Valentin, Mathilde et monsieur Jobard revinrent dans la classe de sciences au moment où la sonnerie de fin des cours retentissait. Quelques-uns des élèves restés sous la surveillance de Tony Thénard chahutaient, riaient fort, montaient sur les tables, criaient. Le professeur exaspéré hurla : « Dehors tout le monde ! » Calmement Valentin alla rechercher son sac d'école, récupéra son crayon et sa feuille de papier tombés au sol et sortit sans un mot. Quand il fut dans le couloir, ses amis l'entourèrent.
— Alors ? Alors ? Qu'est-ce qu'ils t'ont fait ?
— Je suis collé mercredi.
— Mais ce n'est pas juste ! s'exclama Gilles approuvé par la totalité des amis. Nous n’allons pas laisser passer ça ! A quatre heures, après le cours de dessin, on se réunit à notre banc, d'accord ?
À quatre heures, ils y étaient tous les douze. Valentin se tenait volontairement légèrement en retrait, Gilles, assis sur le sommet du dossier du banc présidait l’assemblée, Mathilde à son côté.
— Examinons les faits tout d’abord. De quoi Jocrisse accuse-t-il Valentin ? Mathilde, tu y étais dans le bureau du principal, raconte-nous.
— Le prof a tout d’abord accusé Val de lui avoir manqué de respect...
— Là, c’est déjà faux, Valentin ne lui a pas manqué de respect, il l’a toujours vouvoyé alors que le prof le tutoyait, fit observer Quentin.
— Il a dit aussi avoir été insulté, avoir été qualifié de pollueur, obtus, de mauvaise foi, ignorant et menteur.
— Valentin n’a jamais traité Jocrisse de menteur, il lui a simplement fait remarquer que ce qu’il disait à son propos était inexact, il y a plus qu’une nuance. C’est d’ailleurs à ce moment-là que je suis intervenu pour rétablir la vérité, fit remarquer Gilles.
— Oui et après il a fait semblant de ne pas voir que Valentin levait la main poliment pour répondre à sa demande d’exemple, sourit Bouboule. Là je l’ai un peu piégé en l’obligeant à remarquer la main levée de Val.
— C’était rudement bien joué, félicita Florian.
— Quand Val a parlé d’ignorants et de pollueurs, il parlait en général, sans citer de nom. C’était juste après la réflexion de Tony. Je me rappelle très bien car j’ai suivi attentivement l’exposé de Val à ce moment-là, expliqua Lucie. C’est un sujet qui m’intéresse beaucoup.
— En ce qui concerne les mots obtus et mauvaise foi, Val a employé le conditionnel et il parlait de ceux qui ne reconnaîtraient pas la véracité de ce qu’il avait expliqué, remarqua Mathilde. Ce n’était évidemment pas une attaque personnelle.
— En fait le Jocrisse, il s’est senti morveux, résuma Pauline.
— Et Valentin l’a mouché, s’amusa Olivier.
— Jocrisse a d’abord demandé trois jours d’exclusion puis une seule journée parce que le monsieur Tardy ne l’avait pas suivi. Finalement le principal a collé Valentin deux heures mercredi prochain, compléta Mathilde.
— C’est totalement injuste ! fit Eva de sa petite voix.
— D’accord avec toi, approuva Margot.
— Alors, qu’est-ce qu’on fait ? interrogea Quentin.
— Nous allons tous faire la colle avec lui, proposa Florian.
— Le principal a parlé de deux heures de travail d’intérêt général, reprit Mathilde.
— Si on y va tous, il sera trop content qu’on fasse le ménage, fit observer Pauline.
— Et Valentin aura quand même été puni alors qu’il ne le mérite pas, ajouta Amandine.
— Je pense qu’il faut beaucoup plus marquer le coup, bien montrer qu’on n’est pas d’accord avec la punition, être tous solidaires de Val. Il faut faire une action qui fasse du bruit dans le collège ! imagina Florian.
— Oui mais quoi ? s’interrogea Gilles.
— J’ai trouvé ! Il faut faire grève ! triompha Pascal.
— Excellente idée Bouboule. Nous sommes douze, soit la moitié de la classe. Peut-être que d’autres voudront se joindre à nous, je pense à Charly, à Anaïs, à Marion.
— Et la bande à Tony ? Ils ne voudront pas défendre Valentin, c’est sûr, mais ils seront tellement contents de sécher les cours qu’ils feront grève aussi ! supposa Amandine.
