VALENTIN S'AFFIRME

21. RECHERCHE

À dix heures précises, Gilles arriva devant la maison de Valentin avec la tête de quelqu’un qui s’apprête à souffrir. A Valentin qui l’accueillait avec un grand sourire, il commença par dire :
— Tu es sûr que c’est utile cette rando ?
— Absolument pas, mais si nous ne faisions que des choses utiles... Qu’est-ce qui te contrarie ?
— Ben la montée au col, quatre cents mètres de dénivelée, je n’ai pas ton endurance.
— Allons Gilles, nous en avons déjà parlé, il y a des méthodes pour éviter de trop peiner. D’abord, physiquement, bien t’oxygéner avant l’effort, ensuite il faut t’échauffer mais ne pas te mettre en surchauffe dès le début. Nous allons commencer tout doux. Maintenant, dans ta tête, fixe-toi des buts, je vais jusqu’au hameau puis je vais jusqu’au pont, puis jusqu’au bois et ainsi de suite. Il y a aussi le truc de Florian : chanter dans ta tête ou te faire du cinéma, te raconter des histoires, penser à quelqu’un qui te veux du bien comme... qui tu sais. Ainsi tu ne penses plus à la difficulté et ton cerveau oublie que tu as mal.
— C’est du baratin tout ça.
— Absolument pas. Tiens un exemple, comme beaucoup, je déteste les piqûres alors quand je dois recevoir un vaccin je demande au médecin de me donner une bonne claque avant l’injection, ensuite je ne sens rien. On m’a expliqué que l’attention du cerveau est détournée de la douleur redoutée. Moi quand je roule et que c’est un peu plus physique, je détourne l’attention de mon cerveau, je chante en synchronisant avec mes coups de pédale. La chanson y perd mais moi j’y gagne. Nous ferons aussi une pause ou deux quand il y aura des replats.
— Val, les mecs comme toi, ça n’existe pas. Allez, j’essaie, je commence avec la marche funèbre ! Pam pam papam...
— Et tu finiras avec l’hymne à la joie, tu verras.

Avant d’arriver au col, à neuf cents mètres d’altitude, Valentin, sans le montrer, ralentit insensiblement son rythme de pédalage et laissa Gilles basculer en premier.
— Hé, stop, faisons une pause, j’ai soif, insista-t-il afin de valoriser son ami qui ne s’arrêtait pas.
— Comme tu veux. On est à la moitié ?
— Presque, mais maintenant c’est plus facile, haleta-t-il, quelques faux-plats, des virages à grand rayon et de belles lignes droites. Nous allons passer à l’endroit où nous avons failli avoir l’accident de car avec la classe.
— Je me rappelle. Sur le moment je n’ai rien vu, pas réalisé du tout que le chauffeur avait un malaise, c’est longtemps après en y repensant que j’ai eu une peur heu...
— Rétrospective. Repartons si tu n’es pas fatigué.
— Moi ? En pleine forme.

— Nous arrivons... au hameau... du Montoz, souffla Valentin éprouvé par les deux derniers kilomètres en rude montée. Dis-donc... tu as fait... des progrès...
— Hé oui, je chante maintenant !
— Tu dois même chanter mieux que moi...
— Attachons nos vélos ensemble contre cette clôture, décida Gilles.
— Attends, je demande au monsieur là dans son bout de jardin. « Bonjour monsieur, dit Valentin en levant sa casquette, pouvons-nous laissez nos bicyclettes contre votre barrière, s’il vous plaît ? »
L’homme leva la tête, fit glisser son béret vers l’avant pour se gratter l’arrière du crâne.
— Vous êtes bien polis pour des jeunes, oui, vous pouvez. Vous allez en montagne ?
— Nous allons pique-niquer au col du Villar et peut-être grimper un peu plus haut sur le roc, s’il n’y a plus de neige.
— La neige a bien fondu maintenant mais faites attention aux glacières.
— Comment, il y a des frigos là-haut ? s’étonna Gilles.
L’homme se mit à rire, de plus en plus franchement, jusqu’à ne plus pouvoir s’arrêter. Valentin, puis Gilles pour ne pas paraître trop bête, se mirent eux aussi à rire en accompagnement.
— Tu n’es pas de la montagne, toi, hein ? affirma l’homme.
— Je suis savoyard, de Saint Thomas.
