VALENTIN AMOUREUX

11. DANS LE TRAIN

La matinée au British Museum intéressa fortement Valentin, en particulier les antiquités égyptiennes, sarcophages et momies. Cette forme de vie après la mort le plongea dans des réflexions inhabituelles pour un garçon de son âge. Ces objets avaient été des êtres vivants, comme lui en ce moment ! Qu'auraient-ils pensé s'ils avaient imaginé le sort de leur corps plus de quatre mille ans après leur mort ? L'explication en anglais des techniques de décérébration et d'éviscération qu'il comprit parfaitement l’impressionna au plus haut point. Il posa des questions sur les façons de procéder pour le dessèchement, l'embaumement et le rembourrage des corps, horrifié et fasciné.
La promenade de l'après-midi le long de la Tamise sous la bruine londonienne commença par décevoir Valentin, tout lui semblait gris, terne, sans aucune unité, mais vers quinze heures, le bas plafond gris du ciel s'éleva, les nuages prirent consistance et quelques coins de ciel bleu colorèrent le paysage. Le mélange des styles lui sembla alors intéressant par la juxtaposition et la cohabitation des époques : tours originales, grande roue, bâtiments gothiques, ponts, activités sur le fleuve. Ses camarades multipliaient les photos, les selfies ; les professeurs n'imposaient pas leurs explications mais répondaient volontiers aux questions. Les collégiens revinrent enchantés de leur journée.

Quand les amis se réveillèrent le lendemain, une légère brume teintée de jaune coiffait la capitale britannique, laissant espérer la belle journée promise. Radissel pressa tout le monde. « Il ne faut surtout pas être en retard pour la relève de la garde à Buckingham Palace, il y a toujours beaucoup de monde pour assister au spectacle et si l'on veut être bien placé, il faut prévoir d'y être une demi-heure avant, au moins ! Nous irons manger ensuite dans Hyde Park. Vous pourrez vous promener librement mais il ne faudra pas trop vous éloigner car ce parc du cœur de Londres, comme son nom l'indique, est immense. Cet après-midi, nous visiterons les grands monuments du cœur de Londres. Vous verrez, c'est grandiose.
Entendant ceci, Valentin sourit aux anges, tout s'arrangeait au mieux pour lui et son plan ne pouvait que marcher. Une question cependant lui taraudait l'esprit : devait-il avertir son meilleur ami de sa décision ? Après réflexion, il décida que non. Il serait toujours temps de lui envoyer un texto quand tout serait sur des rails, ce sera le cas de le dire, ajouta-t-il mentalement.
Rasséréné pars ses décisions, il se libéra l'esprit et participa avec enthousiasme aux activités demandées par ses professeurs. Un peu avant midi, quand tous furent dans le grand parc du centre ville, Valentin prétexta un besoin pressant pour s'éloigner du groupe. Dès qu'il fut certain que personne ne pouvait le voir, il sortit son iPhone, activa son application Here we go et tapa « Victoria Station ». Écouteurs aux oreilles, il se laissa guider par la voix synthétique qui, en quinze minutes, l'amena devant l'entrée de la gare. Dans l'immense hall hyper fréquenté, il se senti perdu. Il était midi trente. Malgré sa bonne pratique de l'anglais, il n'arrivait pas à trouver comment opérer pour consulter l'horaire, prendre son billet, trouver le bon quai. Il avisa une personne qui semblait dispenser des conseils à un voyageur, attendit poliment qu'elle ait fini ses explications pour lui demander :
— Excuse-me madam, I am alone and have to join my family in Brighton. I do not know how to buy my train ticket and how to find the next train, can you help me? (Excusez-moi madame, je suis seul et dois rejoindre ma famille à Brighton. Je ne sais pas comment faire pour acheter mon billet et trouver le prochain train, pouvez-vous m'aider ?)
— Oh, hello, you have a light accent, you are not English, are you ?(Oh, bonjour, vous avez un léger accent, vous n'êtes pas anglais, n'est-ce pas ?)
— No, I'm Australian. (Non, je suis australien.)
— Come with me, I'll show you how to do it. If you hurry a bit you'll be able to catch the twelve thirty train (Venez avec moi, je vais vous montrer comment faire. En faisant vite vous allez pouvoir prendre le train de douze heures trente.)
— No Worries, I follow you. (Pas de problème, je vous suis.)
— I can see that you are a real Australian! (Je vois que vous êtes typiquement australien !)

