu'il m'a défié, donc je vais l'isoler et te le laisser.
— Je ne sais pas si j'aurai le courage.
— Mais si ! Ta tactique doit être celle-ci : le Tony se sert essentiellement de ses poings donc, quand il attaquera, tu devras esquiver, reculer, esquiver, reculer et cela va te procurer un double avantage. Il va se dire que tu as peur de lui, il sera en confiance donc il sera moins vigilant donc plus vulnérable.
— Tu es sûr de ça ?
— Oui, regarde en foot par exemple, il arrive souvent que le leader se fasse battre pas le dernier, pourquoi ? Par excès de confiance. Deuxième avantage pour toi, au bout d'un moment, s'il n'a pas réussi à te frapper, il va s'énerver et foncer. C'est à ce moment-là que tu vas lui balancer ton coup de pied bas sur le tibia. N'oublie surtout pas de te cambrer en arrière pour éviter ses poings, il cherche toujours à toucher au visage.
— Oui, j'en sais quelque chose.
— Lorsque tu lanceras ton pied, si tu peux viser sa jambe gauche, c'est celle que je lui ai shootée lorsqu'il a voulu me faire un croche-pied en classe, là, il aura vraiment mal. Mais c'est un teigneux, il reviendra à la charge, peut-être en cherchant lui aussi à te donner des coups de pieds, sans avoir ta technique. Dans ce cas, c'est tout simple, esquive en montant le genou comme on a vu ensemble et riposte en chassé au corps. Si tu le prends bien, il aura le souffle coupé. Il se relèvera peut-être encore une fois avec l'idée de foncer comme un taureau. Observe-le bien, dès qu'il sera relevé, tu n'attends pas, pivot et coup en revers du talon dans les côtes ou, à ton choix, coup de pied de pointe là où tu veux.
Un dernier conseil, ne ferme jamais les yeux quand tu te bats, même s'il réussit à te toucher. Si tu fermes les yeux au moment du coup, tu n'auras pas moins mal et en plus tu te mets en état d'infériorité. Prépare-toi bien mentalement : un, coup de pied bas, deux, chassé au corps, trois, revers dans les côtes ou coup de pointe dans les...
Après tu peux être sûr qu'il te respectera toute ta vie et ton cocard aura servi à quelque chose.
— Tout ça, c'est bien beau mais qui te dit qu'il va rester seul ? Qu'est-ce que tu fais des deux autres ?
— Même tactique que toi, je fais semblant d'avoir peur et je me sauve en courant sur le chemin des roselières et Tony va envoyer ses deux acolytes à ma poursuite, j'en suis à peu près certain.
— S'il te rattrapent, tu risques de prendre une dérouillée.
— Je suis meilleur que Romuald à la course et Romuald est meilleur que Clébar, donc je vais m'occuper de Romuald d'abord. Si l'autre arrive avant que j’aie terminé le premier, j'essaierai d'être aussi agile que toi. Nous arrivons à l'embarcadère, posons nos vélos et promenons-nous en faisant semblant de discuter.
— Attends Val regarde là-bas vers le slip-way, je crois bien que ce sont les filles de son équipe et aussi...
— Emily, oui, j'ai vu. Gilles, même si les circonstances changent nos plans, la tactique de combat reste la même pour toi, n'oublie pas, reste lucide et concentré. Continuons à avancer vers les filles sans nous retourner, j'entends les pneus de leurs vélos.
— Tiens, mais c'est connard et minus qui se baladent, ricana Tony en les dépassant tandis que Clément se positionnait sur leur gauche et Romuald sur leur droite.
— Nous ne vous avons rien demandé alors vous nous lâchez, répondit Gilles.
— Mais non mais non, on ne vous lâche pas, on veut vous souhaiter de bonnes vacances à tous les deux. Alors minus, ton œil va mieux ? Tu veux une autre tartine de beurre noir ?
Romuald et Clément s’esclaffèrent devant tant d'esprit, ce qui bien sûr encouragea Tony.
— Et toi connard, ça rimerait pas avec froussard maintenant ?
Valentin toucha rapidement la hanche de Gilles comme pour lui donner le signal de départ, força le passage entre Clément et Romuald qui étaient descendus de vélos et se mit à courir vers le chemin des roselières.
— Rattrapez-le, foncez ! ordonna Tony, je m'occupe du minus.
