Il était deux heures du matin quand une petite musique programmée se glissa dans les écouteurs aux oreilles de Valentin. Tout de suite réveillé, il activa l'écran de son iPhone qui dispensa sa faible lueur dans la chambre. Il put se rendre compte que ses amis dormaient profondément. Il repéra son pull et son pantalon qu'il enfila dans le noir, chaussa ses baskets sans les lacer, prit son kway, trouva à tâtons dans son mini sac à dos sa clé mémoire à double entrée et, à pas feutrés, gagna la porte. L'escalier était tout proche. Valentin descendit en posant ses pieds au plus près du mur pour éviter les craquements des marches de vieux chêne. À la faible lueur des veilleuses, tous sens aux aguets, il se dirigea vers le petit salon. Dans un angle de celui-ci se trouvait une table supportant un écran et un clavier d'ordinateur. L'unité centrale mini-tour se trouvait dessous. Réactivant l'écran de son smartphone, Valentin s'accroupit, se glissa derrière la mini-tour et enficha la prise jack de ses écouteurs dans la sortie audio arrière du PC. Ceci fait, se relevant, il couvrit l'écran avec sa veste Kway doublée puis replongea pour appuyer sur le bouton marche-arrêt. Le ventilateur de l'ordinateur couina un peu en se lançant avant de tourner dans un ronronnement presque imperceptible. Soulevant un coin de son vêtement, il constata que l'écran s'était bien allumé mais restait invisible une fois recouvert. Un léger bruit mit ses sens en alerte.
Valentin retourna vers la porte du salon qu'il avait laissée ouverte. La lumière dirigée d'une lampe torche et de nouveaux grincement l'avertit que quelqu'un descendait l'escalier. Valentin ferma doucement la porte vitrée du salon et s'allongea par terre contre le mur à côté de la porte. La lumière éclaira les vitres puis balaya l'accueil et enfin continua vers la porte d'entrée de la pension. Valentin entendit la personne qui tenait la lampe actionner plusieurs fois la poignée avant de faire demi-tour et de repartir vers l'escalier. « Le veilleur de nuit » pensa Valentin, « bon, je devrais être tranquille pour quelque temps maintenant. Voyons ce PC. »
Valentin remit les écouteurs qu'il avait laissé sur le parquet et s'assit en glissant la tête sous le kway recouvrant l'écran. « Mot de passe » réclamait celui-ci. « Voyons réfléchit-il, c'est un ordinateur destiné aux clients de la pension donc le mot de passe doit être hyper simple et en rapport avec elle.. Se rappelant le mot de passe Wifi indiqué par Bouboule, il tenta de le reproduire, échec ! Il tenta « pension Spencer », nouvel échec. « HarrySpencer » n'eut pas plus de succès, il essaya alors « Spencer » et l'écran se débloqua. Yes ! se dit-il.
Bon, Windows Seven, ce n'est pas un animal de première jeunesse. Voyons quand même ce qu'il a dans le ventre. Il cliqua le bouton « Démarrer » pour afficher la liste des logiciels présents. Navigateur : Firefox. Lecteur d'audio vidéo : VLC, courrier : Thunderbird, antivirus : Avaast. « Il n'y a pas ce qu'il me faut ! » pesta-t-il intérieurement. Dans la fenêtre de recherche, il tapa « Audacity ». Le résultat fut nul. Une petite icône en bas et à droite de l'écran montrait que la connexion internet était active. « Je vais télécharger le logiciel, pas d'autre solution. » Le téléchargement, l'installation et le paramétrage lui prirent une dizaine de minutes. Il rechargea en mémoire le navigateur et entreprit ses recherches sur internet. Il commença par revisionner les photos de Brighton avant de chercher des paroles de chansons célèbres contenant les mots clés qu'il désirait enregistrer : « C'est demain dimanche », « Je t'attendrai », « Sur la plage », « À partir de », ainsi que des sons de cloche. Une comptine, les chansons de Charles Trennet, Brigitte Bardot et Johnny Halliday ainsi qu'un enregistrement de Big Ben lui fournirent les paroles chantées et les sons qu'il désirait. Il se connecta sur YouTube, fit ses enregistrements grâce à Audacity puis entreprit un travail de découpage et de juxtaposition des sons. Il téléchargea ensuite la phrase d'introduction de la musique sur laquelle il avait dansé avec Emily au bord du lac : A whiter shade of pale, et, à sa suite, colla le montage qu'il avait réalisé. Il écouta le résultat et fit une grimace de dépit. Ce n'était pas le chef d’œuvre de compilation de l'année mais c'était suffisamment explicite pour ce qu'il désirait en faire. Il enregistra son travail en mp3 sur sa clé USB, effaça soigneusement ses enregistrements du PC, désinstalla le logiciel Audacity, éteignit l'écran puis l'unité centrale, récupéra ses écouteurs, son Kway et quitta le salon.