— C’est bien ce que je disais. Écoute, dans le temps, jusqu’à il y a encore quelques années, enfin quand j’étais jeune et avant les quatre-quatre qui polluent et qui puent, les alpagistes montaient en estive à pied avec leurs vaches et restaient en montagne pour la saison. Ils fabriquaient le beurre et la tome sur place et ne redescendaient pas leur production tous les deux jours comme maintenant. Pour le fromage, pas de problème, mais le beurre, il fallait le conserver, alors ils le mettaient dans ce qu’on appelle des glacières. Une glacière est une faille profonde dans la roche qui se remplit de neige l’hiver et dedans la neige tient jusqu’en septembre au moins. Maintenant, elles ne servent plus mais sont toujours là, plus ou moins cachées par des buissons. Si l’un de vous tombe dedans, sans corde il aura du mal à en ressortir.
— C’est très intéressant ce que vous nous dites monsieur. C’est gentil de nous avoir prévenu, remercia Valentin. J’ai un bout de corde dans mon sac, mais promis, nous serons très prudents. D’ailleurs nous allons nous chausser pour la marche en montagne.

— Sympa ce monsieur, observa Gilles quand ils furent sur le large chemin montant vers le col.
— Les gens sont toujours sympas quand on est poli avec eux.
— Alors, il est où ton coin à morilles ?
— Non, j’ai promis à mon grand-père de ne pas divulguer l’endroit. Je vais plutôt t’indiquer mon coin à téléphone mais il faut marcher jusqu’aux chalets du col.
— C’est habité ?
— Pas avant le 15 mai, il faut attendre que l’herbe pousse là-haut pour monter les vaches. Je te propose de quitter ce chemin, de traverser la prairie vers ces talus de pierres et de rejoindre le bas de la falaise en passant à travers les taillis. Il suffira ensuite de la suivre jusqu’au col par un cheminement de chasseurs.
— C’est toi le guide. Regarde là-bas, on dirait une grotte, reprit-il après dix minutes de marche silencieuse en désignant une cavité s’enfonçant à l’horizontale dans la roche, on va l’explorer ?
— Je n’aime pas trop les grottes mais je peux te dire que celle-ci a dix mètres de profondeur ; dedans il y a des traces de feu, des vieilles boites de conserves, du vieux bois et des herbes sèches. Pas très intéressante, c’est un simple refuge pour chasseurs en cas de mauvais temps.
— Comment tu peux savoir ça, tu es déjà venu là ?
— Oui, c’est ici que je me suis réfugié avec Pauline lors de l’orage le premier soir de notre stage découverte l’an dernier.
— Oui, je me souviens, tu avais épaté tout le monde en réussissant à faire du feu en frottant deux bouts de bois, comme les sauvages.
— Arrête de penser que ceux qui ne sont pas comme nous sont des sauvages ou des primitifs. Ils vivent à leur convenance avec des techniques et des traditions différentes mais ne sont pas plus bêtes que nous. Quand j’étais en Australie, j’avais un bon copain aborigène et il savait un maximum de trucs pratiques, c’est lui qui m’a appris la technique du feu.
Nous approchons du lieu où j’ai trouvé la carcasse du téléphone. C’est environ deux cents mètres après ce gros rocher vaguement carré, dans un buisson d’arcosses.
— On va pouvoir chercher le reste de la coque.
— Pourquoi faire ?
— Ben heu... pour trouver où il a pu se casser.
— Nous y sommes, cherche si tu veux, mais tu ne trouveras rien, répondit Valentin en levant les yeux vers la muraille de pierre. Ce n’est pas en tombant dans ce buisson qu’il a pu exploser, au contraire, les branches auraient amorti la chute et il ne se serait pas cassé. Regarde plutôt en l’air. Je pense qu’il vient de là-haut et qu’il a rebondi plusieurs fois en cognant la paroi avec suffisamment de force et de vitesse pour se désintégrer. Il faudrait explorer tout le secteur pour tenter de reconstituer le puzzle et sans être sûr de réussir. De toute façon, cela ne nous apprendrait rien de plus que ce que nous savons. Là je prends des repères sur la crête. Je te propose de poursuivre jusqu’au col, de monter jusqu’à ce sommet secondaire et de cheminer vers cette rupture de pente à l’aplomb de l’endroit où nous sommes.
— Ça a l’air vertigineux !