Comme Valentin l'avait prévu, Romuald prit rapidement quelques mètres d'avance sur Clément. Arrivé au niveau des filles, Valentin freina brusquement, se retourna et lança une méga gifle à son poursuivant qui, emporté par l'élan de sa course, fit encore quelques mètres en titubant, butant presque contre Pauline et Amandine qui arrivaient en sens inverse sur leurs bicyclettes.
— Qu'est-ce que tu attends Clem, saute-lui dessus ! cria Romuald en revenant au pas vers Valentin. Celui-ci se retourna pour faire face à son nouvel adversaire qui venait de les rattraper. Un bref coup d’œil en arrière lui montra que Romuald allait l'attaquer dans le dos. Il fit alors un tour complet avec le bras droit tendu et asséna du revers de la main droite une nouvelle gifle magistrale à Romuald avant de se retrouver face à Clément.
— Clébar, t'arrête tout de suite ! Si tu veux te battre, c'est à la loyale, tu attends ton tour, cria Pauline en laissant tomber son vélo chargé des sacs.
— Toi, gros nichons, occupe-toi de tes fesses !
Amandine à son tour laissa tomber son vélo en hurlant :
— Tu n’es qu'un mal poli, un grossier et un lâche, Clébar !
Profitant du court instant d'inattention du garçon, Pauline renouvela la baffe monumentale qu'elle lui avait administrée en cours de math au début de l'année. Les deux filles faisaient barrage à Clément, Valentin en profita pour se tourner à nouveau vers Romuald qui, indécis, restait sur place en se frottant la joue. Il jeta un rapide regard à Emily qui devait se poser des questions en voyant ses deux amoureux se battre. Romuald profita du bref instant d'inattention de son adversaire pour tourner les talons et tenter de prendre la fuite. Au moment précis où il démarrait, Valentin lui donna de l'élan avec un monumental coup de pied aux fesses qui l'envoya tutoyer les graviers du chemin.
— Tu veux que je t'aide à te relever ou tu préfères que ce soit une fille qui le fasse ? ironisa-t-il. Quel style préfères-tu ? Une voleuse, une profiteuse ou une coureuse ? Vous avez la mémoire courte hein les jumelles, mais pas moi ! Et Morgane, toujours à profiter mais jamais à donner ! Et toi Emily, tu ne vas pas aider ton nouveau copain pendant que je m’occupe de l'autre abruti ? Tu vas aussi le laisser tomber ? C'est bien facile, il est déjà par terre. Tu ne réponds pas ? A ta guise ma belle, conclut-il en se retournant vers Clément.
Celui-ci, face aux filles qu'il n'osait frapper, se protégeait tant mal que bien des gifles qui arrivaient de chaque côté. Valentin s'avança vers lui, Clément fit quelques pas en arrière, les filles s'écartèrent. Comme Valentin avançait encore, deux nouveaux pas à reculons engagèrent son adversaire sur le slip-way inemployé depuis la fin de l'automne. La glissade sur le ciment couvert d'algues marron et vertes était inévitable, ses pieds partirent en arrière, il tomba à plat ventre sur le plan incliné et continua sa glissade. L'eau du lac ne devait pas dépasser les six degrés. Ce fut un Clément transis et grelottant qui saisit la main secourable de Valentin à genoux sur le côté de la descente à bateaux.
— Tu veux toujours te battre Clébar ? persifla Valentin quand Clément fut sorti de l'eau. Non ? Tu devrais pourtant, ça te réchaufferait… Toujours non ? Alors cours vite chez toi prendre une douche chaude, minable !
— Valentin, ça va ? cria la voix essoufflée de Gilles qui, tout courant, arrivait pour porter assistance à son ami.
— Super ! Terminé pour moi ! Et toi, comment ça s'est passé ? Oh, attends un peu avant de raconter, je crois que c'est Pascal qui arrive. Oui, c'est bien lui. Bouboule, tu as tout raté cette fois !
— J'ai peut-être raté la séquence Valentin, mais celle de Gilles vainqueur du Thénardier est dans la boite, fit-il en agitant son téléphone. Seulement les gars vous allez devoir attendre pour la séance de cinéma, ce n'est pas pour tout de suite parce que le Thénardier, après la leçon qu'il vient de prendre s'est vengé en jetant vos VTT au lac au niveau de l'embarcadère et à cet endroit-là, c'est vachement profond.
