VALENTIN S'AFFIRME

37. PRÉSENTATION

Au cours de l’après-midi, profitant de l’heure de permanence se substituant à celle de SVT - monsieur Jobard étant absent pour raison médicale - Valentin réfléchissait à la meilleure façon de présenter leur projet aux parents. Une vibration dans une poche latérale de son bermuda interrompit sa réflexion. Il sortit discrètement son smartphone, toucha l’icône « Messages », un texte s’afficha dans une bulle grise sur son écran : « Chauffard retrouvé, a avoué, présenté à un juge. Bravo pour déductions. ACL ».
Il eut un sourire triste puis sa pensée fila vers Marion, rentrée chez elle mais pouvant à peine marcher, obligée de rester confinée dans l’appartement HLM de ses parents au deuxième étage sans ascenseur. Il se demanda où elle en était de sa rééducation orthophoniste, se promit d’aller la voir dès que possible et de proposer aux amis de l’intégrer dans leur groupe.
Satisfait de cette décision, il revint à sa première réflexion : répartir les responsabilités pour l’organisation de leur campement. Saisissant papier et crayon à bille, il nota :
- réservation de l’emplacement au camping du Petit Crêt (Gilles ?)
- désignation d’un trésorier, 10 euros par personne ? (Mathilde ?)
- comité d’achat alimentation (Mathilde + Quentin + Amandine ?)
- coordonnateur collecte matériel, tentes, matelas, duvets. (Florian ?)
- responsable acheminement du matériel lourd (Olivier + Margot carriole du père de Margot ?)
- responsables cuisine alimentation (Quentin + Amandine ?)
- infirmerie (Pauline ?)
- mécanicien vélos (Pascal et moi ?)
- compte-rendu journalier à diffuser aux parents (Lucie + Eva ?)
- coordination générale (Charly et moi ?)
Quand il pensa avoir fini sa répartition, il s’aperçut qu’il n’avait pensé à aucune tâche pour Emily. Que savait-elle faire ? Avec qui l’associer ? « Je ne dois en aucune façon donner l’impression de la favoriser ou au contraire lui demander un travail ingrat, en dehors de ses compétences. Mais quelles sont ses compétences ? » Il s’aperçut qu’il ne savait rien des goûts de son ex-amie. Finalement, il décida de lui proposer de l’associer avec Florian. « De toute façon, ce ne sont que des propositions à discuter tout à l’heure... » se rasséréna-t-il.
Valentin songea ensuite à la vie en commun et jeta quelques idées sur le verso de sa feuille.
- prévoir une tente « technique » pour entreposer matériel et provisions.
- pas de produits alimentaires périssables (viandes, surgelés, poissons frais).
- chacun apporte ses affaires de toilette + papier hygiénique.
- chacun apporte un change de vêtements et des chaussures de marche.
- chacun prend son sac à dos.
- chacun vérifie son vélo avant de partir.
- tout ceci est à discuter ce soir et à rédiger pour demain (Charly ?)
Satisfait de l’avancée du projet, il ressortit son smartphone, vérifia que l’application « Appareil photo » était en mode silencieux et prit deux clichés recto puis verso de son travail. Il se leva ensuite sans bruit, fit un sourire au surveillant qui levait les yeux de son journal, alla déposer sa feuille sur le bureau de Charly puis revint s’asseoir tout aussi tranquillement.

À la suite de leur discussion de la veille qui avait entériné les propositions de Valentin, Charly, avec l’assentiment paternel, avait proposé leur pelouse comme lieu de réunion avec les parents des amis. Il avait bien fait les choses. Devant le perron de la villa, deux plateaux recouverts de papier-nappe blanc, posés sur tréteaux, présentaient bouteilles d’eau plate et pétillante, jus de fruits, coca ainsi qu’une trentaine de verres et deux paniers de cerises.
Les amis de Valentin s’étaient montrés convaincants, à dix-huit heures quarante-cinq, toutes les familles étaient représentées. Depuis la première marche du perron, le père de Charly réclama l’attention.
« Mesdames, messieurs, bonjour à tous,
Je me nomme monsieur de la Capelle et ne suis ici qu’en tant que parent, au même titre que vous. Je ne suis pour rien dans l’organisation de cette réunion et me suis contenté de laisser cette pelouse à la disposition de mon fils Charles-Henri qui va vous exposer leur projet. Je lui laisse la parole. »