— Si nous trouvons que c’est trop dangereux une fois là-haut, nous n’insisterons pas et nous ferons demi-tour, OK ?
— Comme ça, je suis d’accord.
Les deux amis suivirent la base de la falaise en direction du col du Villar jusqu’à rattraper un étroit chemin s’élevant de vire en vire dans la paroi. S’aidant des mains pour conforter leur équilibre, ils s’élevèrent rapidement, atteignirent une cheminée oblique débouchant sur la crête sommitale.
Gilles, passé devant, montait toujours avec une agilité précautionneuse, assurant ses prises de mains avant de déplacer ses pieds lorsque la raideur de la montée l’exigeait. Il allait atteindre la crête quand un énorme bruit d’aile le cloua à la paroi, tête rentrée dans les épaules. Une ombre passa rapidement, une bouffée d’air le décoiffa un peu plus, il poussa un cri d’effroi.
— Aaaah ! qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que c’était Val ?
— Un oiseau énorme ! Je n’en ai jamais vu d’aussi gros d'aussi près. Impressionnant vraiment, au moins deux mètres avec ses ailes. Il a décollé juste au-dessus de ta tête puis il a tourné et il est passé de l’autre côté de la montagne. Il était marron avec du blanc sous les ailes.
— Un vautour ? Un gypaète ? Un aigle ?
— Nous demanderons à Lucie. Tu connais Lucie ? Ah oui, c’est vrai, c’est ta bonne copine ! blagua Valentin pour détendre son ami. Elle est la meilleure pour tout ce qui concerne la nature et les animaux. Vas-y, continue.
Gilles encore un peu tremblant de son émotion finit au ralenti son ascension dans la cheminée couloir.
— Desserre ton frein, le taquina encore Valentin.
— Je fais attention. Si l’oiseau a son nid par ici, il va venir nous attaquer.
Quelques marches naturelles leur permirent de prendre pied sur une petite plate-forme de la crête sommitale. Dans le lointain la silhouette du Mont Blanc se détachait sur fond de bleu.
— Superbe... murmura Valentin pour lui-même.
Vers l’amont, à deux ou trois cents mètres, légèrement plus haut qu’eux, se trouvait une petite croix en fer passablement rouillée atteignable par un cheminement assez vertigineux. De l’autre côté de la montagne, des dalles de pierre grise quasi verticales contrastaient avec une riante vallée verte dans laquelle se groupaient quelques maisons autour d’une église à clocher savoyard.
— C’est le village d’Entremont, diagnostiqua Gilles, c’est beau hein ?
Vers l’aval, la crête plus large présentait des mini-plateaux légèrement inclinés à l’opposé de la falaise et reliés par un cheminement plus étroit. Çà et là poussaient quelques coussins de plantes couvre-sol et de maigres buissons arbustifs.
Valentin prit la tête, suivit la crête vers l’aval. Quelques descentes, de brèves remontées, des larges et des étroits, ici et là un pin rabougri, torturé par le vent et la neige des rudes hivers d’altitude. Un plateau un peu plus vaste précédait la faille qu’il avait repérée depuis le bas de la falaise. Il s’approcha de l’abrupt avec précaution, s’allongea sur la roche encore fraîche du matin montagnard.
— Passe-moi une pierre, Gilles.
— Grosse comment ?
— Comme le vieux téléphone que nous avons acheté.
Valentin prit le caillou que lui tendait son ami, le posa à la rupture de pente et lui donna une petite impulsion. La pierre glissa sur une vingtaine de centimètres puis s’immobilisa sur la roche rugueuse. Tendant le bras, il donna une impulsion plus forte. Le caillou bascula et tomba sur une vire deux mètres plus bas où il s’immobilisa.
Se relevant, Valentin trouva une autre pierre mince et plate qu’il lança avec un peu plus de force. Celle-ci tomba sur la dalle en pente, glissa, rebondit sur une bosse de rocher avant d’exploser sur un autre quelques dizaines de mètres plus bas. Des débris s’éparpillèrent, le plus gros morceau tomba vers le massif d’arcosses au pied de la falaise.
— Qu’est-ce que tu en déduis ? lui demanda Gilles.
— Que ce téléphone n’a pas été simplement perdu mais peut-être jeté. S’il était tombé d’une poche ou d’un sac, il aurait glissé jusqu’à ce replat où il se serait arrêté.
— Et donc ?
— Donc... Tu jetterais ton téléphone toi ?
