VALENTIN S'AFFIRME

16. QUESTIONS

« Alors la cueillette a été bonne ? » demanda Isabelle quand Jean-Claude et Valentin passèrent du garage à la cuisine avec leurs paniers.
— Voici la mienne, dit son mari en vidant sa récolte sur la toile cirée de la table de la cuisine.
— Pas mal, elles sont belles ! Et toi Valentin ?
— Un peu moins que Jean-Claude, il connaît trop bien les endroits précis où elles poussent, répondit-il en vidant à son tour son panier.
— Oui mais tu as de bien meilleurs yeux, tempéra le grand-père.
— Pour un débutant, c’est très bien, reprit sa grand-mère. Qu’est-ce que tu nous as ramené là ? fit-elle en saisissant l’assemblage électronique au milieu des champignons.
— Oh un truc que j’ai ramassé en descendant du col du Villar. Ça m’a semblé étrange qu’un tel objet se trouve là et je veux juste essayer de comprendre ce que c’est.
— Toujours aussi curieux, n’est-ce pas mon petit garçon. Bon, Jean-Claude, tu m’aides à préparer vos champignons, moitié pour ce midi, moitié à faire sécher pour la tarte aux morilles de Noël.
— Tes désirs sont des ordres, ma douce, ironisa son mari.
— Moi je monte prendre une douche, déclara Valentin qui n’avait rien oublié des conseils de son grand-père.

Après avoir fait une longue toilette, Valentin s’installa devant l’abattant de son secrétaire et, saisissant l’objet ramassé en montagne, le tourna et le retourna plusieurs fois dans ses mains. Perplexe, à travers le pantalon tout propre qu’il venait d’enfiler, il se gratta machinalement le creux du genou droit avant de saisir un petit cutter de librairie dans sa trousse de collégien. Il gratta un bout de papier ou de film plastique gris délavé sur lequel il devait y avoir des inscriptions, malheureusement tout était devenu illisible. Il glissa la pointe de l’outil dans ce qui lui parut être une fente d’assemblage, fit plusieurs fois levier au risque de casser la lame du cutter. A la quatrième tentative, une pièce carrée sortit de sa loge. Valentin l’examina très attentivement sur les deux faces. « Cela ressemble à une batterie. » murmura-t-il pour lui-même. Il examina ensuite ce qui venait d’apparaître dessous. Avec la pointe du cutter il déplaça une mini pièce qui lui sembla être un ergot de maintien et put extirper un petit objet ressemblant à une carte mémoire, aux contacts noircis par une long séjour sous la neige suivie d’une exposition aux intempéries. « Cela ne peut pas être la carte mémoire d'un appareil photo tout de même, c’est trop petit… Il faudrait que je sache ce qu’il y a dedans, si toutefois c’est récupérable. » Avec un bout de papier essuie-tout, il frotta longuement le petit objet, ramena un peu de brillant sur les contacts puis, descendant dans le bureau de son grand-père, il tenta de l’introduire dans la fente universelle de l’ordinateur familial, fente destinée à la lecture des diverses cartes mémoire. Il ne s’adapta pas. Sourcils froncés par l’effort de compréhension qu’il faisait, il remonta dans sa chambre, sortit de la poche de son pantalon réservé aux sorties nature le morceau de coque en forme de mini-cuvette avec un bord cassé. L’arrondi du côté opposé à la brisure le laissa songeur. « J’ai déjà vu quelque chose ressemblant à ça mais où ? Et quand ? » se dit-il en se grattant à nouveau le creux du genou droit. « Je vais demander à Jean-Claude s’il a une idée de ce que tout cela peut être. Je redescends. »