Charly remplaça son père sur le perron, papier un peu tremblant à la main. Il s’éclaircit plusieurs fois la voix avant de commencer son petit discours.
« Bonjour mesdames, bonjour messieurs,
Je suis heureux d’exposer aux parents de mes amis de collège le projet que nous avons ensemble mis au point, mais qui bien entendu ne sera possible qu’avec votre accord. Vous savez que le collège ferme demain pour cause d’examen du brevet. Nous tous avons envisagé d’occuper ces vacances supplémentaires en passant quatre jours, de jeudi à dimanche, dans un camping tout près d’ici : le camping du Petit Crêt à moins de quatre kilomètres. Le temps sera beau, peut-être un peu orageux vendredi mais la sécurité sera assurée. Pour ce séjour, nous avons mis au point un code de bonne conduite dont je vous livre les principaux éléments.
Chacun s’est engagé à se montrer sérieux et responsable dans ses dires et ses actions.
Le couchage se fera sous des tentes à deux ou trois places, garçons et filles strictement séparés.
Dans les rapports entre nous il ne sera question que de camaraderie ou d’amitié.
Personne ne sera au service des autres, tout le monde participera et aidera aux taches communes dans la mesure de ses compétences sur un pied de stricte égalité.
Les activités seront saines, sportives, récréatives et intelligentes.
Les rôles ont été répartis entre nous selon la volonté et les aptitudes de chacun.
Les parents seront tenus au courant par un bref compte-rendu SMS chaque soir.
En cas de doute, les parents pourront à tout moment venir sur place pour vérifier la bonne tenue du camp, de chacun et le respect des engagements.
Je ne suis en aucun cas le chef de ce projet car toutes nos décisions sont prises en commun et à l’unanimité. Aujourd’hui, j’en suis simplement le rapporteur.
Nous avons tous fait un bon effort cette année scolaire, nous sommes tous admis en troisième et ce camp serait pour nous un heureux aboutissement.
Voilà ce que je voulais vous dire au nom de tous. Mes parents sont d’ores et déjà d’accord pour me laisser participer à ce camp ainsi que les grands-parents de Valentin Valmont. Nous espérons vivement que nos amis puissent nous rejoindre. Merci de m’avoir écouté, le petit buffet est à votre disposition, je vous laisse vous rafraîchir et discuter entre vous. N’hésitez pas à nous poser des questions si un point particulier vous inquiète. »