— Ben non !
— Alors je ne sais pas.
— Donc fin de l’enquête. Tu veux pique-niquer ici ou au col ?
— Au col, sur l’herbe, nous serons plus « confortables. »
— D’ac. Au fait, ils sont où ses frigos à pépère ? se moqua Gilles.
— Logiquement je ne crois pas que nous en trouvions sur la crête, Les alpagistes n’allaient pas se payer une escalade chaque fois qu’ils voulaient mettre leur beurre en réserve. A mon avis, il voulait parler de la pente qui va du col au pied de la falaise.
— Et là, c’est quoi cette fente dans la roche ? C’en n’est pas une de glacière ?
— C’est une faille dans le rocher, une petite grotte verticale tout simplement.
Gilles se mit à plat ventre et se pencha au maximum de son point d’équilibre pour observer.
— Il y a encore de la neige au fond. J’ai envie d’aller voir, tu sors ta corde ?
— Tu as vraiment envie de visiter une grotte toi aujourd’hui. Tu sais t’attacher au moins ?
— Oui, il faut faire un tour de corde à la taille et faire un nœud qui ne se détache pas, un nœud de chaise.
— Tu m’apprends quelque chose. Montre-moi.
— Là, tu prends le grand brin de corde, tu fais une toute petite boucle, tu dis que c’est un trou et que le grand brin c’est un arbre. Avec le petit brin que tu appelles le serpent, tu manœuvres en disant ça : « le serpent sort du trou, fait le tour de l’arbre et rentre dans le trou ». Il n’y a plus qu’à serrer en tirant sur les deux brins, comme ça... Flûte, ça se défait... Ah oui, que je suis bête, j’ai fait la petite boucle à l’envers, je recommence... « le serpent sort... fait le tour... et rentre ». Super, là c’est du solide. Tu m’assures ? Je vais descendre.
— Comment je fais pour t’assurer ?
— Par exemple tu passes la corde autour d’un rocher, tiens, celui-là, et tu la tiens en lâchant juste ce qu’il faut au fur et à mesure que je descends. Si je tombe, tu bloques aussitôt, pigé ? Et si je crie, tu tires pour m’aider à remonter, hein ?
— Compris, vas-y.
Après quelques secondes de silence, Valentin entendit la voix assourdie de son ami commenter son exploration.
« Ça y est, je suis sur la neige... Elle a l’air de tenir... Oui je suis debout dessus... Tiens un bout de chiffon rouge... Une ficelle maintenant... Je tire dessus... Ça résiste un max ! Une bonne secousse... Ça vient... Aaaaaaah ! Remonte-moi, remonte-moi !
Valentin tira de toutes ses forces, la tête blême de Gilles apparût. Il agrippa le bord de la faille et sortit comme un diable de son trou.
— Qu’est-ce qu’il y a, qu’est-ce qui t’arrive ? questionna Valentin très inquiet de ce comportement inhabituel chez son ami.
— Une main ! une main ! hoqueta Gilles.
— Une main, tu as vu un fantôme ? blagua Valentin.
— Non Val, non, c’est terrible, c’est horrible ! Une main, une main d’homme en squelette !
— Du calme Gilles, remets-toi. Explique-moi tout calmement.
— J’ai d’abord vu un chiffon rouge puis une ficelle. En tirant dessus, ça a cassé la croûte de neige dure et dessous, il y avait une main, une main avec de l’os et des bouts de peau tout gris.
— Nom d’un chien, c’est sérieux ça ! Tu es vraiment sûr de ce que tu as vu ?
Gilles hocha plusieurs fois la tête avec conviction.
— Il y a un mort là-dedans !
— OK, nous redescendons au col.
— Attends je me détache.
— Non Gilles, tu es trop secoué, tu risques de faire un faux pas. Tu sais que la descente est toujours plus périlleuse que la montée. On s’encorde, je m’attache à l’autre bout, tu passes devant et on fait une descente accordéon.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Quand tu descends, je reste sur place et je t’assure. Tu t’arrêtes sur un endroit stable et je descends à mon tour. Quand je t’ai rejoint, nous recommençons. Nous nous désencorderons quand la pente sera raisonnable. Allez, go et pense à autre chose, Lucie par exemple.
— Lucie n’est pas une chose !
— Lucie est une fille mignonne, intelligente, agréable, bonne en SVT, juste un peu trop timide.
