Assis dans un fauteuil relax du salon, les yeux au plafond, Valentin souriait.
— C'est le début des vacances qui te rend heureux comme ça ? demanda sa grand-mère.
— Hein ? Oh oui, en partie. Mais je pensais à mes copains, je les ai invités à passer ici cet après-midi, cela ne vous gêne pas ?
— C'est que nous ne serons pas là. Ton grand-père a rendez-vous chez un spécialiste à trois heures, et ensuite nous irons faire nos courses pour le week-end.
— Yanco est malade ? dit Valentin soudain alarmé.
— Non, c'est simplement son contrôle cardiaque annuel.
— Pourquoi, qu'est-ce qu'il a ?
— Des crises de tachycardie de temps en temps, mais ce n'est pas très grave.
— Qu'est-ce que c'est la tachycardie ?
— Le cœur qui accélère d'un seul coup sans raison, comme quand tu es essoufflé mais sans l'être, tu vois ce que je veux dire ? Ce n'est pas grave mais il doit être contrôlé régulièrement.
— Je vais décommander les copains alors.
— Mais non Valentin, nous te faisons confiance et à tes amis aussi. Faites votre réunion et amusez-vous.
Le premier à franchir le petit portail fut Gilles accompagné de Lucie.
— Salut grand maître es pancrace, dit -il en s'inclinant avec une obséquiosité démentie par son sourire ironique. Comment vas-tu ?
— Salut vous deux, vous êtes venus à pied ?
— Oui, j'ai laissé mon VTT au chaud. Après son bain forcé d'hier, j'ai eu peur qu'il s'enrhume ! Tiens, j'ai apporté deux bouteilles de limonade bio.
— Et moi un kilo de clémentines ajoura Lucie. Tes grands-parents ne sont pas là ?
— En ville pour faire des courses.
— Ah, voici Pauline. Pour une fois elle est en avance, reprit Gilles.
— Elle, c'est la maîtresse es claques, gifles, beignes, allers-retours et autres mornifles. Si tu avais vu comment Amandine et elle se sont occupées de Clébar pendant que je finissais Romuald ! Salut Pauline, tu mérites des bises.
— Bonjour vous trois, ça va ?
— Bonjour Pauline. C'est vrai que vous avez poussé Clément dans le lac ? s'inquiéta Lucie.
— Il s'y est poussé tout seul en reculant sur le slip-way. S'il était moins nul en anglais, il saurait que « way » veut dire chemin et le verbe « to slip » glisser, commenta Valentin.
— Ah... Donc il a glissé tout seul, j'aime mieux ça, parce que quand même, pousser quelqu'un à l'eau... Elle est froide l'eau du lac ?
— En cette saison elle est au plus bas, dans les six degrés, intervint Florian qui venait d'arriver en compagnie d'Olivier et de Margot.
— Brrr...
— On met les provisions dans la cuisine ? demanda Margot, j'ai apporté des biscuits.
— J'ai amené un cake fait maison, dit Pauline.
— Moi du coca, ajouta Olivier, pas fait maison du tout.
— Et moi des barres énergétiques, compléta Florian le sportif.
— Posez tout sur la table basse du salon.
— Le reste de la fine équipe arrive, se réjouit Gilles, avide de voir la vidéo de son combat prise par Bouboule.
— Salut tout le monde ! lança Amandine suivie de Quentin, Pascal, Eva et Mathilde.
— « Voici des fruits, des figues, des dates et des mangues. Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous. » s’amusa Mathilde.
— Mathilde, mais c'est vachement joli ce que tu viens de dire ! s'extasia Quentin, c'est de toi ?
— Un peu seulement, répondit-elle en jetant un regard malicieux vers Valentin qui lui rendit un demi-sourire complice.
— Je crois que tout le monde est là, observa-t-il, c’est chouette. Je vais tout de suite répondre à la question que vous ne m'avez pas encore posée. Pourquoi tenais-je tant à ce que l'on se batte contre Thénardier et sa clique misérable ? Réponse : à cause du cocard de Gilles. Non Mathilde, ce n'est pas par goût de la bagarre, je déteste la violence autant que toi, mais vois-tu, un garçon ce n'est pas comme une fille...
