VALENTIN S'AFFIRME

2. FIÈVRE

Valentin erra longtemps dans le village. Lui, habituellement si clairvoyant, ne trouvait pas de raison au comportement étrange d'Emily. La dernière fois qu'ils s'étaient vus, c'était dans la villa des parents de Charly. Ils avaient dansé, elle semblait aussi amoureuse que lui. Et voilà que quatre jours après, c'est à peine si elle le regardait. Qu'avait-il fait pour lui déplaire ? Ou plutôt qu'imaginait-elle car il n'avait rien fait qui puisse expliquer un tel comportement.
Valentin qui transpirait sous l'effet d'un grand désordre intérieur se mit soudain à grelotter. Il sortit son iPhone et regarda l'écran : dix heures. Au même moment son appareil se mit à vibrer. « Gilles appelle » lui indiqua l'écran. Incapable de donner des explications, il refusa l'appel. L'un après l'autre tous ses amis, toutes ses amies tentèrent de la joindre. Il ne prit aucune communication, arrêta complètement son téléphone et décida de rentrer à la maison.

— Valentin, tu es déjà là ? s'étonna sa grand-mère. Tes cours sont finis ? Il manque des professeurs ?
— Non Za. Je ne me sens pas bien, j'ai demandé à rentrer, je crois que je suis malade.
— Qu'est-ce que tu ressens mon petit garçon ?
— J'ai chaud et j'ai froid. Je suis mouillé de sueur et je claque des dents. Je dois avoir de la fièvre.
— Tu as sûrement pris froid, monte dans ta chambre, je vais te préparer un bol de thym avec du citron et, même si tu n'aimes pas, tu vas me faire le plaisir de prendre deux gouttes d'huile essentielle d'arbre à thé.
— Tout ce que tu voudras Za. Yanco n'est pas là ?
— Ton grand-père est allé acheter le pain.
— Si mes copains viennent aux nouvelles, ne les fais pas monter. Dis-leur simplement que j'ai la grippe.
— Sois tranquille, va vite te mettre au lit et essaie de dormir. Je vais avertir le secrétariat de ton collège.
— Merci Za, tu es gentille, je monte me coucher.

Seul dans sa chambre, au lit avec la couette remontée jusqu'au menton, Valentin repassa mentalement tout le film de son aventure avec Emily, depuis leur rencontre au bord du lac un beau soir d'automne jusqu'à cette triste matinée de janvier en passant par son voyage en Angleterre, sa fugue à Brighton, leur correspondance, la résolution du cambriolage de la villa de ses parents, leurs retrouvailles au ski, l'après-midi dansante chez Charly. Rien ! Il ne trouvait rien qui put expliquer l'attitude distante puis moqueuse d'Emily. Un garçon fier comme lui ne pouvait supporter la moquerie d'une fille, à plus forte raison quand elle était sans cause.
Si lui n'avait rien fait pour se discréditer vis à vis de son amie ou peut-être ex-amie maintenant, c'est probablement que quelqu'un d'autre avait agi pour cela, mais qui ? Et pourquoi ? Emily lui avait toujours paru être une fille intelligente, que faisait-elle avec ce Romuald Michaud ? Pourquoi s'affichait-elle avec lui ? Certes Romuald possède un physique plutôt agréable mais il est tellement nul ! Rien dans la tête, pas de caractère, une pâle doublure de Tony Thénard, son pire ennemi.
« Je ne veux pas recommencer une histoire comme avec Océane ! Océane... c'est peut-être elle qui l'a prévenue contre moi. Avant de rentrer en cours ce matin, elles discutaient toutes les deux. Océane, amoureuse dépitée de leur aventure avortée de l'hiver dernier ! Elle a dû lui dire que je n'étais pas un type fiable, que je l'avais laissée tomber sous le premier prétexte venu, qu'avec moi elle ne pourrait jamais avoir de copains, que je suis un jaloux maladif... Quel désastre !
Pourquoi s'affiche-t-elle avec ce Romuald ? C'est peut-être justement pour me rendre jaloux et là, c'est gagné ! »
— Valentin, Valentin tu dors ?
La voix douce de son grand-père interrompit ses réflexions moroses.
— Non Yanco, je me reposais les yeux fermés.
— Je t'apporte l'infusion de thym que vient de préparer ta grand-mère, il n'y a rien de tel pour couper une grippe. Bois mon garçon. Tiens, Gilles vient de m'appeler pour savoir si tu étais rentré et savoir ce que tu as. C'est vraiment un bon copain. Je lui ai expliqué que tu avais pris froid. Il m'a demandé s'il pouvait passer en fin de journée pour voir comment tu vas et ensuite être ton porte-parole auprès de tes autres amis qui s’inquiètent également. Je lui ai dit oui, ai-je eu raison ?
— Oui Yanco. Gilles un fidèle ami, je l'aime beaucoup.
— Tu veux descendre manger avec nous ?
— Non Yanco, je n'ai vraiment pas faim. Ce soir peut-être.
— D'accord, essaie de dormir. La maladie passe aussi bien en dormant qu'en veillant.

