Quand Valentin se présenta à la gendarmerie le lendemain matin vers dix heures, le brigadier Dufournet mordait avec appétit dans un énorme sandwich jambon beurre dont les miettes tombaient sur le clavier de l’ordinateur qu’il pianotait d’un doigt.
— Bonjour brigadier, dit poliment Valentin en soulevant sa casquette américaine.
— ...jour Balentin, répondit le gradé la bouche pleine en accompagnant ses paroles d’un mouvement du menton, che que tu beux est là chur le bureau.
Valentin remarqua et saisit une enveloppe de papier kraft marquée à son nom, souleva à nouveau sa casquette et ressortit et disant :
— Merci brigadier, bon appétit.
Il attendit d’être rentré chez lui, dans sa chambre pour ouvrir l’enveloppe non cachetée de laquelle il sortit plusieurs feuillets. Une page griffonnée à la main l’intéressa particulièrement. Il put y lire :
Opérateur, fournisseur d’accès : réseau xxyy
Numéro enquêté : 06632525**
Dernier détenteur : Delaune Damien
Date du dernier appel émis 30/08/2018
Suspension des services 30/11/2018
Motif de la suspension : Compte bancaire bloqué, prélèvement impossible
Mention : numéro libre, réaffectation possible à compter du 30/11/2019
Les deux autres feuillets comportaient des séries de dates jusqu’au 30 septembre 2018, des heures précises à la seconde, des numéros de téléphone, des durées et des types d’appels, vocaux ou SMS, ainsi que des prix.
« Bon, maintenant j’ai le nom du propriétaire mais, sans son adresse, je ne suis pas beaucoup plus avancé. J’attends Gilles pour la suite sinon il va m’en vouloir. »
— Ah, c’est toi, Gilles, dit Valentin en ouvrant la porte après le coup de sonnette.
— Ben oui, tu attendais quelqu’un d’autre ? Tu es déçu ?
— Je ne suis jamais déçu de te voir. As-tu eu de nouvelles idées pour notre petite enquête ?
— En fait, je me suis demandé pourquoi nous faisions ça.
— Pour nous occuper. Tu préférerais faire autre chose, jouer aux cartes, faire une balade en vélo, aller tabasser le Thénardier ?
— Non, continuons notre enquête, mais je n’ai pas trop d’idées.
— Grâce à Lemoine, j’ai pu obtenir le nom de la personne qui a eu ce numéro, il s’appelle Damien Delaune.
— Ben voilà, c’est ce que tu cherchais, non ?
— Je voulais le nom mais aussi l’adresse et savoir les raisons de la perte de son téléphone. Tiens, regarde la fiche que m’a fait rédiger Lemoine par un de ses hommes.
Gilles se plongea avec concentration dans le document. Au bout de d’une minute de silence, il donna son verdict.
— Effectivement on n’a que le nom mais avec un annuaire électronique comme le 118.218 on devrait pouvoir trouver l’adresse.
— Tiens, voici ma tablette, lance une recherche.
— OK... Rien en ville... Rien sur le département... Rien dans la région... Rien en France. Des Delaune, il y en a des tas mais aucun Damien Delaune. Je ne sais pas faire des recherches à l’étranger.
— Inutile, son fournisseur d’accès est français. Pour souscrire un abonnement téléphonique, il faut un justificatif de résidence en France.
— C’est quoi les autres papiers ?
— Des relevés de consommation. Regarde Gilles, sur le papier de Lemoine, le dernier appel enregistré date du 30 août 2018, il a dû se passer quelque chose ce jour-là.
— Je crois que nous sommes au bout de l’impasse Val, bloqués, sans autre piste possible. Nous avons acheté ce vieux Nokia pour rien.
— Défaitiste ! Écoute, quand j’ai trouvé cette carcasse de téléphone dans un massif d’arcosses, mon grand-père et moi descendions du col du Villar. Nous avions marché cinq à dix minutes sur un cheminement de chasseurs le long de la falaise, je saurai retrouver l’endroit exact. Je n’ai pas eu le temps de bien examiner l’environnement mais c’est peut-être là-haut que se trouve la clé du mystère. Il faudrait y retourner.
— C’est loin ?
— Douze bornes après le col, mais ensuite la route est à peu près à plat, sauf sur la fin, tu te rappelles bien l’excursion en autocar avec le collège.
— Et ensuite il faut marcher ?
— En montagne, c’est encore le meilleur moyen de se déplacer. J’ai regardé la météo : demain c’est le grand beau assuré, si nous allions pique-niquer au col du Villar ?
— Tu veux ma mort Valentin !
— Disons départ d’ici à dix heures du matin, avec à boire, à manger, des chaussures de marche dans le sac à dos.