Le grand-père posa le couteau qui lui servait à ôter les débris résiduels des pieds crevassés des morilles et examina une à une les quatre pièces que Valentin lui tendit. Après quelques secondes d’examen, il lui dit :
— Tu as trouvé un vieux téléphone portable cassé. Ça c’est un morceau de coque, ça la batterie et ça une carte SIM.
— Une carte SIM aussi grosse !
— Mais oui ! Il y a quelques années, les smartphones n’existaient pas et il n’y avait pas de mini ni de micro SIM.
— J'ai cru que c'était la carte mémoire d'un appareil photo. Qu’est-ce que ça peut-être comme marque de téléphone ? demanda encore Valentin en frottant l’arrière de son genou.
— Difficile à dire, un vieux Nokia d’après la couleur du plastique. Il y a dix ans, c’était la marque qui dominait le marché.
— Comment expliquer que ce téléphone se soit retrouvé en morceaux au pied d’une falaise ?
— Un randonneur ou un chasseur l’aura perdu.
— Hum, fit Valentin sceptique avant d’ajouter, est-il encore possible de trouver des téléphones acceptant cette carte ?
— Ton smartphone ne te suffit plus ? se moqua son grand-père. En tout cas, c’est une bonne question. De toute façon, pas en magasin. Peut-être au Bazar sans frontières ou dans un vide grenier.
— Il y a des vide greniers dans la région en ce moment ?
— Oui, avec la belle saison, les marchés aux puces refleurissent, hi hi.
— Tu ne saurais pas dans quelle commune ?
— Regarde sur la table basse du salon, il y a le dernier bulletin cantonal, tu y trouveras peut-être des indications.
— D’accord. Je peux aussi faire une recherche sur internet avec ton PC ?
— Oui, mais je ne l’ai pas encore allumé aujourd’hui, prends le temps de le laisser chauffer.
— Je sais faire Jean-Claude, répondit Valentin en grattant à nouveau le creux de son genou droit.
— Tu n’arrêtes pas de te gratter le genou, qu’est-ce que tu as ?
— Une petite démangeaison.
— Attends un peu, montre-moi ça, relève ta jambe de pantalon.
— Avec ce pantalon serré, je ne peux pas la relever jusqu’au genou.
— Déboucle-le alors... Oui, c’est bien ce que je pensais. Regarde cette petite boule moire dans le pli arrière du genou, tu as hérité d’une tique.
— Aïe ! Qu’est qu’il faut faire ?
— L’endormir d’un grand coup de gourdin ! Non, je plaisante, attends un instant, je vais au garage chercher ce qu’il faut.
— Qu’est-ce qu’il va chercher Isabelle ?
— Sa tronçonneuse.
Valentin ne put s’empêcher de sourire malgré son inquiétude après les récentes explications de son grand-père. Celui-ci revint avec à la main un petit flacon de verre. Pendant ce temps Isabelle avait posé sur la table un paquet de cotons à démaquiller, une pince à épiler et un flacon de bétadine.
— Il ne faut pas arracher la bête car elle est solidement accrochée, on risquerait de laisser la tête piqueuse dans la peau. Je vais d’abord l’endormir avec ça. Ne respire pas trop car ça pourrait t’endormir toi aussi.
— Qu’est-ce que c’est ? Du chloroforme ?
— Non, de l’ether diéthylique, c’est un produit qui a été utilisé comme anesthésique autrefois, pour endormir les blessés avant opération. C’est tout de même un produit toxique, aussi toxique que... enfin maintenant on s’en sert surtout comme dissolvant. Maintiens le coton pendant trente secondes. OK, c’est bon, la bête est endormie, je l’entends ronfler. Avec la pince à épiler, sans trop serrer, je saisis le corps, je tourne un peu en tirant doucement et voilà la petite bête qui voulait en manger une grosse ! triompha-t-il en levant la pince. Un peu de désinfectant maintenant, continua Jean-Claude en frottant la peau au niveau de l’extraction avec un nouveau coton imprégné de bétadine. Il va falloir surveiller l’endroit pendant quelques jours. Si tu as encore des démangeaisons ou si l’endroit devient rouge, il faudra voir rapidement un médecin mais normalement, tout va bien se passer. Tu veux voir l’animal de près ?
— Oui, il faut savoir reconnaître ses ennemis, répondit Valentin en examinant la petite araignée. Berk ! Reprends ton amie, je vais faire ma recherche de vieux téléphones sur ton ordinateur.
Dans le bureau de son grand-père, en attendant que le PC familial charge ses logiciels, Valentin manipula à nouveau le morceau de coque en matière plastique bleu sombre. « Ça y est, je sais où j’ai déjà vu quelque chose de ressemblant, c’est quand Bouboule a été kidnappé par la secte et qu’il a cassé son téléphone sur le parking de la mairie. C’est le chien de Gilles qui avait flairé les morceaux. » Rassuré sur l’état de sa mémoire, il s’intéressa à l’écran de l’ordinateur qui présentait la dernière page consultée sur internet par son grand-père. Elle montrait un site de vente de vélos à assistance électrique.
— Jean-Claude, cria-t-il, je peux fermer ta dernière recherche ?
— Oh mais oui, bien sûr, fais-le vite !
Pendant dix minutes Valentin se renseigna sur les anciens modèles de téléphone, la pérennité des numéros, la possibilité de retrouver le nom d’une personne à partir d’un de ceux-ci, comment faire pour lire une ancienne carte SIM. Les conclusions le déçurent, les possibilités d’extraire les informations d’une carte réclamaient un matériel sophistiqué et des logiciels professionnels inaccessibles au simple particulier. Il ne trouva rien de probant sur la durée de vie d’un numéro de portable non utilisé ni sur la manière de retrouver le propriétaire d’un numéro.
— Jean-Claude, j’ai fini ! Je laisse ton PC tourner ?
— Oui mon garçon, j’ai encore des recherches à faire, répondit son grand-père en pénétrant dans le bureau.
— Tu veux acheter un vélo électrique ?
— Chut ! C’est une surprise. Je veux en offrir un à ta grand-mère. Elle adore faire du vélo mais elle a un peu mal à une hanche.
— Tu veux lui offrir bientôt ?
— Absolument, dès que possible.
— Et son vélo actuel, tu comptes en faire quelque chose, le revendre ?
— C’est ta grand-mère qui décidera mais à mon avis, dès qu’elle aura testé l’assistance électrique, il ne lui servira plus.
— Dans ce cas Jean-Claude, moi je lui rachète.
— Ton VTT ne te convient plus ?
— Mais si, il est super mon VTT, mais dans mon groupe, j’ai une copine, Margot, qui n’a pas de bicyclette et je n’ose plus proposer de sorties sachant qu’elle ne peut pas y participer. C’est pour elle que je veux lui racheter, si grand-mère veut bien.
— Non seulement elle voudra bien mais jamais elle n’acceptera le moindre centime de ta part.
— C’est pour quand, ton achat ?
— Avant la fin de la semaine.
— Écoute Jean-Claude, j’ai plus de cent euros d’économies, je participe au cadeau pour Isabelle. Si si, j’y tiens absolument.