— Comment as-tu fait pour découvrir ça ? se moqua Florian.
— Chez les garçons, il y en a toujours qui veulent régner par la force, être le chef, dominer un territoire...
— Comme les bêtes, commenta Lucie.
— Parfaitement. Leur raisonnement est simpliste : tu rentres chez moi, tu te prosternes ou tu reçois une trempe. Dans le cas qui nous occupe, la semaine dernière, Gilles marchait sur le trottoir du cimetière. Le Thénardier et le Clébar lui ont barré le passage. Gilles a voulu passer quand même, pan ! Coup de poing dans l’œil ! Si Gilles avait été un grand costaud genre Florian, ils ne lui auraient rien fait. Ces types ne respectent que la force. Il fallait donc leur prouver que Gilles qui n'a vraiment pas l'air d'un catcheur est au moins aussi fort qu'eux et qu'il est lui aussi sur son territoire. Nous avons donc imaginé tout un scenario dont vous connaissez le début. Premièrement leur donner l'impression que notre groupe éclatait, que les trois plus costauds désertaient notre équipe et ceci a bien fonctionné. Ensuite je voulais les pousser à nous attaquer mais il fallait parallèlement que Gilles s’entraîne à la self-défense, ce qu'il a fait. J'ai énervé Tony et Clément en leur lançant des vannes, puis, constatant qu'ils me faisaient suivre pour connaître mes habitudes, imaginant bien qu'ils voulaient nous coincer dans un endroit désert, nous avons choisi comme lieu le bord du lac.
Je n'ai pas voulu que vous veniez tous car la bataille n'est jamais un beau spectacle et une bagarre générale risquait de faire des blessés, n'est-ce pas Mathilde ?
Tout s'est déroulé comme prévu et je vous ai invités ici pour vous raconter.
Thénardier et Clébar plus Romuald nous ont rattrapés au niveau de l'esplanade, pas loin du débarcadère. Ils ont commencé par nous insulter. J'ai fait semblant d'avoir peur et je me suis enfui en courant. Courageusement, Tony, pensant que Gilles était plus vulnérable que moi, se l'est réservé et a envoyé les deux autres à ma poursuite. Je savais que Romuald était le meilleur des deux à la course et ça m'arrangeait bien de m'occuper de lui d'abord.
— Pourquoi lui ? Si tu avais neutralisé Clébar en premier, Romuald n'aurait pas osé t'affronter, raisonna Quentin.
— Si j’avais dû attendre Clébar, seul contre deux, j'aurais bien pu me faire tabasser.
— Ça se passait où ? questionna Olivier.
— Au bout du port, près de la mise à l'eau.
— Il n'y avait personne ? demanda Florian.
— Si, il y avait les filles de leur groupe, les jumelles et Morgane.
— Tu oublies Emily, compléta Pauline.
— Oui, Emily aussi.
— Comment tu sais ça Pauline ? s'étonna Margot.
— C'est tout simple, intervint Amandine, Valentin nous avait demandé à Pauline et moi de les décharger de leurs sacs pour qu’ils soient plus libres de leurs mouvements. Il a ensuite invité Pascal à venir prendre des photos au port puis vers chez Charly. On a tout entendu et on a décidé d'aller nous aussi jusque chez Charly par les petites routes puis de revenir vers le port par le chemin des roselières. Nous sommes arrivées pile au moment où Valentin donnait une méga gifle à Romuald devant les filles de son clan.
Avec un sourire à peine dissimulé, Valentin reprit son récit.
— C'est aussi à ce moment que Clébar nous a rattrapé. Il a voulu m'attaquer par derrière. Valentin montra du doigt Pauline puis Amandine, mais ces deux championnes-là l'ont bloqué et l'ont tellement baffé qu'il en était tout rouge. J'en ai profité pour achever ce nul de Romuald d'une beigne en revers et d'un coup de pied très douloureux au... disons pour son orgueil !
