VALENTIN S'AFFIRME

5. TOURNAGE

Il faisait très beau en ce mardi du milieu du mois de janvier. Un froid modéré très ensoleillé avec un léger vent du nord laissait présager la poursuite du beau temps. Valentin n'avait soufflé mot à quiconque du projet de la télévision anglaise le concernant.
Christophe Dumont, qui avait accepté de réaliser le reportage, avait positionné son véhicule technique non loin de l'entrée du collège, point de rassemblement des élèves. Son cameraman faisait des essais de cadrage, choisissant soigneusement ses seconds plans pendant que le preneur de son testait un micro insensible au vent.
Les premiers élèves arrivèrent vers huit heures quinze, se groupant par affinités. Dumont sortit son téléphone et appela Valentin.
— Tu peux venir. Enlève et remet ta casquette quand tu seras au bout de la rue pour que je sois sûr qu'il s'agit bien de toi. Sois le plus naturel possible, ne regarde jamais la caméra sauf quand je t'interrogerai, on ne pourra pas recommencer la séquence.
— OK, compris. J'apparais dans une minute par le côté ouest de la rue.
— Excellent pour la luminosité. Quelques élèves sont déjà là devant le portail. De mémoire, il me semble qu'il y en a de ta classe.
En arrivant, Valentin serra des mains, fit la bise aux filles puis, entraînant Gilles par le bras, se déplaça de façon à ce que Emily et sa nouvelle bande soit dans le champ de la prise de vue. Romuald qui avait repéré le cameraman agita les bras en faisant des grimaces grotesques, imité par les autres garçons de sa bande.
— Coupez ! dit Christophe. Valentin, reviens vers nous en discutant avec ton copain et rejoins ton groupe ! Vous pourrez vous mettre derrière lui quand je vais l'interroger, dit-il aux amis de celui-ci. Prêt ? Moteur !
Tous les regards convergèrent vers lui. Il se déplaça tout à fait naturellement vers le réalisateur qui, en anglais, lui demanda de se présenter.
— Hello, my name is Valentin Valmont. I live in the village of St Thomas du Lac in Haute Savoie. I am a student in that school with my friends whom you can see behind me. (Bonjour, je m'appelle Valentin Valmont, j'habite ce village de Saint Thomas du lac en Haute Savoie et je suis élève dans cette école avec mes amis que vous voyez derrière moi.)
— Coupez ! Très bien.
— C'est bon pour le son ! dit l'opérateur.
— Super. Prochaine séquence chez toi Valentin, en fin d'après-midi après tes cours. En attendant nous allons faire des panoramiques du village et des environs.
Quand les techniciens furent partis, tous ses amis le questionnèrent.
— C'était qui ? C'était la télé ? Pourquoi t'ont-ils filmé ? Qu'est-ce que tu as fait ? Pourquoi tu as parlé en anglais ?
Tony, les jumelles, Emily et Romuald s'étaient également rapprochés pour tenter d'entendre les explications.
— Je ne peux rien vous dire pour l'instant mais vous saurez tout quand le moment sera venu.

Après une journée de classe au cours de laquelle il fut observé, épié, scruté, bombardé de questions par ses amis, journée pendant laquelle il eut aussi la satisfaction de voir Emily s'écarter de Romuald et lui esquisser des sourires de rapprochement qu'il fit semblant de ne pas voir, Valentin tira Gilles à l'écart des autres et lui souffla :
— Gilles, tu es mon ami, alors j'aimerais que tu viennes chez moi ce soir et que tu restes pour que nous soyons filmés ensemble en train de travailler. J'en profiterai pour tout te dire.
L'amitié et la curiosité aidant, Gilles n'hésita pas une seconde.
— A quelle heure ?
— Dans une heure, plus tôt si tu veux.
— Tout de suite, ça me convient. Je téléphone à mes parents pour les prévenir. Alors tu m'expliques ?
— Tu te rappelles Londres et mon escapade à Brighton, l'affaire du train relatée à la télévision anglaise ?
— Tu parles !
— Et bien la BBC veut faire une émission sur les personnes agressées et la passivité des spectateurs de ces scènes-là. Je ne sais pas comment ils ont retrouvé ma trace mais ils veulent absolument que je témoigne. Ils désirent me présenter par un petit reportage : mon cadre de vie, mon milieu, mes habitudes, mes copains. Tu es mon meilleur ami et j'aimerai que tu figures sur le film.
— Et je passerai à la télé ?
— A la télévision régionale anglaise secteur Londres Brighton et Sud-est.
— Pas en France ? Dommage.
— Je commanderai quelques copies du reportage sur DVD ou clé USB pour les copains.