— Excellent, on décrète une grève d’une heure et si la punition de Valentin n’est pas levée, on continue, proposa Gilles. Qui est contre ? Personne ! Qui s’abstient ?
Valentin et Mathilde levèrent la main.
— Je comprends, continua Gilles, il ne faudrait pas que Val soit en plus accusé de déclencher une révolte et Mathilde en tant que représentante de tous doit rester neutre. Bon, la grève est votée par dix voix pour et deux abstentions. Demain matin nous avons maths à huit heures. Quand Air-de-rien viendra chercher la classe, nous resterons ici, près du banc, tous debout, alignés. Bien sûr il se posera des questions et voudra savoir pourquoi alors je lui dirai que ce n’est pas contre lui mais pour protester contre une injustice. Il sera un peu coincé car il ne va pas faire rentrer une petite moitié de classe et laisser l’autre dehors, donc il fera prévenir le principal qui viendra essayer de nous persuader ou nous obliger à cesser tout ça. C’est à ce moment-là qu’il faudra tenir bon et ne pas avoir peur.
— D’autant plus qu’on défend une cause juste, appuya Florian.
— Nous sommes d’accord ? demanda Gilles à la cantonade.
Mathilde leva une main en souriant pour montrer sa non opposition.
— J’ai une question à poser à Valentin. Dis-nous Val, quand tu es sorti du bureau du principal, tu t’es retourné et tu lui as demandé, en l’appelant par son nom « Monsieur Tardy, comment va votre petit garçon ? », heu Matéo je crois. J’ai réfléchi mais pas encore compris. Je suis sûre que tu l'as dit intentionnellement, tu peux nous éclairer ?
Valentin intervint pour la première fois.
— Je n’aime pas me vanter ni me mettre en avant mais, puisque Mathilde vous a dit cela, je comprends qu’une explication est nécessaire. L’an dernier, son fils Matéo a été enlevé par une dame au supermarché de la ville. J’ai eu le réflexe de prendre une photo qui a permis à la gendarmerie d’identifier la femme et de libérer Matéo. J’ai appelé le principal « monsieur Tardy » pour montrer que je ne m’adressais plus au directeur du collège mais à l’homme, pour lui rappeler que, malgré une première injustice envers nous l’an dernier, - je vous rappelle qu’il nous avait tous collés à la suite de l’affaire du squelette, déjà avec Jocrisse -, je n’avais pas hésité à lui rendre service. Quand il m’a demandé ce que je voulais comme récompense, je lui ai suggéré de faire en sorte que nous restions tous dans la même classe, ce qu’il a fait. Donc il n’a pas de dette envers moi. En fait, je lui ai balancé une vacherie pour qu’il se sente mal à l’aise et que cela lui rappelle sa première injustice. Puisque vous avez pris une décision pour me défendre et cela me fait un plaisir immense, je suggère que vous lui répétiez exactement ce que vous venez de dire entre vous.
Margot se leva de la pelouse où elle était assise et vint appuyer deux bises sur les joues d’un Valentin confus.
— C’est aussi grâce à toi que je suis avec vous, intervint Margot, tu oublies de le rappeler, mais moi je n’oublie pas. Merci, merci Valentin.
Il était huit heures dix. Les points de rassemblement des classes étaient maintenant déserts sauf celui de la cinquième C. Sept élèves se tenaient près de la fenêtre, dix au niveau du banc habituel des amis, six autres hésitaient entre les deux groupes. Valentin restait volontairement seul quelques pas en arrière de ses amis. Après avoir écouté les explications d’un Gilles plus décidé que jamais, monsieur Derrien, le professeur de mathématiques avait envoyé Mathilde, en tant que déléguée de classe, chercher le principal. Il attendait, stoïque, adossé à côté de la porte d’entrée du bâtiment des classes, un sourire amusé flottait sur ses lèvres.
Le principal arriva, arborant l’air excédé d’une personne dérangée dans un travail important.
— Que se passe-t-il monsieur Derrien ?
— Les élèves vont vous l’expliquer, monsieur le principal. Venez Gilles.
— Monsieur le principal je suis Gilles Arroux. Je porte la parole d’une majorité des élèves de la classe.
— Et bien, qu’avez-vous à dire, parlez ! s’énerva monsieur Tardy.