— Surtout devant l'Emily ! fit observer Amandine.
Valentin ne releva pas la remarque pourtant finement amenée.
— Je me suis alors tourné vers Clébar. Je n'ai même pas eu à le toucher, il s’est mis à reculer vers la pente de mise à l'eau du port, super glissante en cette saison, et il s'est pris un à-plat dont il se souviendra. Je l'ai juste aidé à sortir de l'eau, d'ailleurs il a oublié de me dire merci.
— Et pour toi Gilles, comment ça s'est passé ? demanda Florian.
— Stop ! C'est à moi de jouer maintenant, intervint Bouboule. Je vais vous faire passer mon smartphone avec une super vidéo.
— Attends Bouboule, j'ai un câble adaptateur pour le brancher au téléviseur, tout le monde pourra voir en même temps.
— Oui, super, opina Bouboule, j'avais oublié que tu es un crac en informatique et compagnie.
— Demande-toi plutôt en quoi il n'est pas bon, ça ira plus vite, sourit Pauline.
Valentin sortit deux câbles d'un tiroir du meuble télévision, les abouta, brancha une extrémité au téléviseur et tendit l'autre à son ami.
— Voilà, tu peux connecter ton smartphone et lancer ta vidéo.
— Attention, cinéma, match de boxe filmé, soirée de gala, sonorisation vocale de Pascal Boulot !
« Pour que les acteurs restent naturels, ils ne devaient pas savoir qu'ils seraient filmés. Je me suis donc dissimulé dans l'abri du débarcadère et j'ai attendu. Valentin et Gilles sont arrivés plan plan alors j'ai commencé à filmer. Les trois autres ont suivi de près et ont tenté de les coincer. J'étais un peu loin et j'ai filmé au zoom maxi, c'est pour ça qu'on n'entend pas la conversation. Là, comme il vous l'a raconté, Val se sauve et les deux nazes le poursuivent. J'ai un peu arrêté de filmer à ce moment-là pour me rapprocher en me cachant derrière les buissons. Thénardier me tournait le dos et Gilles, comme on le voit, était très concentré sur son adversaire. Tony tente plusieurs fois de le repousser de la main, Gilles recule chaque fois que l'autre avance. On l'entend traiter Gilles de minus, de fayot, de connard, il cherche à donner des coups de poings que Gilles réussit à esquiver plusieurs fois de suite, Gilles recule toujours à temps. Maintenant regardez bien, le Tony s'avance encore une fois pour tenter de frapper mais Gilles ne recule pas, il se penche en arrière et balance un grand coup de pied sur la jambe gauche de Tony. Il a hurlé « aïe, putain, je vais te tuer ! » Il a foncé encore une fois et Gilles l'a repoussé d'un coup de semelle dans le ventre. L'autre est resté plié en deux plusieurs secondes. Au moment où il se relevait, Gilles a fait un tour complet et lui a placé un coup de talon dans les côtes puis il l'a achevé d'un direct du gauche en plein dans l’œil. Le Tony est tombé assis puis s'est allongé sur le gravier en gueulant. Comme il ne se relevait pas, Gilles est parti en courant vers le port. J'ai alors arrêté de filmer. Au bout d'au moins une minute, le Thénardier s'est relevé, il a regardé autour de lui et repéré vos vélos. Il les a pris l'un après l'autre et les a balancés à la baille, là où c'est très profond. Moi je ne pouvais pas faire grand-chose mais j'ai repéré leurs bécanes à eux trois et j'ai dégonflé leurs pneus avec ça ! conclut-il en sortant son clou limé d'une poche. J'ai d'abord pensé à utiliser mon opinel mais nous, on n'est pas des méchants, hein les filles ?
Tous les copains et les copines applaudirent, même Mathilde la non violente.
— Bravo Bouboule, super Gilles ! Belle technique, on dirait du Valentin, apprécia Florian.