Son grand-père parti, Valentin sombra dans un sommeil plein de chutes sans fin, de tourbillons l’entraînant dans d'insondables abîmes, de visages ennemis ricanant, d'êtres aimés qui se dérobaient toujours, de fuites qui n'avançaient pas. Quand, vers cinq heures, ses grands-parents revinrent le voir, son lit était trempé de sueur.
— Valentin, tu ne vas pas rester ainsi, lui dit gentiment sa grand-mère en lui touchant le front, même si ça te semble difficile, va prendre une douche, tu te sentiras bien mieux ensuite. Pendant ce temps nous allons changer ta literie.
— Ton copain arrive dans un quart d'heure, tu veux le recevoir ici ou en bas ?
— Ici, j'aime mieux. Je vais essayer de me doucher.

Valentin venait de se rhabiller quand le timbre de l'entrée émit ses deux tons musicaux. Il entendit sa grand-mère dire : « tu peux le rejoindre dans sa chambre Gilles, Valentin va un peu mieux, il t’attend. » et Gilles répondre « merci madame Valmont, je monte. »
— Salut Val ! Je t'avais pourtant souhaité la bonne année ce matin ! Alors quoi ? Qu’est-ce que tu nous fais ?
Valentin eut un pauvre sourire.
— J'ai dû attraper un virus, les vœux du monde entier ne peuvent rien contre les virus.
— Écoute Val, ne te donne pas la peine de me raconter des cracks. Tous les copains et moi nous nous sommes réunis à la récré de dix heures puis pendant le temps de midi et nous savons à quoi il ressemble ton virus. Florian qui sort plus ou moins avec une des jumelles, Marine je crois, car avec des jumelles on n'est jamais sûr, Florian donc a essayé de la faire parler. Il est beaucoup plus fin qu'on ne croit notre Florian, même un sportif peut réfléchir ! Donc Flo a fait parler Marine. Il semblerait qu’elle, sa sœur et Romuald se soient trouvés hier près de la villa des Gilmore au moment où ils sont revenus d'Angleterre. Emily les a reconnus et ils ont beaucoup discuté de la classe et de ta personne en particulier. Tu les connais, ils n'ont pas dit spécialement du bien de toi. Comme quoi tu es un fayot, copain des flics, que tu te crois plus malin que tout le monde, que tu aurais eu beaucoup de petites amies que tu aurais laissé tomber et Emily aurait gobé tout ça. Voilà pourquoi ce matin elle s'est affichée avec ce naze de Romuald et qu'elle t'a tiré la gueule. Compliqué le virus, hein ?
— Merci Gilles pour ta sincérité. Depuis ce matin je réfléchis et je suis presque arrivé à la même conclusion. Ce salopard de Romuald et ces vipères de sœur jumelles se sont servi de la médisance et de la calomnie pour...
— De quoi ?
— De mensonges, pour détacher Emily de moi et ils ont réussi.
— Qu'est-ce que tu comptes faire ? Florian m'a dit le service que tu as rendu aux parents d'Emily et que ceux-ci t'aiment bien, tu pourrais les convaincre de parler à leur fille.
— Non, ce serait le meilleur moyen de la braquer encore plus contre moi. Et puis je commence à me demander si je n'ai pas été un peu aveuglé par cette fille. Je me dis que si quelques mensonges ont pu a retourner de la sorte, elle n'est pas aussi intéressante que je le croyais. Qu’en penses-tu ?
— Tu sais Val, toi seul peut résoudre le problème. Il faut que tu saches que, quelle que soit ta décision, tous les copains et copines sont avec toi, ils m'ont chargé de te le dire.
— Vous êtes tous trop sympas. Je crois que, puisque Emily semble rejoindre le groupe des Thénardier, je vais me comporter avec elle comme avec les autres de leur bande, c'est à dire les ignorer et réagir fermement s'ils me cherchent. Tout comme j'ai shooté le Tony quand il a voulu me faire un croche-pied ce matin quand j'ai quitté la classe.
— Oui, tu l’as bien amoché ! Il boite bas l’animal ! Donc nous ne pouvons rien faire pour t'aider ?
— Si, rester mes amis. Contrairement à ce qu’Océane a pu dire, pour moi la fidélité est une des meilleures preuves d'amour et d'amitié. Tu veux que je demande à mes grands-parents de t'inviter à manger avec nous ce soir ?
— C'est sympa mais non, mes parents ne sont pas prévenus et il faut encore que je me mette à réviser les formules de maths. Après ton départ, je suis allé te chercher dans la cour du collège, sans te trouver bien sûr. Il paraît que pendant ce temps personne n'a pu donner la formule du volume de la sphère.
— Quatre tiers de pi par rayon au cube.
— Val tu es incroyable !