Dix minutes plus tard, Valentin était installé côté couloir dans le train Londres – Brighton. Avant le départ du convoi et maintenant que les choses étaient inéluctables, il rédigea un texto à l'usage de ses bons amis de classe Gilles et Pascal : « Je vais bien. Ne dites rien. Rassurez discrètement les amis. À ce soir. » et, avant que le train s'ébranle, il expédia le message. La sourde inquiétude qui l'avait un instant paralysé dans le hall de la gare Victoria s'était dissipée laissant place à une euphorie qui excluait toute impossibilité dans la réalisation de son rêve... Emily...
Pendant le premier quart d'heure du voyage, il rédigea un brouillon de texto à l'intention de ses professeurs. Il hésita un certain temps sur ce qu'il devait dire et ne pas dire et finalement écrivit : « Désolé pour l'inquiétude que je vous cause. Je vais bien et serais de retour à la pension vers dix huit heures. » Il enregistra son message sans l'envoyer.
Toujours iPhone à la main, il bascula son appareil sur l'application photo pour capturer à travers les vitres du train des vues de la campagne anglaise. À moitié déporté vers le couloir du wagon, il essayait de cadrer son image pour éviter de prendre ses voisins voyageurs dans le champ de la photo quand il se fit bousculer le coude gauche par une jeune femme passant rapidement dans le couloir. Il lâcha l'appareil qu'il rattrapa habilement de l'autre main.
« Hey! » fit-il en se déportant complètement pour mieux envisager la personne en cause qui se retourna très brièvement. À cet instant, il fut de nouveau bousculé, plus brutalement cette fois par un homme allant dans la même direction que la femme. Valentin cette fois râla : « Hey be careful! Look where you're going! » (Hé, faites attention ! Regardez où vous allez !) L'homme se retourna à moitié, jeta un regard menaçant mais continua son chemin vers le bout du wagon. Valentin haussa les épaules, que pouvait-il faire ?
Il pensait en rester là quand la jeune femme cria d'une voix haut perchée : « No! Get your hands off me! » (Non! lâchez-moi!)
Valentin se leva dans le couloir et regarda plus attentivement. L'homme avait saisi un bras de la femme qui se débattait. D'une secousse, elle libéra son bras et tenta de s'éloigner mais l'homme faisait barrage d'une main appuyée contre la cloison. Il se colla contre la jeune femme. Valentin avait toujours son iPhone à la main, ouvert sur l'application photo. Il prit une rafale de clichés puis jeta rapidement un coup d’œil à la ronde. Personne ne bougeait, ne semblait se soucier de ce qui se passait à quelques mètres d'eux.
« Help! Help me! » cria la femme.( À l'aide ! Aidez-moi !)
— Hey you, stop that! (Hé vous, arrêtez !) tenta Valentin en avançant vers le couple et en désignant l'homme du bras. L’interpellé lui lança un nouveau regard mauvais mais continua son harcèlement. Il tenta d'embrasser la femme qui secoua violemment la tête à droite et à gauche pour échapper à la tentative.
Valentin vit rouge, il cria dans le wagon. « Can all of you help me! Take photos! Take videos! He hasn't got the right to do that! Give me a hand! Take care of this woman! (Allez, vous tous, faites quelque chose, aidez-moi ! Prenez des photos ! Filmez-les ! Il n'a pas le droit de faire ça ! Aidez-moi.! Défendez cette femme !)
Des voyageurs se levèrent, aucun n'osa s'avancer. La femme emprisonnée par les bras de l'homme, buste et tête rejetés en arrière se débattait furieusement mais ne pouvait rien contre la force de l'autre. Valentin posa son iPhone sur un siège libre et fonça. Il courut vers l'homme et lui décocha un violent coup du pointu du pied sur le côté du genou. L'homme grogna, tenta de le frapper à son tour d'un revers de sa main droite. Valentin esquiva en se baissant. La jeune femme profita de n'être plus tenue que par un bras pour faire un tour sur elle-même et repartir en courant à rebours dans le couloir. Valentin la laissa passer en se glissant entre deux sièges puis revint dans le couloir au moment ou l'homme tentait de la poursuivre. Il se heurtèrent violemment. Sous le choc contre un individu plus lourd que lui, Valentin recula en titubant puis tomba à moitié assis sur un siège du wagon. L'homme tenta de continuer sa poursuite mais au moment ou il passait sans plus s'occuper de lui, Valentin, d'un petit coup de semelle chassa le pied qui allait se poser. Déséquilibré, l'homme s'affala. Tous les voyageurs s'étaient levés. Certains après le passage de la jeune femme obstruaient le couloir. Quelques uns s'avancèrent vers l'homme qui se relevait et commençait à reculer. Devant la menace du nombre, de sa poche il sortit un couteau dont la lame jaillit. Tout le monde se figea. Accroupi entre deux sièges, Valentin recula le plus qu'il put et ne bougea plus. Après quelques pas en arrière, l'homme fit demi-tour, passa dans le wagon suivant et disparut à la vue.
Une femme se pencha vers Valentin toujours recroquevillé :
— Are you all-right my boy? (Tout va bien mon garçon ?) demanda-telle avec anxiété tandis que les autres voyageurs commentaient la scène qu'ils venaient de vivre.
— Yes! Every thing fine. May I get back my mobile phone? I put it on a seat. (Oui, tout va bien, puis-je récupérer mon téléphone portable ? Je l'ai posé sur un siège.)
Avec un sourire à la dame complaisante, Valentin s'extirpa de son inconfortable position récupéra son iPhone, retourna vers sa place, sortit un sandwich de son packed lunch se mit à manger calmement au grand étonnement des autres voyageurs. Quelques-uns le prirent en photo.
Il restait un quart d'heure avant l'arrivée en gare de Brighton. Quant il eu finit son sandwich, il sortit une pomme, la frotta contre une jambe de son pantalon. Tout en croquant, il manipula son iPhone d'une main, activa du pouce son application Here We Go et, pomme entre les dents, tapa « Plage de Brighton »