— Mais c'est du Valentin, répliqua Gilles, c'est lui qui m'a tout appris et qui m'a entraîné. Il avait prévu les moindres réactions de Tony et je n'ai eu qu'à appliquer la recette.
— Je crois que tu es tranquille maintenant, pronostiqua Olivier, plus jamais ce naze ni ses copains ne t'attaqueront.
— Si vous le croisez dans le village, rigola Bouboule, demandez-lui pourquoi il boite et dans quoi il s'est cogné la tête !
— Allez, on mange maintenant, coupa Valentin un peu confus, chacun se sert, je vous mets des gobelets et des petites assiettes, régalez-vous.
A la fin du goûter, alors que les amis discutaient par groupes de deux ou trois ; Amandine s'approcha de Valentin et lui dit de son ton direct mais à voix basse, presque en confidence : « Valentin, quand tu as allongé le Romuald d'un grand coup de pied au cul, tu as demandé aux filles de son groupe si elles voulaient le relever et tu as dit les voleuses, la profiteuse et la coureuse. Tu peux m'expliquer pourquoi ces qualificatifs ? »
— Tu es une fine observatrice, Titamande. Les raisons de ces appellations viennent de notre voyage de classe à Londres. Je commence par quoi ?
— Pourquoi les voleuses ?
— Tu te rappelles le quartier libre que les profs nous ont accordé dans Oxford Street pour faire nos achats souvenirs ?
— Parfaitement. Je me suis acheté un pull en laine mohair, celui que je porte maintenant.
— Très joli. Et bien vois-tu, les jumelles ont également flashé sur des vêtements mais elles ne les ont pas achetés, elles les ont volés et se sont fait prendre par la police londonienne. Comme elles parlent l’anglais comme deux vaches espagnoles, plutôt que Radissel, elles m’ont appelé afin que je vienne au commissariat pour traduire et les défendre sans prévenir les profs, ce que j’ai fait. J’ai pu obtenir leur libération sans poursuite pénale en les aidant à payer leurs larcins. Résultat, elles ne m’ont même pas remboursé et elles sont toujours avec le Thénardier.
— Les salopes ! Et la profiteuse ?
— C’est Morgane. Elle était avec les jumelles mais ne s’est pas fait prendre. Sa casquette préférée vient du même vol. Elle l’a eue en échange de ses mauvais conseils aux jumelles.
— M’étonne pas ! La coureuse, c’est forcément Emily...
— Emily, oui... Elle a été pour moi une énorme déception, je croyais en être amoureux... C’est pour la voir que je suis allé seul en train à Brighton, avec l’épisode que tu as vu à la télé anglaise... Et maintenant elle se met avec mes ennemis... Je la trouvais intelligente et jolie...
— Jolie peut-être mais un peu vieux jeu. Excuse-moi, je t’ai interrompu.
— Maintenant elle s’affiche avec Romuald, le plus con des trois mecs.
— Elle ne va pas tarder à comprendre, si ce n’est déjà fait, elle va revenir.
— Je crois que je n’y tiens plus. Je suis mieux dans ma tête quand je suis avec vous tous comme maintenant, quand je réussis à la chasser de mon esprit...
— Nous, nous sommes tous avec toi Valentin. Pense à ça quand tu as le noir dans ta tête. Que vas-tu faire pendant ces vacances ?
— Retourner à Londres.
— Hein ?
— C’est pour ça qu’une équipe est venue me filmer devant collège il y a quelques jours. Suite à mon intervention dans le train Londres Brighton, je suis invité à la BBC à participer à une émission sur les agressions en public et la passivité des spectateurs. Le film tourné ici, c’est pour me présenter.
— On pourra voir l’émission ?
— En direct je ne crois pas mais je rapporterai un DVD pour vous montrer.
— Les autres sont au courant de tout ça ?
— Partiellement, mais tu pourras tout leur raconter si tu veux. Personnellement, je n’aime pas trop me mettre en vedette.