— Monsieur le principal, nous protestons contre la punition imméritée infligée à Valentin, Valentin Valmont.
— Ce n’est pas à vous de juger ce qui est mérité ou pas, jeune homme !
— Nous sommes parfaitement aptes à comprendre et à juger, monsieur. Nous avons tous été témoins de ce qui s’est réellement passé dans la classe de monsieur Jobard. Nous en avons longuement discuté et n’avons rien noté qui puisse être blessant ou irrespectueux à son encontre, en conséquence nous estimons que cette punition est injuste et doit être levée. Dans le cas contraire, nous n’irons pas en cours aussi longtemps qu’il le faudra.
— Valentin, venez ici ! ordonna le principal. C’est vous qui êtes à l’origine de cette révolte ?
Valentin s’approcha à quelques mètres de monsieur Tardy, ôta sa casquette américaine et, sans parler, visage fermé mais non buté, fit lentement le geste non de la tête.
— Non monsieur, intervint Mathilde, Valentin ne nous a rien demandé et s’est tenu à l’écart de notre discussion. L’injustice nous est insupportable monsieur le principal. Valentin est un excellent camarade qui cherche à rendre service à tout le monde, vous le savez. Le punir, c’est nous punir tous !
Le principal resta silencieux quelques instants, cherchant visiblement une solution pour sortir de l’impasse.
— Rassemblez-vous, finit-il par dire, tous, toute la classe. Que ceux qui pensent que Valentin a été puni injustement lèvent la main.
Les onze amis de Valentin levèrent instantanément le bras, suivis rapidement par Charly, Marion, Anaïs et deux autres filles.
— Ceux qui pensent le contraire maintenant ?
Tony, Clément, Romuald, Morgane et les jumelles levèrent la main.
— Les autres n’ont pas d’avis ?
Emily leva timidement la main.
— Mademoiselle Gilmore, je vous écoute.
— Le cours de sciences portait sur la pollution, chacun pouvait donner son avis. Je n’étais pas d’accord sur tout avec... Valentin, mais je pense qu’il n’a pas insulté le professeur si c’est ça qui lui est reproché. Ce qu’il a dit était, à la réflexion, très intéressant. Je ne suis pas d’accord pour faire la grève des cours mais je trouve comme les autres là que le punir pour avoir exprimé son avis est injuste. Je pense aussi que ceux qui sont pour la punition ne le sont que par animosité envers Valentin et que leur démarche n’est pas réfléchie. Voilà pourquoi je me suis abstenue monsieur le directeur.
— Quelqu’un d’autre veut intervenir ? Valentin ?
Celui-ci, casquette sur la tête cette fois, fit un nouveau signe silencieux de dénégation. Le principal se tourna vers monsieur Derrien toujours adossé au mur. Ce dernier eut une mimique d’impuissance et de détachement, comme si le problème ne le concernait pas. Monsieur Tardy, extrêmement embarrassé, après un long silence finit par dire :
— Voici ma décision, la punition de Valentin est reportée « sine die ». Regagnez votre classe maintenant.
— Ça dépend de ce que signifie « sine die » monsieur le principal, ergota Gilles.
— Vous ne savez pas ? Personne ne sait ? C’est une expression latine signifiant : sans fixer de nouvelle date. Êtes-vous satisfait ?
Gilles réfléchit intensément et, après un temps de silence, répondit :
— Dans ce cas monsieur, nous allons reporter notre grève « sine die. »
— Vous me semblez bien insolent jeune homme !
— Je m’appelle Gilles Arroux monsieur. Je n’ai aucunement l’intention d’être insolent. Si j’ai bien compris le sens de votre expression latine, il s’agit d’un simple report et donc Valentin n’est pas reconnu innocent de ce dont Joc... heu monsieur Jobard l’accuse. Donc je suis d’avis que nous suspendions notre grève « sine die » mais nous ne l’annulons pas. Qui est contre cet avis ? demanda Gilles en se retournant vers la classe.
Il vit Tony regarder autour de lui, esquisser un mouvement du bras, hésiter pour finalement ne rien faire.
— Personne ? insista-t-il ; vous voyez monsieur le principal.
— En classe tout le monde ! réagit celui-ci avec énervement à peine contenu. A vous monsieur Derrien. Tenez-moi au courant de toute indiscipline ou comportement inadapté.
— Il n’y a pas d’indiscipline dans mes cours monsieur le principal.