Monsieur Christian Jobard, professeur de Sciences de la Vie et de la Terre, surnommé Jocrisse par des générations de collégiens, déverrouilla la porte et fit entrer la quatrième C dans la salle réservée aux sciences.
— Asseyez-vous. Sortez de quoi écrire. Aujourd'hui je veux que vous notiez toutes les actions que vous estimez être polluantes au niveau de l’école, de la ville, de la région, de la France, de la planète. Vous avez le droit de vous servir de vos smartphones pour vos recherches, mais en mode silencieux. Pas pour correspondre entre vous, n’est-ce pas Morgane ? Vous avez dix minutes, ensuite nous discuterons du bienfondé de ce que vous avez trouvé.
Contrairement à tous ceux de la classe qui sautèrent sur leurs appareils pour chercher des idées, Valentin se cala le menton dans les mains et, regard dans le vague, se mit à réfléchir. Au fur et à mesure que les idées lui venaient, il notait.
« Pollution de la terre (déchets, chimie, cultures), de l’air (fumées et gaz, particules) et de l’eau (plastiques, chimie, médicaments).
Pollution par un individu (voiture, déchets), par une entreprise (rejets industriels), par une décision nationale (production d’électricité : charbon, pétrole, radioactivité).
Pollutions évitables (consommation plus responsable), pollutions malgré nous (obligation de prendre sa voiture pour aller travailler).
Vraies pollutions et fausses pollutions (durée de vie des rejets, engrais naturels ou chimiques). »
— Dix minutes ! Fin de vos recherches, stoppa le professeur. Tout d’abord, comment pouvons-nous définir une pollution ? Qui veut prendre la parole ? demanda le professeur, oui Marion ?
— Polluer c’est salir la nature.
— Bien Marion. Quelqu’un veut ajouter des précisions ? Valentin ?
— Je pense comme Marion mais j’irais encore plus loin, je veux dire plus généralement que polluer c’est intervenir sur la nature.
— Peux-tu développer ton idée ?
— Je pense que la pollution peut être de divers ordres selon sa durée, son importance. Elle peut concerner l’air, la terre ou les eaux. Elle peut être matérielle, visuelle, sonore ou même concerner l’odorat. Elle peut être individuelle ou collective...
— Hou la, hou la Valentin, du calme ! Tu vas tout de suite aux conclusions de la leçon ! Auparavant, discutons d’exemples précis, si tu le permets. Quelqu’un peut me donner un exemple de pollution ?
— Moi m’sieur, par exemple quelqu’un qui jette un vélo dans le lac ! interjeta Bouboule intentionnellement en regardant Tony Thénard.
— C’est bizarre comme exemple mais pourquoi pas. De quel type de pollution s’agit-il ?
— Ben c’est salir le lac, expliqua Quentin. Dans un vélo il y a du fer, de l’aluminium, du caoutchouc, du plastique aussi et également de la graisse. Normalement il n’y a rien de tout ça dans l’eau du lac.
— Pas mal Quentin, pas mal. Autre exemple ? Anaïs ?
— Les fumées qui polluent l’air et qui contiennent du dioxyde de carbone, des particules dangereuses.
— Seulement ?
— Elles peuvent contenir aussi des gaz dangereux. J’ai lu que de la dioxine rejetée dans l’air donnait des maladies graves, ajouta Lucie.
— Qu’est-ce qui rejette des fumées ? Romuald ?
— Les bagnoles, fit Romuald.
— Disons plus généralement les moteurs à explosion, généralisa le professeur. Ensuite ?
— Les usines, les usines chimiques, les centrales à charbon.
— Oui Eva.
— Les poêles et les cheminées rejettent du dioxyde de carbone, dit Emily.
Valentin leva la main et sans attendre d’autorisation argumenta :
— Je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette affirmation. Certes le bois qui brûle rejette des gaz mais ce sont en réalité des gaz qui existaient déjà dans la nature. Les arbres les ont capturés en se développant, en fabriquant d’ailleurs de l’oxygène. Ces gaz sont tout simplement remis en circulation, donc le bilan final est neutre.
— Peut-être, mais sa combustion rejette des particules dans l’air, reprit Emily.
— Peut-être, mais l’humanité s’est chauffée au bois depuis la découverte du feu, enchaîna Valentin.
— Peut-être, mais cette pollution s’ajoute aux autres !
— Peut-être mais en réalité c’est l’inverse, ce sont les autres pollutions qui s’y ajoutent.
— Stop, stop ! Arrête Valentin. Un exemple de pollution de la terre maintenant.