— C’est vrai ça. On lui racontera l’envol de l’oiseau et sa description, elle saura ce que c’est.
Valentin continua à parler de choses et d’autres à son ami tout le temps que dura la descente escarpée. Lorsqu’ils se furent libérés de la corde, sur le chemin descendant aux chalets d’alpage, il fit remarquer :
— Tu vois ce petit endroit entouré de barbelés ? C’est pourquoi à ton avis ?
— Pour éviter que les vaches se tordent une patte dans un trou de rochers.
— Oui aussi, mais je pense que nous sommes devant une glacière, un frigo si tu préfères. Tu veux redescendre pour explorer ?
— Merci je suis guéri des grottes et puis il y a plein d’orties qui poussent tout autour du trou.
— Allons manger nos sandwiches près de la grande croix, sur la butte à gauche du col, nous verrons le lac.

Assis sur leurs sacs à dos vidés, Valentin finissait son repas en mangeant une pomme, Gilles pelait une orange, ils n’avaient pas encore abordé le sujet qui leur emplissait la tête. Valentin le premier demanda :
— Nous faisons le point ?
Gilles acquiesça d’un hochement de tête et murmura comme pour lui-même :
— Je crois que nous sous sommes lancés dans quelque chose qui nous dépasse.
— En temps ordinaire, je serais allé vérifier ce que tu as vu dans la faille là-haut, mais étant donné l’état dans lequel tu étais quand tu es remonté, je ne peux que te croire. Tu as vu un bout de chiffon rouge, c’était quel genre de tissu ? Comme ton jean ? Comme ta casquette ? Comme ton sweat ? Comme ton coupe-vent ?
— Plutôt comme mon coupe-vent, peut-être plus fin encore.
— Et la ficelle ? A quoi ressemblait-elle ?
— Elle était blanc sale, en nylon ou quelque chose comme ça.
— Épaisse ?
— Non, fine et très solide. J’ai tiré dessus comme un malade mais elle n’a pas cassé et elle a ramené... Oh, je vais en faire des cauchemars.
— J’ai l’impression que tu me décris la composition d’un parapente.
— Nous avons évoqué l’hypothèse quand nous étions à l’endroit où tu as trouvé les débris de téléphone, ça se confirme.
— Il y a d’un côté un parapente et sûrement un parapentiste et d’un autre un téléphone cassé, mais le lien entre eux n’est pas évident. Quelle distance y avait-il à peu près entre la faille dans laquelle tu es descendu et le bord de la falaise, à ton avis ?
— Une trentaine de mètres.
— C’est aussi mon estimation. Donc voici mon hypothèse : le parapentiste laisse tomber son téléphone. Il cherche à se poser pour le récupérer mais rate son atterrissage et tombe dans la crevasse ; blessé, il ne peut pas remonter.
— Pourquoi atterrir en haut alors que le téléphone est en bas ? fit remarquer logiquement Gilles.
— Il n’était peut-être pas en bas à ce moment-là mais juste au bord et serait tombé ensuite.
— Pas très convaincant.
— Oui je sais, mais pour l’instant je ne trouve pas mieux, et toi ?
Gilles haussa les épaules puis secoua la tête. Il finit sa canette de soda en prophétisant :
— On ne peut rien faire et on ne peut pas non plus laisser là-haut ce... Je sens que nous allons finir la journée à la gendarmerie.

L’esprit toujours préoccupé par leur découverte, les deux amis n’échangèrent que peu de paroles lors de la descente à pied.
— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demanda Gilles quand ils furent arrivés au hameau du Montoz, on téléphone à la gendarmerie ou on y va ?
— Je pense qu’il vaut mieux passer voir Lemoine et lui expliquer de vive voix, répondit Valentin en sortant son téléphone.
— Ben alors pourquoi sors-tu ton portable ?
— Je lui envoie un SMS pour qu’il nous reçoive aussitôt que nous serons arrivés. J’écris « mon AC, Gilles et moi passons vous voir ce jour à seize heures au bureau. C’est très important. »
— D’accord, heu pourquoi mets-tu AC ?
— Quand je lui donne son grade, il sait que ma demande concerne son métier. Il sait aussi que nous ne le dérangeons jamais pour rien donc s’il peut, il sera là. En attendant, profitons de la descente. Tu peux encore chanter mais s’il te plaît, pas de marche funèbre !