Revenu sans encombre dans la chambre, il se déshabilla silencieusement, se glissa entièrement sous la couette et sous sa tente improvisée s'employa à transférer son montage de la clé double entrée vers l'iPhone. Il était quatre heures du matin quand enfin il éteignit son portable et s'abandonna au sommeil.
Le chahut de ses copains commençant une bataille de polochons le réveilla. Il avait l'impression qu'il venait de seulement de s'endormir.
— Pourquoi faites-vous tant de bruit, j'ai sommeil moi !
— Hé, Filedoux vient de frapper à toutes les portes pour le réveil. Tu ne l'as pas entendu ? fit Gilles.
— Quand je dors, je dors ! Quelle heure est-il d'abord ?
— Huit heures moins le quart et le breakfast est servi à huit heures, tu ne sens rien ? répondit Bouboule gourmand.
— Ah oui, maintenant que tu le dis.
— On va pouvoir goûter au fameux breakfast anglais, se réjouit Gilles.
La lucidité revenant, Valentin se redressa brutalement, sauta dans ses habits et téléphone à la main sortit rapidement en disant « je reviens tout de suite ! » Arrivé à mi-chemin de l'escalier qu'il descendait deux marches à la fois, il s'arrêta net, fit demi-tour et remonta trois par trois. Entrant dans la chambre, il lança à la volée :
— Vous avez des pièces anglaises ?
— Moi, j'en ai quelques unes d'un voyage de mes parents, je ne sais pas si elles sont encore bonnes, répondit Gilles.
— Donne, merci.
— Qu'est-ce que tu veux en faire ?
— Jouer au palet ! s'amusa Valentin en repartant à fond.
Passant devant l'accueil, il fit un signe de la main accompagné d'un sourire à la femme derrière la banque et sortit le plus naturellement qu'il put. Arrivé dans la rue, conformément aux prévisions relayées par Radissel, une petite bruine tombait. Faisant fi de la météo, il prit le pas de course vers l'intersection des rues où, à deux cents mètres de la pension, trônait une superbe cabine téléphonique rouge à pièces, typiquement londonienne. Il pénétra dans l'étroit édicule, manipula son iPhone, glissa une pièce de dix pence dans la fente. Le cœur battant à tout rompre, il composa le numéro des Gilmore. Au bout de trois sonneries, quelqu'un décrocha, la pièce tomba et une voix d'homme répondit : « Yes… Hello... »
— Sorry, it's a mistake (Désolé, c’est une erreur), fit Valentin en prenant sa voix la plus grave possible puis en raccrochant. Il sortit de cabine, son téléphone portable indiquait sept heures cinquante deux. Il se força à patienter cinq minutes avant de pénétrer à nouveau dans l’édicule rouge, d'introduire une nouvelle pièce de dix pence et de réitérer son appel. Cette fois ce fut le répondeur qu'il avait déjà entendu qui se mit en marche. Dès le signal l'autorisant à parler, Valentin colla le haut-parleur de son iPhone contre le micro du combiné et démarra le message chanté qu'il avait composé. Ceci fait, il raccrocha et repartit tout courant vers la pension.
— Où étais-tu ? s'inquiéta Gilles qui l'attendait au niveau de l'accueil.
— J'avais besoin de courir, de me dépenser un peu un peu avant de manger, histoire de me creuser l'estomac.
— Et pour ça tu as besoin de pièces anglaises, c'est parfaitement logique, se moqua son ami. Entrons dans la salle à manger, Bouboule a réservé nos places.