— Les décharges sauvages ! affirma Florian, il y a des gens qui jettent n’importe quoi n’importe où, alors qu’il y a une déchetterie et le tri sélectif dans le village.
— D’accord Florian, tu fais bien de pointer ces mauvais gestes, conforta monsieur Jobard.
— Il y a aussi les épandages monsieur, reprit Emily. Dans le village il y a des éleveurs qui aspergent les prés de purin et répandent du fumier dans les champs. L’odeur est abominable et le sol est pollué.
— Pas d’accord, s’opposa à nouveau Valentin. Ces épandages proviennent des déjections des animaux donc sont issus de leur nourriture à savoir l’herbe des prés du village. Cet engrais naturel est beaucoup moins polluant que les engrais chimiques. Et je ne suis pas sûr que notre odeur naturelle soit beaucoup plus agréable à sentir. C’est une réflexion de gens des villes, ça ; des gens qui aiment la nature sur carte postale mais qui ne supportent ni l’odeur des vaches, ni le chant du coq le matin ni les cloches des églises de campagne.
Ce disant, Valentin s’était retourné et regardait Emily dans les yeux. Elle pinça d’abord les lèvres puis ouvrit la bouche pour répliquer mais finalement, sans baisser les yeux, s’abstint de continuer la joute verbale.
— Valentin, je te trouve bien véhément envers Emily qui ne cherche qu’à participer et je l’en félicite.
— Sur le fond, j’ai absolument raison !
— Et toi, est-ce que tu ne pollues pas ? Je t’ai vu tout à l’heure avant le cours jeter tes déchets de pomme sur la pelouse.
— Ce que vous dites me concernant est inexact monsieur. Mais vous, en arrivant au collège, vous fumiez une cigarette. Une cigarette produit de la fumée, des particules, une nuisance olfactive et de santé pour les proches du fumeur, de plus le mégot jeté au sol met des mois à être éliminé naturellement. Qui est-ce qui a le plus pollué ?
— Valentin, je te prie de rester poli et respectueux !
— M’sieur, intervint Gilles, j’étais avec Valentin pour manger ma pomme et nous n’avons absolument rien pollué car nous avons ramassé nos déchets et les avons jetés dans une poubelle.
— Oui, bon, enchaînons. Maintenant, qui peut donner un exemple de pollution insidieuse, je veux dire invisible mais cependant réelle ?
Valentin, sans parler cette fois, leva la main et la maintint en l’air. Jocrisse fit semblant de ne pas le voir. Personne ne se manifestant, Bouboule leva la main à son tour.
— Oui Pascal ?
— M’sieur je n’ai pas d’exemple en tête mais Valentin a levé la main.
À regret le professeur se retourna et fit comme s’il découvrait la main levée. D’un geste de tête, il lui donna la parole.
— Les divers médicaments que les humains absorbent finissent toujours par se retrouver dans la nature par les urines ou les excréments. Ils finissent soit dans les nappes d’eaux souterraines, soit dans les rivières car les stations d’épuration sont incapables de traiter certains produits. C’est une pollution invisible mais cependant réelle. J’ai vu une émission de télévision sur ce sujet qui devient de plus en plus préoccupant. J’ai un second exemple. Recycler les bouteilles en plastique, c’est très bien mais...
— Je confirme, tenta de concilier le professeur, les produits plastiques recyclés ont une seconde voire une troisième vie et ainsi la science permet d’éviter les dommages à la nature.
— Je n’avais pas fini monsieur, j’allais dire que le recyclage des bouteilles en plastique qui permet de faire des vestes polaires cause une autre pollution, invisible celle-là.
— N’importe quoi ! se moqua Tony, une polaire ça ne pollue pas !
— Si ! Chaque lavage d’une polaire en machine lui arrache quelques grammes de fibres microscopiques mais bien réelles et ces fibres, trop petites, ne peuvent pas être filtrées. Elles finissent dans les rivières, les mers et les océans, sont absorbées par les poissons et finalement, pour une partie d’entre elles, se retrouvent dans l’alimentation humaine. Ce second exemple était traité dans la même émission de télévision. Cet hiver presque tout le monde venait au collège avec une veste polaire. Ceux qui portent ce type de vêtement sont soit des ignorants de ce que je viens de décrire, soit polluent sciemment la nature.
— Et toi, tu ne prends jamais de médicaments, tu ne portes pas d’habits d’hiver ? agressa Emily.
— Cet hiver, quand j’ai skié au Grand-Bornand, je portais un pull en laine. Florian qui était avec moi peut le confirmer et peut-être n’est-il pas le seul. À la rentrée, pour une raison... inconnue, je suis tombé subitement malade et mes grands-parents m’ont soigné efficacement avec des huiles essentielles et des infusions de plantes avec du citron, donc pas de médicaments chimiques. Ma réponse te satisfait ?