Des mimiques d’appréciation sur les visages de certains parents suivirent l’exposé de Charly. Valentin s’approcha de celui-ci et le félicita chaleureusement pour la clarté et l’intelligence de son exposé.
Monsieur Chevril, le père de Margot les rejoignit rapidement.
— C’est un beau projet que vous avez là, je suis tout disposé à laisser Margot participer si elle n’est pas la seule fille.
— Soyez tranquille Robert, répondit Valentin, je peux continuer à vous appeler Robert ?
— Bien sûr que tu peux continuer à me tutoyer Valentin, je n’oublie pas ce que vous tous avez fait pour ma fille et moi.
— Regardez les sourires des autres filles, elles ne feraient pas ces têtes-là si leurs parents refusaient. Margot ne sera pas la seule.
— Dans ce cas, je suis d’accord et d’accord aussi pour vous aider à transporter le matériel comme me l’a suggéré ma fille. Tu me téléphoneras pour préciser les modalités. Merci aussi d’avoir prêté une bicyclette à ma fille, elle est ravie. Je dois te dire aussi que je suis stupéfait par ses bons résultats scolaires cette année. Je crois qu’elle est heureuse et c’est à vous que je dois ça. Bon, je me sauve, j’ai encore un entretien de jardin à faire avant la nuit. L’entreprise que vous m’avez aidé à créer marche au-delà de mes espérances. Au revoir Valentin, au revoir Charles-Henri.
— Au revoir Bob, sourit Valentin.
Madame Lacourt, la maman d’Eva s’approcha dès que Valentin fut libre.
— Valentin, Eva a fort envie de participer mais je suis inquiète, elle est si timide, si fragile, je ne sais pas si je peux la laisser... D’autant plus que je n’ai pas de voiture s’il y avait un problème.
— Madame Lacourt, je veux vous rassurer totalement. Certes Eva est timide mais elle est fine et intelligente et dans le groupe elle donne son avis au même titre que les autres. Je pense qu’elle fera équipe avec Lucie Roche avec qui elle s’entend à merveille. Si par extraordinaire survenait un problème, j’avertirais aussitôt mes grands-parents qui viendraient nous chercher.
— Tu me rassures Valentin, j’ai confiance en toi, je crois que je vais la laisser participer. Elle n’a pas de tente mais elle a un duvet et je peux lui avoir une natte de couchage.
— Pour la tente, pas de problème, je crois que Lucie en a une et pour le reste, c’est parfait. Vous allez la rendre heureuse.
Eva qui se tenait à quelques pas de Valentin, voyant le sourire sur le visage de celui-ci, se rapprocha de sa mère et sans fausse pudeur vint l’embrasser en murmurant « merci maman. »
— Ah, Valentin, hello ! Glad to see you. (Ah, bonjour Valentin, content de te voir) lança monsieur Gilmore en venant lui faire un vigoureux shake-hand. Emily m’a dit votre projet et ton ami, mon petit voisin, a bien présenté. Si tu n’avais pas été là, j’aurais dit non mais j’ai bien confiance en toi et aussi en ton ami Florian. Je peux fournir une tente à trois places et les matelas. Emily aura son duvet.
— C’est vraiment gentil de votre part monsieur Gilmore. Elle dormira avec Amandine et Margot. Je crois qu’Emily sera satisfaite d’avoir de nouvelles amies.
— Et vous deux... êtes réconciliés ?
— Elle a intégré mon groupe d’amis, donc elle est une amie monsieur Gilmore. Excusez-moi, je crois que les parents d’Amandine Fontaine veulent me voir, à bientôt et bonjour à Emilienne.
— Bonjour madame, bonjour monsieur Fontaine.
— Bonsoir Valentin, dit la maman d’Amandine, c’est toi que nous venons voir car nous connaissons ton sérieux. Voilà, nous sommes réticents à laisser Amandine libre de faire ce qu’elle veut pendant quatre jours. Avec son caractère entier, elle est capable de se buter et de faire des bêtises si quelque chose ne lui convient pas. Elle a menacé de fuguer si nous ne lui donnions pas l’autorisation.
— Je vous rassure tout de suite, madame Fontaine, quand elle est avec nous, Amandine est la meilleure des copines, avec son franc parler c’est certain, mais toujours prête à rendre service. Je vais peut-être vous étonner mais je crois que quand elle se sent libre, elle se restreint elle-même, elle se fixe des limites et les respecte. On n’a pas envie de fuguer quand on se sent libre. Je crois que vous pouvez donner votre accord en toute sérénité. Elle partagera la tente de Margot Chevril et d’Emily Gilmore, deux filles sérieuses et intelligentes.
Madame Fontaine regarda son mari qui fit un petit geste d’approbation.
— Bon, c’est entendu, nous allons vous faire confiance.
— C’est à elle que vous allez faire confiance madame Fontaine et je suis certain que vous ne le regretterez pas. Allez goûter les cerises de Charles-Henri, elles sont bio et délicieuses... Hello, Mathilde ? Tu ne m’as jamais présenté tes parents ! Tu as honte de tes copains ?
— Viens ! Papa, maman, je vous présente Valentin Valmont.
— Ah, c’est lui le phénomène ? Bonjour Valentin, nous sommes contents de te connaître.
— Mes parents savent tout de toi, tu sais...
Valentin eut une mimique à la fois modeste et ironique.
— Bonjour madame, bonjour monsieur. Que pensez-vous de notre initiative ?
— Vous avez bien préparé votre présentation. Si tout doit se passer conformément à votre annonce, nous approuvons.
— J’en suis très heureux, Mathilde est un pilier de notre groupe en plus d’une représentante des élèves remarquable.
Mathilde à son tour rougit un peu tout en affichant également un sourire ironique.
— Ce qui fait notre force, c’est qu’il n’y a pas de chef qui décide pour les autres. Il y a des propositions, des discutions et finalement c’est la majorité qui tranche. C’est comme ça que nous avons décidé de faire ce camp de vacances, expliqua-t-elle.
— Vous venez de réinventer la démocratie et c’est très bien. Dites-nous si vous avez besoin d’aide.
— Pour l’instant, j’essaie de convaincre les parents encore hésitants, conclut Valentin, je vais essayer de voir la maman de Pauline et celle de Lucie. Ce serait bien Mathilde que tu discutes avec les parents de Pascal.
— C’est déjà fait et ils sont d’accord tout comme ceux de Quentin et d’Olivier.
— Il ne manque personne alors ?
— Pour Gilles, je ne sais pas, mais comme c’est lui qui est à l’initiative de la proposition, je ne suis pas inquiète. Il faudrait maintenant que nous nous voyions demain matin pour les préparatifs matériels. Tu crois que Charly pourra encore nous recevoir ?
— Il ne demande que ça, il aime bien organiser. Je vais le voir et passer le mot aux garçons, tu te charges des filles ?