— Oh le salopard !
— Pas trop d'inquiétude, j'ai la solution les mecs. Je viens d'appeler Charly, il me prépare une corde et un crochet en fer. Nous allons commencer les vacances par une bonne séance de pêche à la bicyclette, les amis.
— On n'en aura donc jamais fini avec ce Thénardier ! se désola Gilles.
— Eux non plus n'en ont pas fini pour aujourd'hui, ils vont devoir faire deux kilomètres en poussant leurs vélos qui bizarrement ont les roues à plat, rigola Bouboule en sortant un gros clou à pointe limée de sa poche. C'est un cadeau de Florian et il m'a même fourni le mode d'emploi ce grand dégonfleur !
— Bien joué Bouboule, tu es le plus malin. Rendez-vous tous chez moi demain après-midi, disons à seize heures. Goûter, débriefing et cinéma, ça vous va ? Non non, pas vous les jumelles, ni toi Morgane. Nous allons à l'embarcadère, Pauline, Amandine, vous venez ?
— Moi je fonce chez Charly ! fit Bouboule.
— Ils ne vont pas être fichus nos VTT ? s'inquiéta Gilles.
— Ce n'est pas un petit bain d'une demi-heure dans de l'eau douce qui va les abîmer, moins en tout cas qu'un bain de mer ou un lavage au nettoyeur haute pression. Alors dis-moi, comment ça s'est passé pour toi ?
— Exactement comme tu l'avais prévu. Le Thénardier pèse au moins dix kilos de plus que moi mais il n'a pas fait le poids si je peux dire. En me battant, j'avais l'impression d'être toi, invulnérable. J'ai hâte de voir le film de Bouboule.

À la nuit tombante, après avoir repêché au crochet les VTT de Gilles et Valentin, les cinq adolescents euphoriques prirent le chemin du retour vers le centre village.
— Au fait merci pour votre intervention sur Clébar, dit Valentin à Pauline et Amandine. Mais comment avez-vous fait pour nous retrouver ?
Cette dernière répondit avec un sourire :
— Il n'y a pas que Pascal qui a l'oreille fine. Je t'ai entendu lui donner ton itinéraire, le port puis vers chez Charly. Alors nous avons fait le trajet inverse pour être sûres de vous rattraper.
— Bien raisonné pour des filles, se moqua Gilles.
— Dis donc toi, tu en veux une aussi ? menaça Pauline en levant une main.
— Attention Pauline, rigola Bouboule rapidement revenu après avoir rendu corde et crochet, Gilles est devenu un bagarreur redoutable ! Il a complètement écœuré le Thénardier avec ses coups de pieds. Qu'est-ce qu'il a ramassé le Tony ! Il boitait bas quand je suis venu vous rejoindre.
— Oui, et bien nous n'allons pas le plaindre, commenta Amandine.
— Dis donc Val, reprit Gilles, tu nous as bien invités chez toi demain après-midi à trois heures ?
— Mais oui, tu dois raconter tes exploits à tout le monde, nous devons aussi voir le film de Bouboule. Je compte sur vous pour prévenir tous les copains.
— Je me pose quand même une question, continua Gilles, pourquoi est-ce que tu as pris la peine de préciser à Morgane et aux jumelles que l'invitation ne les concernait pas ?
— Pour qu'elles sentent que de notre côté nous formons un groupe amical et uni, pour qu'elles se rendent compte qu'elles se sont trompées dans le choix de leurs amis, surtout après les raclées qu'ils ont reçues.
— En fait, je me demandais plutôt pourquoi tu as dit ça à elles trois alors qu'en réalité elles étaient quatre.
Comme Valentin ne répondait pas, Gilles enchaîna.
— En fait, je le sais... On ne guérit pas de certaines maladies du jour au lendemain.
— Arrête de penser et d'élucubrer, Gilles, intervint Amandine. Fiche-lui la paix avec ça. Pense plutôt à prévenir Florian, Olivier et Quentin, moi je me charge de contacter les filles pour demain. On dit à tout le monde d'apporter un petit quelque chose à manger et à boire.
— Bonne idée, se réjouit Bouboule, moi j'apporterai des Chamalows et des Tagada fraise !