Quand Gilles et Valentin arrivèrent à la maison des grands-parents Valmont, l'équipe technique était là et la caméra tournait déjà quand ils franchirent le portail. L'opérateur, toujours filmant, les précéda en reculant jusque dans le salon. Ils prirent quelques rushes du goûter préparé par la grand-mère. La séquence suivante fut enregistrée dans la chambre de Valentin, les deux amis faisant semblant de travailler à leurs devoirs.
— C'est bon, nous en resterons là pour ce soir. Valentin, où désires-tu être filmé demain ?
— En VTT dans le petit bois, à l'esplanade, au port, sur le chemin des roselières et sur un ponton face au lac, tout ça avec mon ami Gilles.
— D'accord mais il faut me situer les lieux sur un plan du village pour nos repérages préalables.
— J'ai un plan publicitaire, je vais pointer et annoter dessus les endroits dont je viens de vous parler.
— Nous opérerons vers onze heures, onze heures trente, la météo a prévu du soleil et une certaine douceur, la lumière sera bonne. Nous commencerons à vous filmer sur vos vélos au niveau du collège. En ensuite nous ferons le parcours que tu viens d’indiquer. Je te contacterai par téléphone quand nous serons opérationnels.

Le lendemain les deux amis se laissèrent guider par les professionnels. Par petites séquences, ils enregistrèrent leur trajet jusqu'au ponton face à la villa des parents de Charles-Henri. En fin de tournage, Valentin qui avait repéré un mouvement de rideau derrière une fenêtre de la maison d’Emily se fit filmer près de la mini-plage où ils s’étaient vus pour la première fois. Enfin, ayant repéré la jeune fille qui était sortie et observait la scène depuis le perron de sa maison, il demanda à son opérateur de faire une dernière prise de vue panoramique incluant la jeune fille avant de revenir sur lui.
Reportage terminé, Valentin questionna :
— Comment allez-vous communiquer le film à la BBC ?
— Nous avons pris contact avec la responsable de l'émission. Nous nous sommes mis d'accord sur le plan financier, elle nous a donné carte blanche pour faire un film d'environ dix minutes, film que nous lui communiquerons par internet avant le trente et un janvier. Et toi, tu y vas quand à Londres ?
— Au début des vacances d'hiver. Tout se combine très bien, la BBC nous offre deux aller-retours en Eurostar.
— Qui va t'accompagner, ton grand-père ou ta grand-mère ?
— Les deux, nous allons acheter le troisième billet. Ils n'ont jamais vu Londres et sont très excités par ce voyage.
— Bien ça. Je suppose que tu voudras voir le film avant que je l'expédie à la BBC.
— Oui, évidemment.
— Je te l'expédierai par mail dans quelques jours. Tu sais décompresser un dossier ?
— C'est le B-A BA de l'informatique. Merci pour tout monsieur Dumont.

De retour chez lui, toujours accompagné par son ami Gilles, ce dernier lui demanda :
— Dis-moi Val, quel est l’intérêt de t'être fait filmer devant la maison des Gilmore ?
— Il est double. As-tu remarqué que leur villa possède une antenne satellite à deux têtes ?
— Ben non. A quoi ça leur sert ?
— Deux têtes de réception donc possibilité de capter les signaux de deux satellites différents. Le père Gilmore est anglais et quand il est ici, il veut se tenir au courant de l'actualité anglaise par un satellite diffusant les chaînes de son pays comme Freesat. Il y a de grandes chances qu'il regarde les infos de Brighton dont il est originaire, donc qu'il voie ce reportage. J'avais repéré que nous étions observés depuis une de leurs fenêtres. Emily est sortie un instant sur le perron de leur maison au moment où Christophe Dumont criait « moteur ». Le père Gilmore verra donc sa maison et sa fille.
— Et deuxièmement ?
— Hier matin, quand nous étions filmés tous les deux devant le collège, je me suis arrangé pour passer devant Emily qui arborait une drôle de tête à côté de ce nul de Romuald faisant ses grimaces débiles devant la caméra. Le père Gilmore pourra en plus voir sa fille en bonne compagnie et il lui posera des questions sur moi puisqu'il me connaît et bien sûr aussi sur Romuald. Elle va avoir du mal à s'expliquer.
— Tu es machiavélique ! Tu n'es pas encore guéri de cette fille, hein ? Heu, excuse-moi, ça ne me regarde pas, ajouta Gilles qui avait conscience de s'aventurer en terrain miné.
— Je n'en sais rien Gilles, mais je pense que ma liaison avec Emily était prématurée et une petite voix me disait qu'il valait mieux placer notre relation sur un plan strictement amical. Elle en a décidé autrement, cela résout le problème. Mais qu'elle s'affiche avec ce naze de Romuald a été une sacrée gifle pour moi et constitué un point de non-retour. Sans vouloir reprendre une relation, qu'elle ait des regrets de son attitude ne me contrarie pas, au contraire cela satisfait ma fierté, ou mon orgueil, au choix.
— Donc tu vas retrouver le groupe et les copains ?
— Idiot ! Je ne vous ai jamais lâchés.