— Tu agresses le monde entier aujourd’hui Valentin.
— Je n’agresse personne monsieur, tout ce que j’avance est vérifiable, en revanche Emily m’a agressé, Tony m’a agressé et aussi vous-même au sujet des déchets de pommes jeté n’importe où, ce qui n’était pas exact, Gilles vous l’a confirmé.
— Valentin, j’en ai assez de vous ! Qui vous croyez-vous pour faire la leçon à tout le monde et à vos professeurs ?
— Je n’ai fait que participer activement à la classe comme nos professeurs nous demandent de faire. J’ai essayé d’être objectif et toutes mes remarques sont vérifiables. Il faudrait être obtus ou de mauvaise foi pour ne pas le reconnaître.
— Cette fois, c’en est trop ! Je vous emmène chez le principal. Mathilde, en tant que cheffe de classe, je vous demande d’assurer la surveillance.
— Monsieur, je suppose que vous désirez que nous allions voir le principal pour que je sois puni, reprit Valentin, dans ce cas, je demande, comme c’est mon droit, à être accompagné également par le chef de classe, donc Mathilde Marchand.
— Florian, assure la surveillance.
— Non m’sieur. Je considère que Valentin s’est montré correct et je ne suis pas d’accord pour qu’il soit puni.
— Tu n’as pas à être ou non d’accord en la circonstance.
— Pourquoi n’aurions-nous pas à donner notre avis ? appuya Gilles approuvé par Olivier et Quentin.
— Tony, passe au bureau et surveille la classe.
— Oui m’sieur, fit Tony ravi en gagnant l’estrade.
— Valentin, venez avec moi !
— Vous me vouvoyez maintenant ?
— Venez Mathilde.
« Entrez ! » fit la voix sonore de monsieur Tardy, le principal.
— Ah, c’est vous monsieur Jobard, que se passe-t-il ?
— Bonjour monsieur le principal, je suis venu vous demander une punition exemplaire contre cet élève, répondit le professeur de SVT en désignant Valentin.
— Ah, pour quel motif ?
— Pour insultes et manque de respect.
— Ah, et cette jeune fille ?
— Valentin Valmont a voulu un témoin de cet entretien. Mademoiselle Marchand est représentante des élèves de quatrième C.
— Ah oui. Que vous a dit ce garçon ?
— Il a dit que j’étais pollueur, obtus, de mauvaise foi, ignorant et menteur.
— Ah. Reconnaissez-vous avoir employé ces mots, Valentin ?
— Parfaitement monsieur le principal. Mais ces mots visaient les gens qui ne comprennent pas certaines données scientifiques de l’écologie.
— Donc ils ne vous visaient pas particulièrement monsieur Jobard ?
— Je pense que si. Cet élève me regardait dans les yeux avec effronterie quand il a proféré ces insultes. Je demande qu’il soit exclu trois jours de l’établissement.
— Impossible monsieur Jobard, pour cela il faut une réunion du conseil de discipline, vous le savez bien.
— Alors une journée d’exclusion.
— Mademoiselle Marchand, quel est votre témoignage sur ces incidents ?
— Les mots cités ont été effectivement prononcés mais je pense qu’ils ne visaient pas notre professeur en particulier mais étaient d'une portée plus générale. Par ailleurs Valentin regarde toujours son interlocuteur dans les yeux quand il lui parle.
— Une journée d’exclusion me semble une punition disproportionnée, monsieur Jobard, mais d’un autre côté... J’inflige à Valentin une consigne de deux heures à effectuer mercredi prochain avec un travail d’intérêt général. Vous avez quelque chose à dire Valentin ?
— Oui monsieur Tardy, comment va votre petit Matéo ?
Sur cette flèche du Parthe (1), Valentin fit demi-tour et, sans attendre de permission, sortit du bureau avec un semblant de sourire aux coins des lèvres.
(1) Au figuré, la flèche du Parthe, (en référence à une peuplade Perse qui tactiquement fuyait devant l'adversaire lors des batailles puis en se retournant tiraient des flèches sur leurs poursuivants), signifie émettre une attaque verbale au moment où l'on part, donc sans laisser à l'autre la possibilité de répondre.
En l’occurrence Valentin fait allusion à un épisode relaté dans le livre « Valentin et ses copains » dans lequel il permet à la famille Tardy de retrouver leur fils Matéo enlevé par une femme en mal d'enfant.